Informations générales
Événement : 92e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :L’intégration des expertises disciplinaires dans l’étude des problèmes sociaux est aujourd’hui indispensable au vu non seulement de leur complexité et de leur singularisation croissantes (Otero, 2013), mais des réductionnismes, raccourcis, déplacements, recadrages, amalgames et intensifications qui les alimentent à l’ère d’une montée des populismes et des polarisations (politiques, morales, culturelles, économiques, identitaires, etc.). Par ailleurs, il est essentiel d’examiner comment la multiplication des efforts de reconnaissance de la diversité des formes vécues des problèmes sociaux (distorsions, colères, haines, intimidations, indignités, dysrégulations, dépendances, épuisements, invalidations, fragilisations, épreuves, manques, etc.) est associée à de nouvelles manières de comprendre, de soutenir et d’améliorer, mais également de surveiller, de favoriser et de punir.
L’interface comme concept ouvre une voie particulièrement féconde pour appréhender les problèmes sociaux et les problématisations du social dans un monde différencié, médiatisé, déhiérarchisé, détraditionnalisé, émotionalisé et précarisé où les tensions, paradoxes et contradictions sont de plus en plus incarnés et problématisés à travers une multitude de projections. Une interface est une relation, un lien, un pont, ou une jonction qui permet une connexion signifiante entre des éléments dissemblables. Elle est également la limite, la frontière, la clôture ou l’obstacle qui génère la distance dont dépend la circulation productive de signes.
Ce colloque est l’occasion de réfléchir ensemble aux tensions contemporaines et à ce qu’elles génèrent, y compris les tensions entre les regards disciplinaires, entre les angles de problématisation, et entre les manières de situer et d’incarner les problèmes. Nous assisterons à la présentation de problématisations et de problématiques actuelles et actualisées autour de thèmes tels que l’intimité, le travail, l’extrémisme, la vaccination, le contrôle et la surveillance, les psychotropes, les dépendances, l’anxiété, la construction des problèmes sociaux, le vieillissement et les jeunes vivant un premier épisode psychotique.
Date :Format : Sur place et en ligne
Responsables :- Valérie De Courville Nicol (Université Concordia)
- Johanne Collin (UdeM - Université de Montréal)
- Henri Dorvil (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Programme
Culture normative / communication : conférence d’ouverture
Problématisation : Comment circule la normativité à l'ère du numérique et des manières contemporaines de rendre visible ?
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Communication orale
Problématiser la liberté. La réinvention du contrôle social informel.Danilo Martuccelli (Université Paris Cité - Universidad Diego Portales)
Il est possible d'interpréter le parcours intellectuel de Marcelo Otero à partir de deux grands axes. D'un côté, son durable attachement critique au thème de la liberté et les défis spécifiques que cet idéal pose dans la vie sociale. D'un autre côté, toute son œuvre aborde les phénomènes sociaux sous la forme, à la suite notamment des travaux de Michel Foucault, d'une série de problématisations. Pour Marcelo, l'affermissement de la liberté est indissociable de la construction des problèmes sociaux, de la capacité à rendre problématique ce qui ne l'est pas ou guère dans la vie sociale.
En nous inscrivant dans ce double sillage nous proposerons de problématiser les liens entre la liberté et la réinvention des contrôles sociaux informels dans les sociétés contemporaines. Le récit associant l’émancipation individuelle au déclin du contrôle social informel et à l’expansion de l’anonymat urbain est largement battu en brèche dans les sociétés contemporaines. La révolution numérique et la montée d’un ensemble de nouveaux mandats de visibilité posent une série de nouveaux défis pour les libertés individuelles et collectives. A partir d'un regard critique, nous présenterons cinq grandes problématisations de la réinvention du contrôle social informel : la publicisation punitive des conduites, le dénigrement des réputations, la censure des mots, les regards intrusifs, les nouvelles contraintes d’urbanité.
Souffrance partagée / problème social
Problématisation : Qu'est-ce qui relie les expériences de déplaisir collectives à leurs problématisations sociales ?
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Communication orale
Le vieillissement, un problème social ?Éric Gagnon (VITAM-Centre de recherche en santé durable)
Je chercherai à montrer comment le vieillissement de la population est devenu un problème social aujourd’hui au Québec. Je chercherai ensuite à montrer, au plan de l’expérience individuelle, comment la vieillesse est devenue une pathologie, c’est-à-dire un déclin des facultés et un ensemble de limitations à compenser. J’indiquerai enfin quelques pistes pour nous déprendre de ces visions très dépréciatives et simplificatrices, en élargissant les perspectives, à la fois par la prise en compte de phénomènes extérieurs au vieillissement et par l’exploration de l’expérience du vieillissement.
