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[Au gouvernement] le travail des stagiaires postdoctoraux s’inscrit dans un contexte de service public. Je vois le stagiaire comme un collègue de travail qui se concentre sur un élément particulier de mon programme de recherche et qui a l’avantage (ou le désavantage, ça dépend comment on le voit!) de ne pas devoir s’occuper des autres aspects de mon métier, tel le conseil stratégique auprès des autorités. En effet, comme un professeur d’université, un chercheur gouvernemental effectue des tâches de gestion, et il est régulièrement sollicité à sur la base de son expertise.

Postdoctorat ThiffeaultMorgane Urli : Bonjour, Nelson! Avant de commencer, je tiens à préciser pourquoi je tenais à faire cette entrevue. Après avoir réalisé sous votre direction deux postdoctorats successifs, qui m’ont fait découvrir de nouvelles dimensions de la profession de chercheur, j’aimerais maintenant connaître l’autre côté du miroir, la vision du chercheur gouvernemental qui travaille avec des postdoctorants formés essentiellement à la recherche universitaire. Pourriez-vous nous relater un peu votre parcours?

Nelson Thiffault : Merci pour cette invitation! J’ai passé les 15 premières années de ma carrière dans un organisme de recherche provincial, au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec. Depuis moins d’un an, je suis chercheur scientifique au Service canadien des forêts de Ressources naturelles Canada. Je tiens à préciser que je n’ai jamais fait de postdoc. En 2002, j’ai en effet trouvé mon poste de chercheur dans le service public avant de terminer mon doctorat. J’ai déposé ma thèse l’année suivante. J’ai eu ensuite des offres pour réaliser des postdoctorats, mais j’ai plutôt choisi d’investir mon temps dans ce nouveau poste de chercheur.

Morgane Urli : Pour devenir chercheur gouvernemental, il n’est pas nécessaire, je crois, d’avoir effectué un postdoc, ce n’est pas la norme. Comment alors des stagiaires postdoctoraux peuvent-ils s’inscrire dans vos programmes de recherche?

Nelson Thiffault : Dans le cadre de mon travail, j’entrevois deux possibilités : un stagiaire postdoctoral peut s’intégrer à mon équipe et prendre en charge la responsabilité complète d’un projet existant dans mon programme, pour lequel nous possédons le financement et dont les objectifs sont déjà identifiés. Ou encore, le stagiaire peut contribuer en développant un nouvel angle de recherche, évidemment relatif à mon programme, mais sur un aspect qui n’aurait pas été exploré sans son expertise particulière. Je n’ai supervisé que deux stagiaires postdoctoraux depuis 2002.

La recherche gouvernementale est au service de l’organisme qui nous emploie. Nous sommes, en quelque sorte, la source primaire de connaissances de l’appareil gouvernemental, qu’il soit provincial ou fédéral. Notre recherche s’intéresse à des questions importantes pour la gestion des ressources, à des enjeux critiques comme les changements climatiques, par exemple. Dans mon cas, à Ressources naturelles Canada, je travaille sur des enjeux forestiers au sein du Centre canadien sur la fibre de bois. Dans l’ensemble, ma recherche doit aider, à l’échelle canadienne, à développer des solutions efficaces aux défis auxquels les industries du secteur forestier canadien font face, tout en étant respectueuses de l’environnement. Autrement dit, mes travaux doivent contribuer à l’aménagement forestier durable, lequel comprend les aspects économiques, sociaux et écologiques.

Le travail des stagiaires postdoctoraux s’inscrit dans ce contexte de service public. Je vois le stagiaire comme un collègue de travail qui se concentre sur un élément particulier de mon programme de recherche et qui a l’avantage (ou le désavantage, ça dépend comment on le voit!) de ne pas devoir s’occuper des autres aspects de mon métier, tel le conseil stratégique auprès des autorités. En effet, comme un professeur d’université, un chercheur gouvernemental effectue des tâches de gestion, et il est régulièrement sollicité à sur la base de son expertise. Il est en interaction constante avec l’appareil gouvernemental contribuant à la prise de décisions basées sur les données scientifiques. Le postdoctorant, même s’il n’y participe pas directement, est tout de même mis en contact avec cet appareil et son fonctionnement. Je pense, entre autres, à l’intégration de la recherche gouvernementale au processus décisionnel.

