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Morgane Lemasson, Université Laval
En 2001, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait déjà qu’une personne sur quatre allait être touchée par un trouble psychiatrique ou neurologique au cours de sa vie.

[81e Congrès de l'Acfas, colloque 112 - Recherche de biomarqueurs et de biothérapeutiques en santé mentale]

Aujourd’hui, plus question de fermer les yeux. Les maladies mentales connaissent une croissance fulgurante et nous affectent aveuglément sans égard au sexe, à la culture, au revenu ou à la région du monde! En 2001, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait déjà qu’une personne sur quatre allait être touchée par un trouble psychiatrique ou neurologique au cours de sa vie. Un chiffre plus qu’inquiétant, et qu’il serait périlleux d’ignorer face au fardeau psycho-socio-économique des maladies neuropsychiatriques à l’échelle planétaire.

À qui la faute? Il y a de très nombreuses causes, on s’en doute, mais, parmi celles-ci, l’efficacité de l’intervention thérapeutique est particulièrement pointée du doigt. Comment en serait-il autrement alors que nos connaissances sur les origines de ces pathologies sont encore nébuleuses et que les centres de recherche pharmaceutique, en charge jusqu’à présent de la conception des médicaments en psychiatrie, ferment massivement?

Même si la mission des laboratoires universitaires est pressante et s’alourdit, de nouvelles issues prometteuses voient le jour. Un dépistage précoce des maladies mentales, des thérapies pharmacologiques personnalisées et de nouvelles approches alternatives aux médicaments, voilà trois importantes pistes de solutions envisagées en recherche fondamentale.

Un constat alarmant

Il est difficile de se faire une idée précise de l’impact global des maladies mentales. Les données statistiques disponibles sont un véritable casse-tête, et elles sont limitées et incomplètes. Cependant, au vu des rapports existants, la prévalence des troubles neuropsychiatriques connaît une telle ampleur que la santé mentale est maintenant reconnue comme une priorité internationale par l’Organisation des Nations Unies (ONU).

En 20011, l’OMS évaluait à près de 450 millions le nombre de personnes souffrant de maladies mentales dans le monde. La schizophrénie et le trouble bipolaire affecteraient 16 millions de personnes dans les pays du G7 et 10 autres millions seraient touchés par une dépression majeure récurrente. « À elles seules, ces trois pathologies, les plus sévères en psychiatrie, affectent 26 millions d’individus. Pour donner un ordre d’idée, cette prévalence équivaut à plus de 75 % de la population du Canada! », s’indigne le Dr Michel Maziade, médecin-psychiatre et directeur scientifique de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec (IUSMQ). Une situation préoccupante qui malheureusement ne cesse de se dégrader. « Selon les prévisions de l’OMS, ces chiffres croîtront encore de façon démesurée dans les prochaines décennies », renchérit Simon Racine, directeur général de l’IUSMQ. La santé mentale, qui représente déjà 13 % de la charge de morbidité planétaire, atteindra les 15 % dans une dizaine d’années, prédit-on2. L’expansion de ces pathologies n’épargne pas le Québec, qui devrait compter près de 1,8 million de patients en 20313. Des statistiques peu réjouissantes, et dont les conséquences sont à la fois individuelles et sociétales.

En altérant la cognition, les émotions et les comportements, les maladies mentales amenuisent les aptitudes sociales, relationnelles, professionnelles et économiques de l'individu. « Les problèmes d’adaptation qu’ont les personnes en proie à des pathologies neuropsychiatriques se traduisent par des difficultés dans chaque sphère de la vie courante », commente Simon Racine. Explosion de la cellule familiale, cessation des études, perte d’emploi et difficultés d’insertion sociale ne sont que quelques exemples des obstacles que doivent surmonter les patients. Une souffrance au long cours qui aboutit souvent à la précarité, à l’exclusion, à des conduites à risque, ou pire, à une solution plus radicale. Chaque année, dans le monde, c’est un million d’humains qui mettent fin à leurs jours4. Impossible, dites-vous? Pourtant les spécialistes sont formels : le nombre de suicides par an était déjà supérieur à l’ensemble des morts attribuables aux guerres et aux homicides confondus en 20025.

La santé mentale, qui représente déjà 13 % de la charge de morbidité planétaire, atteindra les 15 % dans une dizaine d’années.