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Communication orale
L’anxiété comme objet et moteur de nos problématisationsValérie De Courville Nicol (Université Concordia)
Nous problématisons tant de phénomènes aujourd’hui, dont nos perceptions et celles des autres, la crise climatique, les fausses nouvelles, la polarisation culturelle, les maladies chroniques, l’intelligence artificielle, la cyberdépendance, et les injustices. Ces préoccupations font partie du vaste champ des insécurités que nous appréhendons collectivement et souvent aussi individuellement avec anxiété, auxquelles s’ajoute l’anxiété elle-même. L’expérience anxieuse forme aujourd’hui un objet dérangeant que nous cherchons à connaître afin de mieux intervenir sur lui. Mais avant d’être l’objet de nos problématisations, l’anxiété en est le moteur. Comment comprendre ce que nous ressentons et ce que nous faisons de manière sociologique ? D’abord, je démontre que la préoccupation culturelle pour le phénomène de l’anxiété est notre manière collective de cerner et de préciser ce qui nous insécurise. Les insécurités sont les objets de l’expérience anxieuse. Ensuite, je qualifie d’expérience anxieuse cette attention évaluative et normative qui configure, oriente et alimente nos pratiques. Si on s’intéresse à ce qui nous heurte ou nous inquiète, c’est que l’anxiété nous incite à articuler les perceptions de menace (les insécurités) et à délimiter des champs au sein desquels on peut et on souhaite intervenir (santé mentale, santé publique, normativité sociale, gouvernance, abus de pouvoir, distorsions collectives, etc.) en tant qu’enjeux dans les problèmes sociaux.
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Communication orale
La culture thérapeutique et le problème de la « fragilité » des liens intimesMartin Blais (UQAM), Chiara Piazzesi (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Dans les sociétés occidentales contemporaines, les liens intimes oscillent entre l’idéal de compatibilité et la reconnaissance des singularités individuelles. Au sein de la culture thérapeutique, des outils comme les cinq langages de l’amour et les versions vulgarisées de la théorie de l’attachement offrent des cadres explicatifs aux expériences amoureuses. Fondée sur 50 entretiens menés au Canada, cette recherche explore leur intégration dans les récits et stratégies relationnelles. Les résultats montrent que ces théories facilitent l’interprétation des interactions amoureuses, la communication et la gestion des différences. Les cinq langages de l’amour sont mobilisés pour identifier les modes d’expression affective, tandis que la théorie de l’attachement resitue les comportements dans un cadre biographique. Toutefois, la rigidité de ces catégories peut figer les individus et imposer un impératif de compatibilité fabriquée. En normalisant une lecture psychologique des relations, ces outils inscrivent l’amour dans une logique d’optimisation et d’individualisation, où la stabilité conjugale devient une compétence à acquérir.
Culture de la classification / normativité et intervention
Problématisation : De quelles manières nos classifications influencent-elles les manières de voir, d'être et de faire ?
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Communication orale
Problématiser le médicament au-delà de la sociologie de la santé : agentivité et décloisonnement des oppositions binairesJohanne Collin (UdeM - Université de Montréal)
Depuis longtemps déjà, le médicament n’est pensé que comme un outil thérapeutique dont la finalité est de soigner, de guérir ou de contrôler ou de prévenir la maladie. Pour autant, au sein des approches théoriques de la médicalisation, de la biomédicalisation et de la pharmaceuticalisation, le médicament est relativement peu conceptualisé et est le plus souvent appréhendé comme un avatar, une incarnation, de forces sociales plus larges.
Au-delà de ces perspectives macrosociales, on peut cependant envisager le médicament comme un opérateur de flux qui déplace les frontières et redéfit les interfaces entre le normal et le pathologique, entre nature et artifice, et entre singularisation et conformité aux normes sociales. En outre, les problématisations autour du médicament rendent incontournables une posture théorique s’inspirant à la fois du nouveau matérialisme et des critical drug studies dans la façon d’appréhender le médicament : son agentivité et le décloisonnement qu’il commande entre des oppositions binaires (drogue/médicament ; substance licite ou illicite ; usage fonctionnel ou dysfonctionnel ; pratique thérapeutique ou /productivitste, etc.). Dans cette communication, je développerai cet argumentaire en prenant appui sur deux cas de figure qui permettent de reproblématiser le médicament : le cas des smart drugs et celui des psychédéliques.
