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Marie-Pier Forest, Université du Québec à Rimouski

Andy Field, cela vous dit quelque chose? Peut-être avez-vous déjà (ou vous n'avez pas connu ce bonheur, peut-être) parcouru l’un des ouvrages de ce professeur britannique de méthodes quantitatives mondialement connu pour ses livres de statistiques. Vous avez alors probablement en tête l’un de ses nombreux exemples humoristiques qui viennent tout simplement « illuminer » les concepts statistiques (Field, 2017).

Andy FieldUn récit d'aventure

Dans son plus récent ouvrage traduit en langue française, intitulé L'aventure des statistiques en sciences humaines (2022), le professeur Field se surpasse en plongeant son auditoire dans une histoire digne d’un roman de science-fiction!

Tout au long de cet ouvrage richement illustré, nous suivons l’histoire rocambolesque de Zach Slade, un jeune musicien d’un groupe rock célèbre vivant dans un monde postrévolutionnaire. Celui-ci part à la recherche de son amoureuse, Alice, une scientifique disparue dans d’étranges circonstances. À travers sa quête, Zach apprendra – mais surtout comprendra – des concepts statistiques fondamentaux, en commençant par les notions de base jusqu’aux plus avancées.

Ce livre marque un véritable changement dans la façon d’approcher les statistiques, comme l'ont souligné ses traducteurs (qui ont aussi fait un travail d’adaptation). Effectivement, Andy Field accorde plus d'importance aux « intervalles de confiance » qu'aux fameuses « valeurs p », et il privilégie les « tailles d'effet » plutôt que la « significativité statistique », ce qui engendre une interprétation plus nuancée des résultats statistiques.

Par exemple, il nous apprend à ne pas se laisser obnubiler par une probabilité (valeur p) de 0,05 – qui est en fait un seuil arbitraire – pour plutôt nous inviter à comprendre ce que cette valeur signifie réellement, c’est-à-dire la probabilité d’obtenir la statistique observée si « aucun effet » n’existe. En statistiques, « aucun effet » signifie qu’il n’y a pas de différence statistiquement significative ou de relation mesurable entre les variables étudiées. Ainsi, plutôt que de simplement regarder si un résultat est statistiquement significatif (par une valeur p inférieure à un seuil, généralement 0,05), Andy Field suggère de considérer les intervalles de confiance, qui montrent plutôt la plage probable dans laquelle se situe le vrai paramètre. Cela amène une perspective plus réaliste des résultats en plus de refléter l’incertitude associée aux estimations. Dans les chapitres 10 et 11, notamment, Field illustre de manière convaincante que l'importance dans la pratique d’un effet statistiquement significatif ne peut être garantie par une valeur p inférieure à 0,05, et que l’application rigide d’une telle règle peut conduire à des erreurs d’interprétation. En d’autres mots, « des effets très faibles et sans importance peuvent être statistiquement significatifs simplement parce que le test statistique est réalisé sur un grand nombre de scores, et l’on peut passer à côté d’effets très importants simplement parce que la taille de l’échantillon est trop petite. »1

Critique et humour

Il va sans dire qu’une telle prise de conscience facilite ensuite l’adoption d’une posture beaucoup plus critique face aux conclusions statistiques présentées dans des publications scientifiques, par exemple en apportant certaines nuances aux résultats jugés sans détour comme « statistiquement significatifs ». Comme toujours, cela est fait avec une touche d’humour lorsque Field souligne, par exemple, que « la fréquence à laquelle les scientifiques utilisent une probabilité de 0,05 pour évaluer les hypothèses peut donner l’impression qu’il s’agit d’un [nombre] magique ou d’un seuil mystique qui sépare l’obscur monde souterrain de la non-significativité du paradis céleste dans lequel se nichent les effets réels. »2

Contrairement à d’autres livres de statistiques, celui-ci est construit linéairement à la manière d’un roman, c’est-à-dire du début à la fin dans un ordre chronologique. Les 17 chapitres présentent une structure assez similaire, en juxtaposant des parties plus romancées et des parties plus instructives. Chaque chapitre se termine par des compléments numériques3, notamment sous la forme de questions de révision à choix multiples. Les traducteurs ont pris l’initiative d’accompagner les termes techniques de leur équivalent anglophone entre parenthèses, ce qui est particulièrement utile dans un monde où statistiquement les publications scientifiques de langue anglaise dominent. Soulignons également que l’ouvrage ne nécessite aucune connaissance a priori : il est destiné à toute personne intéressée à apprendre autrement les méthodes statistiques.