Les effets en chaîne des problématiques de santé mentale ne s’arrêtent pas là. Au-delà des répercussions émotionnelles, les conséquences économiques de ces pathologies sont colossales, car vastes, multiples et durables. En première ligne figurent les coûts alloués aux soins (traitements, visites médicales, comorbidité, hospitalisations, etc.). À ces frais s’ajoutent des dépenses indirectes de grande portée liées aux besoins sociaux, à l’impact sur les familles, à la criminalité, à la sécurité publique, à la perte d’emploi, à l’absentéisme ou à la baisse de productivité. Par exemple, la santé mentale trône en première place des causes d’absentéisme au travail dans le monde.

L’OMS prévoit d’ailleurs que la dépression sera la première cause mondiale d’invalidité d’ici 20206.De plus, parce qu'elles sont de longue durée, les maladies mentales sont particulièrement onéreuses. Étant donné l’apparition précoce de ces troubles, soit entre 16 et 24 ans, leurs répercussions négatives se font sentir pendant près de 50 ans. « Contrairement à une pathologie très agressive, comme le cancer, ou à une autre qu’on soigne, comme l’hypertension artérielle, les désordres neuropsychiatriques ne sont pas mortels – sauf en cas de suicide – et ne guérissent jamais totalement. C’est pourquoi la charge financière qu'ils impliquent est si élevée », précise Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec. En bref, le budget annuel alloué à la santé mentale a été estimé à 51 milliards de dollars pour le Canada en 2008 contre 570 milliards pour les États-Unis7,8.

Compte tenu de l’ampleur de la situation et de la conscientisation des gouvernements actuels, pourquoi n’arrive-t-on pas à trouver des solutions?

Une « bête » à mille têtes

Les troubles mentaux sont une vaste collection de pathologies aux symptômes extrêmement variés. On dénombre près de 1000 maladies neuropsychiatriques, toutes composées d’une variation de nombreux dysfonctionnements cérébraux différents. De plus, si plusieurs de ces maladies partagent des symptômes communs, deux patients souffrant d’une même pathologie peuvent aussi présenter des atteintes distinctes. « L’hétérogénéité de ces syndromes rend les études fondamentales et cliniques difficiles à comparer et cela diminue d’autant la portée des résultats. Il en ressort que depuis 40 ans, et ce, malgré les excellents travaux publiés dans les meilleures revues et les progrès indéniables, on ne connaît toujours pas l’étiologie précise des maladies mentales », constate Michel Maziade. Voilà qui illustre bien toute la complexité des approches diagnostiques et des thérapies médicamenteuses.

Trouver un traitement adéquat pour chaque malade est un travail de longue haleine.

Fondés sur la symptomatologie des troubles mentaux, les traitements médicamenteux disponibles aujourd’hui soulèvent de sérieuses questions quant à leur réel bénéfice thérapeutique. Certains traitements pharmacologiques (antidépresseurs, anxiolytiques et thymorégulateurs), en usage depuis 1952, ont largement amélioré la condition de vie des patients et profondément transformé l’approche thérapeutique en psychiatrie. 

Pourtant, après près de 60 ans d’utilisation, plusieurs constats d’échecs apparaissent maintenant évidents. Leur efficacité est tardive (après quatre semaines), partielle, et elle diffère selon le type de médicaments et, considérablement, d’un individu à un autre. Difficile alors de déterminer à l’avance le médicament qui convient à une pathologie et à un patient particuliers!  Pire encore, ils induisent, la plupart du temps, divers effets secondaires, voire des changements d’humeur ou, dans une moindre mesure, des pensées suicidaires. « Contrairement à beaucoup d’autres spécialités médicales, aucun biomarqueur (indicateur de processus physiologique ou pathologique, ou de l’action de médicaments) ni outil de dépistage n’existent en santé mentale pour guider les psychiatres », ajoute Rémi Quirion. Les diagnostics et les prescriptions reposent donc uniquement sur les symptômes cliniques, le principe d’essai/erreur et le tâtonnement du cas par cas. Trouver un traitement adéquat pour chaque malade est un travail de longue haleine.  Beaucoup d’efforts mis en œuvre pour un résultat incertain! 

Un système de recherche en mutation

Renforcer la recherche en santé mentale est donc impératif pour que de nouvelles thérapies mieux ciblées et libres d’effets secondaires voient le jour. Seulement, le contexte de crises qui sévit dans le secteur pharmaceutique apporte un degré de complexité supplémentaire. 