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Communication orale
Déconstruire les cloisons : Fragmentation des services et obstacles au rétablissement des jeunes en situation d’itinérance vivant un premier épisode de psychoseAmal Abdel-Baki (Université de Montréal), Julie Marguerite Deschênes (UdeM - Université de Montréal)
Les jeunes en situation d’itinérance confrontés à un premier épisode de psychose cumulent plusieurs vulnérabilités, rendant leur accès aux soins et leur sortie de la rue particulièrement complexes. La fragmentation des services de santé mentale et sociaux, combinée aux barrières administratives et au manque de coordination intersectorielle, entraîne des ruptures de suivi et des trajectoires institutionnelles fragmentées. Cette présentation analyse l’impact des interfaces entre les systèmes impliqués—santé, services sociaux, justice et organismes communautaires—et comment elles façonnent les parcours de ces jeunes. L’absence de coordination entre les secteurs et la rigidité des critères d’admission limitent l’accès aux ressources adaptées, contribuant ainsi à leur marginalisation et à des hospitalisations répétées. En mobilisant le concept d’interface, cette analyse mettra en lumière les tensions structurelles qui entravent l’accès aux soins et l’inclusion sociale. Des modèles d’intervention intégrée et collaborative, tels que le travail en réseau, les services intégrés, les équipes mobiles et la pair-aidance, seront explorés comme leviers pour surmonter ces obstacles. Des initiatives comme le Réseau d’intervention de proximité auprès des jeunes (RIPAJ), ACCESS-Esprits-Ouverts et les Aires Ouvertes illustreront des approches novatrices visant à décloisonner les services et favoriser un accompagnement plus souple et inclusif.
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Communication orale
Repenser la catégorisation des extrémismes : vers une approche multidimensionnelle de l’engagement violentLucile Dartois (UQAM - Université du Québec à Montréal), Vicky Laprade (CPRMV)
Dans les dernières décennies, le champ de la prévention de l’extrémisme violent s’est largement développé à l’échelle mondiale. Au Québec, le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV), fondé en 2015, a initialement adopté une typologie en quatre catégories pour décrire les mouvances concernées par le processus de radicalisation, soit: extrême droite, extrême gauche, extrémisme politico-religieux et extrémisme à cause unique.
Pour répondre à des doutes soulevés par les équipes de terrain concernant la pertinence de cette typologie en contexte de prévention, l’équipe de recherche du CPRMV a développé une approche multidimensionnelle des idéologies extrémistes. Plus précisément, nous proposons cinq dimensions visant à explorer les nuances, les dynamiques et les interconnexions entre les différentes facettes des idéologies extrémistes: dimensions socioéconomiques ; religieuses et spirituelles ; ethnonationales ; liées au genre et à la sexualité ; liées à l’autorité et à l’autonomie individuelle.
Dans la présentation, on donne à voir le cheminement du travail de réflexion en abordant dans un premier temps les limites d’une typologie classique, puis les intérêts d’une approche multidimensionnelle des idéologies extrémistes. L’interface est ici un support pour penser la catégorisation des extrémismes et, plus précisément, pour appréhender les frontières floues et dynamiques entre les systèmes de croyances.
In / conscient : un problème social pour qui et à quelle fin?
Problématisation : Qu'est-ce qui se joue à l'interface de ce dont nous n'avons pas conscience et de ce qui nous empêche ou nous incite à le devenir ?
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Communication orale
L’ambivalence au cœur du bien-être au travail : au-delà des appréhensions binairesStéphane Moulin (UdeM - Université de Montréal)
Le mal-être au travail est souvent appréhendé soit sous l’angle de l’insatisfaction au travail, soit sous celui des effets négatifs du travail sur la santé. De nombreux outils psychométriques ont été proposés pour identifier les individus en souffrance. Or ces approches classificatoires font face à deux limites. D’une part, les chevauchements et interconnections entre les dimensions cognitives et affectives conduisent à adopter une approche plus intégrée, dépassant la dichotomie entre le rationnel et l’émotionnel. D’autre part, l’expérience du travail apparaît marquée par une ambivalence intrinsèque entre les dimensions positives et négatives. Comment donc penser les problèmes au travail sans réduire ces interconnexions et ambivalences ? Afin de mieux comprendre le mal-être au travail, à l’interface entre souffrance partagée et problématisation sociale, il est essentiel de passer, comme le préconisait Marcelo Otero, d’une perspective centrée sur les populations problématiques à une approche axée sur les dimensions socialement problématisées. Trois grandes dimensions peuvent être distinguées à cet égard : les expositions psychosociales aux contraintes organisationnelles ; les dispositions éthiques, socialement incorporées, activées ou inhibées ; les stratégies de gestion, individuelles ou collectives. Étudier ces dimensions, c’est reconnaître que les expériences au travail traduisent des tensions profondes liées aux transformations des structures et des valeurs sociales.
