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Eve Seguin, Université du Québec à Montréal

Mon collègue Ken Westhues de University of Waterloo, vieux routier de la sociologie du mobbing académique, m’a semoncée : « Tu aurais dû t’y attendre! ». Et c’est vrai, je ne m’y attendais pas.

ImageLes trois textes sur le mobbing que j’ai publiés en septembre 2016 ont provoqué un véritable raz de marée dont j’ai été la première noyée. La version longue, parue dans ma chronique du présent Magazine, est à l’origine du commentaire qui me paraît le plus significatif. J’y reviendrai plus bas. Les autres textes sont deux versions, l’une française, l’autre anglaise, publiées par Affaires universitaires/University Affairs (AU/UA). Moins de deux mois après leur publication, elles avaient été lues par plus de 10 000 personnes. La version anglaise, « Academic mobbing, or how to become campus tormentors », a été classée dans le Top Ten de Academica, et dans le Top Seven de AU/UA pendant plusieurs jours.

Dès lors, rien d’étonnant à ce que j’aie été inondée de coups de téléphone et de courriels en provenance du Québec, du Canada, et des États-Unis. En particulier, je ne compte plus le nombre de cibles qui me contactent pour me demander de l’aide. L’un de leurs défenseurs, un délégué syndical canadien, est venu me voir à mon bureau, officiellement au motif d’obtenir des conseils. En réalité, il avait besoin de confier à une oreille compréhensive que son université est « au bord de l’implosion » à cause de la sévérité du mobbing. Il n’avait d’ailleurs pas l’intention de renouveler son mandat car, disait-il, c’était trop lourd à porter. Il craignait de faire un burn-out. Dans son syndicat, il est le seul à se préoccuper du problème et à essayer de l’endiguer. Rien de neuf sous le soleil. Si les hautes directions des organisations sont responsables de ce crime qu’est le mobbing en milieu de travail, les syndicats en sont objectivement les alliés, surtout dans les universités : un syndicat de professeurs ne prend pas la défense de l’un de ses membres ciblé par d’autres membres.

Pour d’évidentes raisons démographiques, c’est le texte de UA qui a généré le plus de commentaires. Il en ressort deux choses. Premièrement, et sans surprise, on trouve la petite minorité (deux commentaires) qui questionne ouvertement la réalité du mobbing1. Se comportant comme de braves climatosceptiques, ils balayent du revers de la main les résultats produits par plusieurs décennies de recherche sur le mobbing. Prenant acte de cette incrédulité, la professeure Adèle Mercier de Queen’s University a rédigé un commentaire qui explique brillamment les différents moyens, accords de confidentialité et suicide notamment, par lesquels les cibles de mobbing sont réduites au silence. Cela expliquerait, selon elle, que bien des gens demeurent ignorants de la prévalence et de la gravité du mobbing en milieu universitaire.

Deuxièmement, il y a tous les autres commentaires de mon texte de UA, c'est-à-dire la majorité, qui affirment n’avoir jamais lu de description plus fidèle du processus de mobbing. Pour se faire une idée de la teneur de ces réactions, considérons ces quelques extraits en version originale anglaise:

  1. This is an outstanding article. Those of us who have worked with complicated personnel issues have seen these cases, and I believe it is accurate to link them to academic culture2.
  2. This is heart-wrenching and so true. Mobbing is most effectively exercised against people without job security, obviously. However, versions of excommunication also work to reframe tenured faculty as losers (who may or may not choose to stay on)3.
  3. Interesting article. I would welcome your thoughts on how to defend yourself (and stay mentally strong) if you find yourself to be a target4.
  4. Thank you for writing this piece. I lost my career to academic mobbing–which went so far as to subject me to a Homeland Security investigation, write to me that they would ensure I was shunned by my national colleagues, and even reported my then ten-year-old daughter to the FBI Joint Terrorism Task Force for suggesting I bake cookies for my department chair (a diabetic)5.
  5. Merci, merci, Eve Séguin. Outstanding article, none too timely, and perfectly accurate6.
  6. This is the most accurate, condensed description of workplace mobbing I’ve seen. Having experienced it myself and most likely taken part in it without knowing I was skipping along with a lynch mob, I can attest to every item listed here. Sharing with my whole social network7.

