Informations générales
Événement : 92e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :Depuis plusieurs années, la question des effets délétères engendrés par les discours sur l’environnement, en particulier chez les plus jeunes, fait l’objet de nombreuses analyses, issues de différents champs disciplinaires. Pour le philosophe australien de l’environnement Glenn Albrecht, « la solastalgie est la douleur ou la maladie causée par la perte ou le manque de réconfort et le sentiment d’isolement liés à l’état actuel de son lieu de vie (home) et de son territoire » (2005, p. 46). Certains auteurs parlent même de « deuil écologique » pour désigner la nécessité de composer avec la disparition d’espèces vivantes, mais aussi pour nommer la perte de connaissance sur l’environnement, les problèmes économiques engendrés ainsi que le délitement du lien social qui les accompagne (Cunsolo et Ellis, 2018). En un mot, la transformation de l’environnement et de la biodiversité n’affecte pas que le vivant non humain. Elle engendre différentes formes de souffrances chez des individus, souvent nostalgiques d’une époque révolue, parfois fantasmée. Ainsi le terme d’écoanxiété est aussi avancé par certains chercheurs pour nommer la « peur chronique du désastre environnemental » (Clayton et al., 2017, p. 68) ou encore pour désigner « les appréhensions et le stress découlant des menaces anticipées qui pèsent sur l’écosystème » (Cunsolo et al., 2020, p. 261). Or, de nombreuses recherches montrent que les jeunes générations seraient particulièrement touchées par ces inquiétudes (Wu et al., 2020; Baker et al., 2021; Ojala, 2012).
Notre colloque a pour objectif d’interroger le rôle de la recherche pour mieux saisir les inquiétudes des jeunes dans le contexte du réchauffement climatique, tout en s’intéressant aux différentes modalités d’accompagnement des jeunes publics avec ce type de souffrance. Cela implique aussi de remettre en question l’ensemble des inquiétudes des jeunes générations pour comprendre la place occupée par celle en lien avec les enjeux environnementaux.
Remerciements :Nous remercions la Région Nouvelle-Aquitaine pour avoir financé le projet ECOSTRESS au sein du laboratoire CNRS TREE et avoir rendu possible ce colloque.
Date :Format : Sur place et en ligne
Responsables :Programme
Introduction : inquiétudes climatiques, jeunes et modernité
La prévalence et les corrélats des inquiétudes climatiques chez les jeunes adolescents
Plusieurs études démontrent que les adolescents et jeunes adultes sont inquiets face aux changements climatiques. Cependant, peu d’informations sont disponibles par rapport à la prévalence des inquiétudes climatiques chez les jeunes adolescents. De plus, il n’est pas clair si l’inquiétude climatique est distincte des symptômes d’anxiété générale à cet âge. Notre étude a examiné la prévalence des inquiétudes climatiques ainsi que leur association avec la santé mentale des jeunes adolescents. Un échantillon de 1 230 enfants de Calgary (Alberta) âgés de 11 à 14 ans et leurs mères ont répondu à une série de questionnaires en ligne. Les résultats démontrent que 60 % des jeunes adolescents ont exprimé des inquiétudes face au changement climatique. Les filles et les jeunes transgenres/non-binaires ont signalé des niveaux plus élevés d’inquiétude climatique par rapport aux garçons. Les jeunes adolescents plus âgés rapportaient également plus d’inquiétudes climatiques. De plus, les résultats démontrent une large association entre les inquiétudes climatiques (rapportées par les jeunes) et les symptômes d’anxiété généralisée (rapportés par les mères).
Comprendre les sources d’inquiétudes et d’émotions face aux changements climatiques chez les jeunes Canadiens : une étude photovoice
Bien que la recherche indique que la majorité des jeunes soit inquiète et éprouve des émotions difficiles (p.ex., anxiété, colère) face aux changements climatiques, nous avons une compréhension limitée des facteurs déclenchant ces émotions au quotidien. Cette étude examine ces déclencheurs quotidiens d’inquiétudes et d’émotions climatiques au quotidien à l’aide de la méthodologie photovoice. Vingt-cinq participants âgés de 13 à 24 ans (19 filles) ont pris des photographies de ces déclencheurs pendant une période d’un mois. Ils ont ensuite participé à une entrevue individuelle pour expliquer la signification des photos. Les résultats préliminaires suggèrent que les déclencheurs clés d’inquiétudes et d’émotions difficiles sont : les signes climatiques (p.ex., températures chaudes en hiver), l’inaction des proches et du gouvernement, les signes de surconsommation et de pollution ainsi que le fatalisme ou déni des proches. Cette étude innovatrice permet de mieux comprendre ce que ressentent les jeunes face aux changements climatiques et à mieux les supporter face à ceux-ci.