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Communication orale
Définir le problème socialHenri Dorvil (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La désignation officielle d’un problème social relève de l’interprétation des personnes en situation de pouvoir qui interviennent dans la définition des lois, leur mise en application et la gestion des prises en charge des conduites dites dérangeantes. Ce sont elles qui « problématisent » les conditions de vie (Otero, 2013) de certains groupes et comme normer c’est nommer, normaliser, ces conduites restent figées dans le temps et dans l’espace, y enfermant ces groupes. Les personnes en situation de vulnérabilité ne prennent pas part à la construction de ces définitions. Elles les subissent. Or, aujourd’hui, deux catégories de personnes font exception : les minorités de genre et d’identité sexuelle ainsi que les anciennes et anciens patients psychiatriques devenus des intervenants expérientiels, des pairs aidants.
Marcelo Otero suggère de « penser non plus ce qui parle, ou de quoi on parle dans la formulation des problèmes sociaux, mais bien ce qui fait parler » (Otero, 2013). Ce nouveau matérialisme tente d’appréhender les « agentivités » non-humaines actives dans la problématisation des réalités sociales. On peut penser notamment à l’interpénétration toujours grandissante des interfaces et des subjectivités, les médias sociaux et les algorithmes qui les ordonnent, jouant un rôle central dans l’établissement de l’ordre du jour politique. Il n’y aurait peut-être pas eu l’effervescence des luttes LGBT sans ces nouveaux modes d’information et d’interaction.
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Communication orale
De la dépendance structurelle à la dépendance individuelle dans la pratique des jeux de hasard et d’argent : les contradictions du néolibéralisme à l’ère du numériqueJad Abukasm (Chaire de recherche sur l'étude du jeu), Sylvia Kairouz (Université Concordia)
Les jeux de hasard et d’argent (JHA) commercialisés constituent une commodité emblématique de la culture de consommation du 21e siècle et de l’articulation de tensions dans un contexte capitaliste néolibéral. Ces objets de consommation plurivoques constituent des inter/faces et lieux de contacts où s’expriment les débats, les tensions, ou les ruptures autour de leur marchandisation et leurs modes de consommation et de gouvernance. Cette présentation vise à explorer ces multiples inter/faces où s’expriment les contradictions et les enjeux sociaux à l’ère des technologies modernes. Nous faisons l’argumentaire selon lequel les JHA 1) représentent une interface de contradiction qui responsabilise le joueur et invisibilise les structures de production et de régulation de l’offre et les responsabilités qui les incombent; 2) constituent une interface qui favoriserait l’exploitation de sujets et de groupes construits discursivement comme vulnérables, particulièrement une relation de domination à l’égard des femmes; 3) imposent leur demande/offre aux consommateurs par un habile système de collecte de données massives et de boucles de rétroactions qui l’adapte au gré des désirs et des goûts. Nous conclurons sur le rôle que joue la logique néolibérale des JHA à faire porter au joueur le poids de multiples choix alors qu’elle laisse la voie libre à une industrie extractive pour court-circuiter une valeur fondamentale dans nos sociétés, celle de l’égalité.
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Communication orale
Altérités et tensions interfaciales de l’in/certitude vaccinaleMélissa Roy (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La volonté d’interpréter et d’expliquer le phénomène d’hésitation à la vaccination (HV) se traduit souvent par une représentation négative des personnes qui ont un rapport critique à un vaccin, qui sont présentées comme désinformées ou anti-science. Cependant, celles-ci retournent parfois ce blâme, accusant leurs critiques d’être ignorantes ou d’avoir une pensée simpliste. Cette communication problématisera de tels enjeux d’altérisation qui émergent autour de la polémique de l’hésitation vaccinale. Pour ce faire, elle s’appuiera sur la notion d’interface pour penser l’hésitation vaccinale et la certitude vaccinale non pas comme deux pôles d’un continuum, mais plutôt comme étant unit par un espace, qu’on peut qualifier d’interfacial.
Combinant des réflexions théoriques et une analyse préliminaire d’entretiens effectués avec des personnes critiques d’un vaccin, cette communication analysera les tensions interfaciales de l’in/certitude vaccinale en misant sur les jeux de vérité qui prennent forme dans cette interface. Nous montrerons premièrement que l’in/certitude vaccinale tend à être comprise, traitée et gérée sous le prisme d’in/conscience. Nous aborderons ensuite les effets résiduels d’un tel traitement social de la question de la vaccination. Finalement, nous exposerons les conflits d’expertise et les jeux de confiance/méfiance qui énergisent les tensions interfaciales liées à l’in/conscience vaccinale.