Ce dernier commentaire est très proche de celui auquel il a été fait allusion en introduction. Quelques heures après la publication dans le Magazine de l'Acfas de « Mobbing, ou l’extermination concertée d’une cible humaine », texte qui décrit le processus de manière plus extensive que ceux de AU/UA, le Vice-doyen aux études de la Faculté des sciences de l’Université de Sherbrooke, le professeur Jean Goulet, envoyait ce commentaire à la directrice générale de l’Acfas :

« Ouf, un article époustouflant sur le mobbing. Pas de rectitude politique ni de langue de bois dans ça! Bravo. Je suis certain que tout le monde qui va lire ça auront immédiatement un cas précis qui leur reviendra en mémoire et les interpellera! Ils se diront Hey! J'ai déjà fait ça moi aussi! ».8

Ce commentaire est précieux pour quatre raisons. D’abord, son auteur n’affirme pas être, ou avoir été, une cible. Ensuite, il occupe une position d’autorité dans son université. En général, administrateurs et dirigeants n’ont ni le courage ni le leadership nécessaires pour admettre que le mobbing existe dans leur organisation. Crucialement, il affirme que tous les chercheurs ont été en contact avec le mobbing et que le texte est susceptible de leur en faire prendre conscience. Enfin, et surtout, il pose que nous sommes tous coupables. Cela est indéniable. Même les jeunes chercheurs, ou ceux récemment embauchés, sont susceptibles d’avoir participé à une ou plusieurs campagnes de mobbing, notamment à titre d’étudiants ou de postdoctorants. Pourquoi est-il si important de reconnaître cette culpabilité collective? Parce que tous coupables, nous avons tous intérêt à l’inexorable loi du silence qui règne dans nos organisations. Et cette loi du silence, même les cibles l’observent parce qu’elles ont honte de ce qu’elles subissent. Le mobbing est, sans aucun doute, le secret le mieux gardé du monde de la recherche, des universités en particulier. Comme dans les familles où le père abuse sexuellement de l’une de ses filles, chacun le sait, personne ne veut en parler, et tout le monde l’accepte.

Mes articles de septembre 2016 ont ouvert une brèche dans cette morbide loi du silence. Ils ont permis une libération de la parole dont il faut espérer qu’elle se poursuivra. A défaut, un crime continuera d’être perpétré quotidiennement dans des milieux de travail où la violence a été naturalisée. Des chercheurs compétents, intelligents, autonomes, dévoués, créatifs, continueront d’être détruits par notre aveuglement collectif et, plus encore, par l’absence de leadership et la faiblesse des hauts dirigeants et administrateurs de nos organisations dysfonctionnelles.

 

Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans le Magazine de l'Acfas n’engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

  • 1Afin d’éviter aux fétichistes de la statistique la peine de devoir intervenir, soulignons d’emblée que ces commentaires ne sont pas statistiquement représentatifs. Leur valeur est, bien entendu, toute autre. Ajoutons que la quantification n’ayant pas beaucoup de sens sur les petits nombres, il serait superfétatoire de mentionner que les deux commentaires minoritaires ne représentent que 11,7% du total.
  • 2[Traduction par la rédaction] C'est un article remarquable. Ceux d'entre nous qui ont travaillé autour des questions complexes relatives au personnel ont vu ces cas, et je crois qu'il est exact de les relier à la culture universitaire.
  • 3[Traduction par la rédaction] C'est déchirant et si vrai. Le mobbing s'exerce avec le plus d’efficacité contre les personnes sans sécurité d'emploi, évidemment. Cependant, certaines versions de l'excommunication visent aussi à recadrer les professeurs titulaires comme des perdants (qui peuvent ou non choisir de rester).
  • 4[Traduction par la rédaction] Article intéressant. Je serais heureux de vous entendre sur le comment s'en défendre (et demeurer solide mentalement) quand on devient une cible.
  • 5[Traduction par la rédaction] Merci d'avoir écrit ce papier. J'ai perdu ma carrière face au mobbing académique - qui est allé aussi loin qu'une enquête de la sécurité intérieure, des textes stipulant que mes collègues nationaux me rejetaient et même m’a fille a été reporté à un FBI Joint Terrorism Task Force pour avoir dit que je cuisinais des biscuits pour mon président du département (un diabétique).
  • 6[Traduction par la rédaction] Merci, merci, Eve Séguin. Article exceptionnel, venant à propos et parfaitement juste.
  • 7[Traduction par la rédaction] C'est la description la plus précise et la plus condensée de l'intimidation sur le lieu de travail que j'ai vue. Ayant expérimenté moi-même et très probablement y pris part sans savoir que je me joignais avec un « lynch mob », je peux attester de tous les éléments énumérés ici. Je vais partager avec tout mon réseau social.
  • 8Commentaire aussi publié en ligne au bas de l'article : http://www.acfas.ca/publications/decouvrir/2016/09/mobbing-exterminatio…

  • Eve Seguin
    Université du Québec à Montréal

    Eve Seguin détient un doctorat en sciences politiques et sociales de l’Université de Londres (Royaume-Uni). Spécialiste du rapport entre politique et sciences, elle est professeure de science politique et d’études sociales sur les sciences et les technologies à l’UQAM. Ses recherches portent sur les controverses technoscientifiques publiques, l’interface État/sciences/technologies, et les théories politiques des sciences.

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