Les jeunes sans religion face à la crise écologique : entre sens et non-sens
Alors que de moins en moins de jeunes Québécois déclarent une appartenance religieuse, on observe un réinvestissement du sens en dehors des instances traditionnelles. Le contexte actuel, marqué par la montée des inquiétudes en matière écologique, a instillé chez plusieurs de ces jeunes un rapport au (non)sens tout à fait inédit, qui pourrait bien suggérer l'existence d’une dimension religieuse relative aux modes d’appréhension de la crise climatique et aux rapports au sens qui en émergent. Impuissance, défaitisme, désir d’engagement et optimisme se côtoient dans le discours d’une trentaine de jeunes Québécois « sans religion » rencontrés au cours de l’année 2020. S’il semble que la lutte écologique et le lien à la nature soient effectivement porteurs de signification et d’espoir, l’ampleur du défi qui se pose aux jeunes générations met en lumière la difficulté, pour plusieurs de dégager un sens de cette crise sans précédent tout en s’y investissant de manière active. Cette communication souhaite offrir un aperçu des manières dont est mobilisée la question du sens et du non-sens dans le discours de jeunes religieusement désaffiliés. Le processus de négociation entre un soi écologique idéalisé et un engagement climatique tangible pourrait bien constituer la pierre angulaire d’un rapport signifiant à l’environnement susceptible d’induire, dans certains cas, quelque chose comme du religieux.
De crise, de quête et de sens. L’écoanxiété dans les récits de vie de jeunes sans religion
En interrogeant des jeunes Québécois se disant sans religion sur leur rapport au sens et au religieux, la crise écologique et l’anxiété qu’elle génère se sont imposées comme éléments centraux du récit de vie de plusieurs. Si la religion peut être comprise comme un dispositif de domestication de l’angoisse propre à condition humaine, qu’est-ce que l’écoanxiété dit des reconfigurations et recompositions du religieux en ultramodernité? Dans cette communication, nous souhaitons moins décrire le rapport des jeunes à la crise écologique que de cerner la fonction de celle-ci dans leur « narratif existentiel », considérant qu’une lecture « religiologique » de ces réalités peut aider à comprendre ce qui s’y joue, bien au-delà de la dimension strictement religieuse. Pour ce faire, nous allons mettre de l’avant une analyse de récits qui considère le sens d’un entretien comme construit par et dans sa mise en mots : les répondants y racontent une histoire, c’est-à-dire une proposition signifiante et mise en sens. Quelle est la fonction de la crise écologique dans cette construction? Comment est-elle décrite? De quoi est-elle le vecteur? Quels effets de sens y sont – ou non – liés?
Récits des adolescentes sénégalaises autour des inquiétudes climatiques et sociales : agir pour la planète sans compromettre leur place de femme dans la société au Sénégal
Dans le cadre du projet Ecostress, nous avons interrogé des jeunes français et sénégalais âgés entre 15 et 24 ans dans une perspective comparative. L'objectif était notamment de vérifier si des jeunes provenant de contextes culturels et géographiques distincts (urbain, rural) déclarent des inquiétudes semblables au regard du dérèglement climatique. Par exemple, si les jeunes français ont parlé de leurs projections dans un avenir inquiétant, les jeunes sénégalais nous ont plutôt fait part des impacts concrets du dérèglement climatique sur leurs lieux de vie : pollution de l’air par des industries internationales, érosion côtière et disparition de villages du fait de la montée des eaux, sécheresse extrême, etc... Aussi lorsque nous avons voulu comprendre la place de ces inquiétudes dans l'ensemble plus vaste de ce qui les préoccupe, les inquiétudes sociales et les rapports de genre se sont rapidement imposés comme des thématiques centrales chez les jeunes sénégalais.e.s. Au cours de notre intervention, nous interrogerons ainsi en particulier la place qu'occupe les enjeux environnementaux dans un ensemble plus vaste d'inquiétudes décrites par les femmes de l'enquête.