Jadis, la recherche et le développement des médicaments neuropsychiatriques étaient l’apanage de l’industrie pharmaceutique. Mais depuis quelques années, ce secteur est en pleine mutation. « En raison des échéances imminentes de certains brevets, du déclin drastique de la productivité, d’une pression grandissante pour réduire les coûts de production et du rapport disproportionné entre la prise de risques et les bénéfices, la recherche fondamentale dans le secteur pharmaceutique a décliné depuis 20 ans », raconte Michel Maziade. Les compagnies pharmaceutiques se concentrent désormais sur la production de composés déjà existants au détriment du développement de nouvelles générations de molécules thérapeutiques. L’industrie en difficulté passe donc le flambeau à l’université ! « Autrement dit, un nouveau modèle, axé sur la collaboration et l’externalisation de la recherche, se met en place : les laboratoires de recherche universitaires et les petites entreprises de biotechnologie seraient responsables de l’identification de molécules aux propriétés thérapeutiques tandis que le secteur pharmaceutique interviendrait aux stades préclinique et clinique », ajoute Rémi Quirion.

Loin d’être de mauvais augure, cette nouvelle politique offre au contraire des espoirs. « Le cerveau est un organe difficile à évaluer “vivant” et qui requiert la considération conjointe des composantes cognitive, physique et émotive. Pour appréhender les maladies mentales, nous avons donc impérativement besoin d’une recherche multidisciplinaire» explique Jean Martin Beaulieu, directeur de recherche à l’IUSMQ. Le milieu universitaire, qui propose des méthodologies et des technologies innovantes, et qui relie plusieurs domaines d’expertise (biologie, médecine, physique, informatique), semble proposer une stratégie prometteuse en santé mentale. Impliqué déjà depuis des décennies dans la recherche en ce domaine, il est un secteur de choix pour relever le défi.

Une stratégie à tiroirs multiples

Pour mieux comprendre les pistes de recherche thérapeutiques proposées par les chercheurs en santé mentale, revenons sur notre compréhension de ces pathologies et des médicaments associés. Il est désormais établi que les troubles mentaux seraient causés par de multiples facteurs tant génétiques, physiques, psychologiques qu’environnementaux. Le modèle actuel postule que ces facteurs produiraient un déséquilibre neurobiologique, y compris principalement des changements du niveau de certains messagers chimiques cérébraux, les monoamines (dopamine, sérotonine, noradrénaline).  Le déséquilibre neurochimique des monoamines serait responsable de l’émergence des maladies mentales. En ciblant les grands systèmes monoaminergiques, les traitements médicamenteux (antidépresseurs, anxiolytiques et thymorégulateurs) développés depuis 1952 permettent de pallier du moins en partie ce déséquilibre neurochimique. Comment explique-t-on alors les problèmes d’efficacité et de tolérance liés à ces médicaments? Il semble que si ces composés activent au sein des neurones des mécanismes biologiques responsables d’effets thérapeutiques, ils en génèrent de nombreux autres, encore inconnus, aux impacts  négatifs (effets délétères).

Associer à chaque symptôme un mécanisme précis, voilà donc une des stratégies envisagées par les chercheurs pour améliorer les performances des médicaments pharmacologiques courants. « Des efforts sont faits, en ce moment, pour mieux comprendre l’ensemble de ces processus dits intracellulaires  (au sein des cellules) afin de différencier les mécanismes d’action associés aux effets thérapeutiques et ceux responsables des effets secondaires », précise Jean Martin Beaulieu. 

Une fois ce puzzle reconstitué, le rapport efficacité/tolérance des médicaments prescrits sera maximisé.  Un autre pendant de la recherche devrait mener à l’identification de nouvelles cibles thérapeutiques, différentes de celles des médicaments d’aujourd’hui, telles que les systèmes monoaminergiques. « Depuis une dizaine d’années, on se penche sur des molécules, dont la kétamine – initialement utilisée comme anesthésiant –, qui aurait un effet antidépresseur plus rapide », précise Jean Martin Beaulieu.