Le transfert des connaissances vers les décideurs et les utilisateurs fait aussi partie du rôle du chercheur gouvernemental. Ce transfert, c’est plus que d’offrir des conférences à nos pairs ou des ateliers aux utilisateurs, ou de préparer des fiches synthèses de nos travaux aux bénéfices des analystes politiques et des décideurs. Pour moi, le transfert, c’est aussi de former la relève en m’impliquant dans le parcours d’étudiants de bac, de maîtrise ou de doctorat, et de travailler en étroite collaboration avec des stagiaires postdoctoraux. Ils deviendront des employés potentiels pour les ministères, pour l’industrie ou pour tout autre domaine. Au terme de leur formation, le fait d’avoir collaboré avec un chercheur gouvernemental fait en sorte qu’ils auront eu les deux mains plongées dans le développement des connaissances, et ils deviendront ainsi des agents multiplicateurs de ces savoirs. Alors, pour moi, accueillir des stagiaires postdoc, c’est aussi une façon de réaliser du transfert de connaissances.

Morgane Urli : C’est, j’avoue, ce que j’ai apprécié en travaillant avec vous. Collaborer à vos travaux, découvrir vos fonctions de chercheur gouvernemental tout en restant engagé à 100 % dans mon projet de recherche. Je sais que vous travaillez également avec des doctorants. Comment leur travail diffère-t-il de celui des stagiaires postdoctoraux?

Nelson Thiffault : Évidemment, la plus grosse différence est que le doctorant est encore dans un processus de formation. On doit donc l’accompagner, lui apprendre à faire de la recherche de manière autonome, et de la recherche originale, pour qu’éventuellement il puisse faire carrière en recherche ou dans un autre domaine, avec un bagage de connaissances certes, mais aussi avec de nouvelles habiletés. Pour nous, c’est très enrichissant. Mais aussi très demandant. Avec un stagiaire postdoctoral, on travaille plutôt comme avec un collègue, une personne capable de concevoir un projet de recherche, d’identifier les hypothèses, d’établir les protocoles, de réaliser les analyses de données et de rédiger adéquatement.

Avec un stagiaire postdoctoral, on travaille comme avec un collègue, une personne capable de concevoir un projet de recherche, d’identifier les hypothèses, d’établir les protocoles, de réaliser les analyses de données et de rédiger adéquatement.

Les doctorants, même si je les invite à passer des sessions entières dans nos laboratoires, vont tout de même effectuer (la plupart du temps) la majeure partie de leur curriculum à l’université. Un stagiaire postdoctoral, est dans nos laboratoires à temps plein. Il peut donc comprendre comme on le disait, le fonctionnement de la recherche gouvernementale, tout en étant plus à l’affût des opportunités de parcours professionnels. Vous en êtes un bon exemple : on a pu discuter ensemble et vous avez profité des occasions pour monter des demandes de subventions et développer des collaborations qui vous permettent, aujourd’hui, de continuer à faire de la recherche dans d’autres contextes.

L’autre stagiaire postdoctoral avec qui j’ai travaillé il y a quelques années a été victime de notre succès! J’ai réussi à le recruter au gouvernement alors qu’il n’avait fait que quelques mois de postdoc. Son expertise occupait une niche particulière et complémentaire à mes travaux (l’écologie fonctionnelle), et nous avons ainsi réussi à convaincre les autorités que cette personne devait être engagée. Ce passage rapide aurait été plus difficilement imaginable avec un étudiant au doctorat qui est encore cadré par les processus universitaires.

Morgane Urli : Ça n’a pas été votre expérience, mais imaginons qu’une personne veuille faire un postdoctorat en milieu gouvernemental et réalise que c’est la recherche universitaire qui lui correspond le mieux. Pensez-vous que son expérience dans cet environnement gouvernemental peut être préjudiciable pour sa future carrière?

Nelson Thiffault : Je pense que non parce que si cette recherche gouvernementale répond à des enjeux en lien avec des priorités ministérielles, cela demeure de la recherche qui répond aux mêmes critères d’excellence que celle réalisée en milieu universitaire. Dans une équipe comme la mienne, mes collaborateurs postdocs et mes étudiants réalisent des projets, analysent des données et publient les meilleurs articles possibles. Bien que je travaille en sciences forestières, ce ne sont pas nécessairement des articles « appliqués ». On tente de tirer le meilleur parti de la recherche qu’on réalise et parfois, à partir d’un projet initialement très appliqué, on est capable de développer des connaissances plus fondamentales et de publier des articles de cette nature – articles qui sont souvent les plus valorisés dans le milieu universitaire. L’important, pour nous, c’est ensuite de nous assurer de faire passer cette information vers les utilisateurs et les décideurs, en utilisant différents moyens de transfert. Mais là encore, les compétences de transfert sont également valorisées dans le milieu universitaire.