La régulation des inquiétudes par le religieux chez les jeunes Sénégalais
L’inquiétude est souvent reliée à l’hypermodernité qui « se caractérise par l’exacerbation des tensions entre l’individu et la société qui évoque un monde hyperparadoxal qui confronte chaque individu à des contradictions multiples, hétérogènes, objectives et subjectives » (De Gaulejac, 2006 :129). En réalité, tout être humain en fait l’expérience dès lors qu’elle est toujours relative aux questions existentielles. Elle déborde donc l’hypermodernité pour être une catégorie anthropologique. Nous savons, avec Le Breton (2021 : 22) qu’elle est de la famille des émotions qui produit un inconfort psychique pouvant impacter la santé mentale. L’inquiétude est une émotion presque toujours négative relative à l’incertitude qui est « socialement construite » (L. Dousset, 2018 : 24). Dans un Sénégal aussi exposé au changement climatique, 32 jeunes de 15-24 ans interrogés dans notre enquête sur leur perception de l’avenir évoquent des formes d’inquiétude générées par plusieurs facteurs sociaux. Certains disent recourir à la religion pour les contenir. Notre interventions portera sur ces deux dimensions de l'inquiétude chez les jeunes que nous avons rencontrés dans le cadre du projet ECOSTRESS.
L’inquiétude des jeunes écologistes face à la crise environnementale, une inquiétude sotériologique?
À partir d’une analogie avec la conversion religieuse (Hervieu-Léger 1999; Le Pape 2015), notre proposition aborde les projections de l’avenir avec le concept microsociologique de « conversion écologique » et comment celles-ci s’articulent à des logiques de salut individuel et collectif dans le « Nouveau Régime Climatique » (Latour 2015). Notre travail repose empiriquement sur 30 entretiens non-directifs, « récits de vie » de jeunes écologistes (18-29 ans) qui racontaient comment ils étaient venus à s’intéresser aux enjeux environnementaux. Au même titre que pour la conversion religieuse, les émotions sont essentielles pour saisir les processus de conversion écologique. Outre une éventuelle éco-anxiété entretenue par un sentiment de solitude, à avoir l’impression d’« être croyant dans un monde incroyant » (Le Pape 2015, 28), il y a une forme de culpabilité chez les jeunes enquêtés. À ce sentiment de culpabilité répond des logiques de salut (sotériologie) vertes, qui sont autant de formes de « résonance » (Rosa 2018). Cependant, à la différence de la conversion religieuse, dans la conversion écologique les jeunes écologistes se sauveraient eux-mêmes, et non par une entité divine extérieure...
Inquiétudes des jeunes à l’ère des enjeux environnementaux et du numérique
Il n’existe aucune armure contre la catastrophe naturelle lorsqu’elle rappelle par sa violence l’insignifiance de la race humaine. Si la météorologie est une science, le déchainement de la terre, du vent, de l’eau et du feu, renvoie à un imaginaire ancestral, premier, originel. À l'ère du numérique, l’attention portée aux signes informationnels de tremblements de terre, d’ouragans, d’inondations et de feux de forêt par les jeunes dans le cadre de l'enquête ECOSTRESS ne s’explique alors pas simplement par une compréhension objective et scientifique des phénomènes naturels et de ses horribles conséquences. Ils renvoient aux menaces situées aux origines du monde, inscrites profondément en nous, par notre culture commune, et en particulier à la terreur qu’a connue l’humanité à ses premiers balbutiements, bien avant qu’elle ne maitrise l’outil et qu’elle ne s’engage sur la voie de la domination de la « nature ». Les images de catastrophes naturelles sont en ce sens des signes informationnels propices à la production de signes émotionnels, car elles réveillent en chacun le sentiment de sa vulnérabilité et de sa finitude, et les jeunes de l’enquête ECOSTRESS furent nombreux à nous en parler. Au cours de notre intervention, nous interrogerons à partir de cet exemple le rôle du numérique dans l'amplification des inquiétudes, mais aussi les possibilités qu'offre le numérique en tant qu'espace de régulation de la peur.