Hors de la pilule, un salut

Si de nos jours l’administration de médicaments reste la première forme d’intervention, des voies non pharmacologiques sont explorées. Et, dans ce domaine, les possibilités semblent nombreuses. Nous connaissons d’ores et déjà les thérapies psychosociales et cognitives, qui donnent de bons résultats en conjonction avec les médicaments. Au-delà de ces interventions psychocognitives se développent d’autres méthodes impliquant une manipulation directe du cerveau, dont certaines sont en cours de validation. « Plusieurs avancées ont été accomplies pour ce qui concerne l’implantation d’électrodes dans le cerveau pour stimuler certaines régions précises. D’autres méthodes moins invasives, dont la stimulation électrique et magnétique transcrânienne, ont déjà été approuvées pour soigner les dépressifs qui ne répondent pas aux médicaments », signale Jean Martin Beaulieu. Parallèlement, les études évaluant l’impact des méthodes dites « naturelles » sur les maladies mentales se multiplient. Exercice physique, yoga et méditation auraient un pouvoir antidépressif.

Exercice physique, yoga et médiation auraient un pouvoir antidépressif.

L’ensemble de ces approches visent à atténuer les conséquences et non à soigner les causes primaires des maladies mentales, pensez-vous? Effectivement, et c’est pourquoi d’autres types d’études cherchent à agir directement sur les origines des désordres psychiatriques. « Certaines recherches sont plutôt basées sur l’étiopathologie des maladies mentales afin d’intervenir avant le déclenchement de la maladie ou à ses stades les plus précoces, soit au moment de la grossesse, de l’enfance et de l’adolescence », clarifie Michel Maziade. Une voie qui semble particulièrement prometteuse est l’identification de biomarqueurs prédictifs et pronostiques. Les premiers sont présents dans l’organisme avant l’apparition des pathologies, alors que les seconds favorisent le suivi de leur évolution clinique et de la réponse aux traitements, optimisant ainsi l’index thérapeutique. « Toutes les personnes déprimées ne présentent pas des atteintes identiques. Lorsque l’on pourra différencier les sous-types de dépression ou de toute autre pathologie psychiatrique, on sera en mesure de proposer des approches thérapeutiques plus spécifiques. Cela reste très difficile, mais des progrès considérables sont réalisés pour tendre vers une médecine prédictive et personnalisée », affirme Rémi Quirion. Comme nous l’explique Michel Maziade : « Il existe déjà plusieurs marqueurs candidats prometteurs (génétiques, moléculaires, cellulaires, comportementaux). » La notion de biomarqueur doit être prise au sens large : tests psychologiques, molécules présentes dans le sang, dans les liquides corporels ou les tissus des patients. 

Favoriser un meilleur lien entre le diagnostic et le traitement, améliorer le rapport efficacité/tolérance des psychotropes traditionnels et imaginer de nouvelles approches thérapeutiques complémentaires sont autant d'enjeux déjà abordés en recherche universitaire fondamentale! Voilà un bel espoir de diminuer les problématiques de santé mentale onéreuses économiquement et émotionnellement. 

Sources :

  • 1.Rapport de l’Organisation mondiale de la santé, 2001
  • 2.Message du Ministère de la Santé, 2011
  • 3.Planification stratégique de l’Institut de santé mentale de Québec, ISQ, 2011
  • 4. A. FLEISCHMANN et J.M. BERTOLOTE, « Suicide and psychiatric diagnosis: a worldwide perspective », World Psychiatry, vol. 1, no 3, octobre 2002, p. 181-185.
  • 5.OMS, Incidence mondiale, rapport de 2002, chapitre 2.
  • 6.Énoncé de vision du système de santé et des services sociaux des années 2020, Rapport de l’Association québécoise d’établissements de santé et de services sociaux, 2012.
  • 7.The Global Business and Economic Roundtable for Addiction and Mental Health report, 2011. 
  • 8.« A new population-based measure of the economic burden of mental illness in Canada », Chronic diseases in Canada, 2008.

  • Morgane Lemasson
    Université Laval

    Morgane Lemasson est détentrice d’un doctorat de neurosciences de l’Université de Paris VI. En 2005, elle se joint au laboratoire du Dr Armen Saghatelyan à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec afin d’y effectuer un premier post-doctorat sur les mécanismes de migration neuronale chez l’adulte; travail qui a fait l’objet d’une publication en coauteur avec Marina Snapyan (The Journal of Neuroscience, avril 2009, 1;29 (13) : 4172-88). Travaillant présentement au laboratoire du Dr Martin Beaulieu, Morgane Lemasson réalise une étude sur les maladies mentales et l’effet des antidépresseurs sur le cerveau.

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