D’un point de vue personnel, ce livre a exercé une influence considérable sur ma manière de percevoir les statistiques. Je dois avouer que j’ai parfois eu du mal à le déposer, puisque je souhaitais connaitre le dénouement d’une des multiples péripéties vécues par Zach. Il est facile de se reconnaitre dans ce personnage, car bien qu’il soit loin d’être passionné par les statistiques, il n’a d’autre choix que de se plonger dans ce monde encore inconnu pour lui. Les concepts statistiques sont généralement présentés sous la forme d’une conversation entre Zach et les protagonistes qu’il rencontre, ces derniers agissant à la manière d’enseignants. Plusieurs exemples proviennent d’ailleurs d’études réelles dont les références sont présentées en bibliographie. En tant qu’étudiant assidu, Zack pose des questions pour s’assurer de sa compréhension, et il reformule dans ses mots les notions plus complexes, ce qui apparait comme un moyen d’enseignement intéressant. Dans la plupart des chapitres, on retrouve même ses notes, qui sont en fait un résumé des concepts importants. On retrouve aussi à quelques reprises les notes de labo d’Alice, la scientifique, qui exposent de bonnes pratiques pour rapporter des résultats statistiques dans un article ou dans un rapport de recherche.

En conclusion

À mon humble avis, cet ouvrage a le pouvoir d’améliorer significativement la relation – souvent négative, avouons-le – que certaines personnes entretiennent avec les statistiques, notamment dans le domaine des sciences humaines. Pour ce tour de force, remercions l’auteur qui réussit avec brio à vulgariser des concepts théoriques complexes, et ce, en se distinguant par une approche humoristique, voire ludique.

J’espère donc avoir réussi à convaincre certaines personnes d’aller jeter un coup d’œil à cet ouvrage atypique. Je fais le pari qu’il sera bien souvent réservé dans les bibliothèques universitaires au courant des prochaines années... Qui sait, cette lecture pourrait contribuer à redéfinir notre rapport aux statistiques en sciences humaines et sociales.

J’espère donc avoir réussi à convaincre certaines personnes d’aller jeter un coup d’œil à cet ouvrage atypique. Je fais le pari qu’il sera bien souvent réservé dans les bibliothèques universitaires au courant des prochaines années... Qui sait, cette lecture pourrait contribuer à redéfinir notre rapport aux statistiques en sciences humaines et sociales.

Extrait, p.352.
Extrait, p.352.
Références bibliographiques
  • Field, A. (2022). L’aventure des statistiques en sciences humaines (traduit par N. B. Verger, N. J. L. Brown et C. Leys). De Boeck Supérieur.
  • Field, A. (2017). Discovering statistics using IBM SPSS statistics (5e éd.). SAGE edge.
  • 1Field, 2022, p. 371
  • 2Field, 2022, p. 352
  • 3Au moment d’écrire ces lignes, plusieurs de ces compléments numériques ne sont pas encore accessibles, donc il n’est pas possible d’en juger la pertinence.

  • Marie-Pier Forest
    Université du Québec à Rimouski

    Marie-Pier Forest poursuit des études de troisième cycle en éducation à l’Université du Québec à Rimouski, campus de Lévis. Elle est membre étudiante du Réseau de recherche et de valorisation de la recherche sur le bien-être et la réussite en contexte de diversité (RÉVERBÈRE) et du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE). Ses intérêts de recherche portent notamment sur l’enseignement des mathématiques par la résolution de problèmes et sur le développement d’une compréhension conceptuelle chez les élèves du primaire.

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