Donc, au final, j’ai l’intime conviction qu’un ou une stagiaire postdoc qui collabore à mes travaux en sort avec une expérience de recherche concrète tout à fait crédible et valorisée dans les milieux universitaires. Pour reprendre l’expression d’un de mes amis, aussi chercheur gouvernemental, je dirais que dans notre milieu nous sommes connectés sur le « gros fil » : nous faisons partie du canal d’informations qui s’en va directement vers les décideurs. Ça, c’est un avantage parce que, ensuite, notre recherche est appliquée rapidement et intégrée aux pratiques si elle répond, évidemment, aux besoins exprimés.

Morgane Urli : Je voudrais rebondir sur le fait justement que vous avez employé plusieurs fois le mot collègue pour des postdoctorants alors que dans la plupart des cas ils ont encore un statut d’étudiant. Qu’est-ce que ce statut étudiant des postdoctorants implique pour vous?

Nelson Thiffault : Dans le passé, c’est vrai, j’ai dû faire preuve d’imagination afin de réussir à trouver des fonds pour des stagiaires postdoctoraux. J’ai utilisé des subventions que j’avais obtenues avec des collaborateurs universitaires, des subventions pour lesquelles j’étais cochercheur. Ainsi, les stagiaires n’étaient pas officiellement affiliés à mon organisme, mais plutôt à une université. Maintenant que vous mentionnez la question du statut, je réalise qu’en étant à l’université, le stagiaire postdoctoral est considéré comme un étudiant – ce que j’ignorais.

Ayant changé d’organisation assez récemment, je suis encore à un stade où j’apprends le fonctionnement de mon nouvel « écosystème de recherche ». Je suis toujours chercheur gouvernemental, mais la recherche gouvernementale et sa gestion ne sont pas un bloc monolithique. Parmi les nouvelles opportunités, j’ai appris récemment l’existence d’un programme qui me permet d’engager des stagiaires postdoctoraux directement, sans passer par une université. Dans ce processus, le stagiaire acquiert vraiment un statut d’employé (plutôt que d’étudiant), avec les avantages que cela comporte.

Morgane Urli : Voilà qui conclut bien notre entretien! Merci beaucoup, Nelson, d’avoir répondu à mes questions.
 
Nelson Thiffault : Ce fut un grand plaisir!

J’ai l’intime conviction qu’un ou une stagiaire postdoc qui collabore à mes travaux en sort avec une expérience de recherche concrète tout à fait crédible et valorisée dans les milieux universitaires. Pour reprendre l’expression d’un de mes amis, aussi chercheur gouvernemental, je dirais que dans notre milieu nous sommes connectés sur le « gros fil » : nous faisons partie du canal d’informations qui s’en va directement vers les décideurs. Ça, c’est un avantage parce que, ensuite, notre recherche est appliquée rapidement et intégrée aux pratiques si elle répond, évidemment, aux besoins exprimés.


  • Nelson Thiffault, en entrevue avec Morgane Urli
    Ressources naturelles Canada

    Nelson Thiffault est ingénieur forestier, diplômé de l'Université Laval, d’où il détient aussi un doctorat en sciences forestières. De 2002 à 2017, il a été chercheur au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec. Depuis septembre 2017, il est chercheur scientifique au Centre canadien sur la fibre de bois du Service canadiens des forêts (Ressources naturelles Canada). Il se spécialise en sylviculture. Ses travaux de recherche portent sur l'établissement et la croissance de la régénération résineuse, l’autécologie des espèces concurrentes, de même que l'écologie des forêts boréales et tempérées. Professeur associé dans plusieurs universités, M. Thiffault codirige des étudiants des cycles supérieurs et des stagiaires postdoctoraux. Il est aussi membre régulier du Centre d’étude de la forêt, le plus grand centre dans le domaine de l'écologie forestière au Canada. Il est rédacteur adjoint de la Revue canadienne de recherche forestière et de New Forests.

    Chercheure en écologie forestière, Morgane Urli s’intéresse aux impacts des changements globaux et de l’aménagement forestier sur la dynamique des peuplements forestiers, et à une plus large échelle, sur l’aire de répartition des arbres. À travers ses différentes recherches, elle cherche toujours à vulgariser ses travaux sous différentes formes et à faire découvrir les coulisses du métier de chercheur : www.morganeurli.com/chercheurjourapresjour

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