Informations générales
Événement : 92e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :En 2022-2023, l’apparition de l’IA générative a bouleversé nos sociétés, et ce, particulièrement du point de vue informationnel, médiatique et culturel. Bien qu’associée à des promesses de démocratisation et de progrès, l’IA générative a rapidement été cooptée par les GAFAM (Google, Apple, Facebook [Meta], Amazon et Microsoft – à qui on ajoute parfois Tesla et Nvidia), qui s’en sont servis pour augmenter leur pouvoir épistémique et infrastructurel. Cette capture du pouvoir de l’IA par des géants de la technologie crée selon nous plusieurs défis qu’il est impératif d’analyser de manière critique et interdisciplinaire. Parmi ces défis, mentionnons :
- l’éloignement des usagers de la source des informations;
- les inégalités épistémiques créées par la nouvelle division du savoir contrôlée par les plateformes;
- la capture infrastructurelle des médias d’information par les GAFAM (diffusion, monétisation et maintenant production);
- la stagnation économique et la consolidation des formes rentières du capitalisme;
- l’économie de l’attention (interpellation algorithmique par les agents conversationnels);
- les problèmes sociaux, la dépendance aux écrans, la désinformation, etc.
Face à tous ces bouleversements, il nous semble indispensable de se regrouper pour penser ces enjeux de manière interdisciplinaire et critique. De plus en plus, les plateformes numériques sont des faits sociaux totaux qu’il est impossible d’appréhender de manière isolée. Plus précisément, le colloque s’oriente autour des quatre axes suivants : 1) la mutation des pratiques informationnelles à l’ère de l’IA générative; 2) l’économie politique de l’IA et la régulation des GAFAM; 3) l’économie de l’attention, la gouvernance algorithmique et les agents conversationnels; et 4) la dépendance aux plateformes, les problèmes des écrans, la désinformation en ligne et la polarisation politique.
Dates :Format : Sur place et en ligne
Responsables :- Fabien Richert (UQAM - Université du Québec à Montréal)
- Samuel Lamoureux (TÉLUQ - Université du Québec)
- Roland-Yves Carignan (UQAM - Université du Québec à Montréal)
- Julien Hocine (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Programme
Conférence d'ouverture : Alain Saulnier, Tenir tête aux géants du Web
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Communication orale
Tenir tête aux géants du webAlain Saulnier (UdeM - Université de Montréal)
Le plus récent livre d'Alain Saulnier, Tenir tête aux géants du web (Écosociété, 2025), ne pourrait être davantage en phase avec l'actualité. Véritable plaidoyer pour éviter que nos sociétés ne sombrent dans des dérives autoritaires, ce livre nous rappelle qu’il n’y a aucune raison de rester passifs et d’accepter d’être soumis aux diktats des GAFAM et aux préférences personnelles d’une poignée de ploutocrates. Il nous faut réduire notre dépendance à leur égard et défendre notre souveraineté culturelle, médiatique et démocratique, soutient-il. « J’ose lancer un cri d’alarme. Voulons-nous vraiment que les personnes les plus riches de la planète, comme Elon Musk, Mark Zuckerberg, Jeff Bezos et quelques autres, dictent nos vies, nos valeurs, nos cultures, nos choix de société et notre avenir ? »
Médias, journalisme et plateformes
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Communication orale
Les GAFAM sous influence : pouvoir étatique et espace public numérique à l’ère du trumpisme triomphantNikos Smyrnaios (LERASS)
Cette communication propose d’examiner comment le rapprochement entre certains dirigeants des grandes plateformes et le pouvoir trumpiste, loin de conduire à une libéralisation de l’expression en ligne à travers les modifications des politiques de modération et des algorithmes de recommandation, participe en réalité à l’instauration et au renforcement d’un nouveau régime de contrôle politique de l’espace public numérique à l’œuvre depuis une décennie. En mobilisant les apports théoriques de l’économie politique de la communication et de la sociologie critique, nous analyserons comment ce phénomène s’inscrit dans une dynamique plus large de reconfiguration des rapports de force entre les acteurs étatiques et les plateformes numériques (Smyrnaios, 2023).
Cette recherche s’inscrit dans une perspective critique qui interroge les rapports entre pouvoir politique, technologie, capital et contrôle de l’information à l’ère numérique. Elle permet de mettre en lumière comment le rapprochement entre les élites technologiques et le populisme autoritaire contribue à l’émergence d’un nouveau régime de contrôle politique de l’espace public numérique, marqué par une concentration accrue du pouvoir politique, économique, et technologique.
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Communication orale
Une plateforme pour les éduquer tous: comment la Google News Initiative contribue à la plateformisation du journalismeSamuel Lamoureux (TÉLUQ), Laurence Thibault (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Dans les dernières années, plusieurs grandes plateformes numériques pilotées par les GAFAM ont créé leurs propres formations ou corpus scolaires destinés aux gestionnaires de médias et aux journalistes (Papaevangelou, 2024). En 2017, Facebook (devenu Meta en 2021) annonçait la création du Facebook Journalism Project pour éduquer les journalistes à l’utilisation de certains outils internes. Google faisait de même un an plus tard avec la Google News Initiative, suivi notamment de Microsoft avec son Democracy Forward Program (Whittaker, 2019).
Si les formations de Meta/Facebook ont déjà attiré l’attention de quelques chercheurs intéressés par la plateformisation de l’éducation, les formations de Google sont restées jusqu’ici largement ignorées. Le corpus est pourtant remarquable : depuis 2021, Google a créé plus de soixante courtes formations, traduites en plusieurs langues, et destinées aux journalistes du monde entier.
Pour arriver à cette fin, nous avons effectué une analyse de contenu thématique de la grande majorité des formations présentes (63 formations) sur le site web du GNI. Au cours de notre analyse, nous avons repéré plusieurs thèmes généraux que nous explorerons lors de notre présentation, soit l’omniprésence de la publicité, des algorithmes, du design (segmentation) du public ou encore du journalisme considéré comme une « pile technologique » (tech stack). Google est ainsi un acteur clé de la plateformisation du journalisme dans son ensemble.
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Communication orale
Assister le journalisme local - Quelles pistes pour une exploitation soutenable de modèles de langage ?Arnaud Claes (UCLouvain), Antonin Descampe (UCLouvain)
Au cours des dernières décennies, le journalisme a été fortement marqué par plusieurs évolutions technologiques et sociales. Si les médias nationaux sont en difficulté, ces défis sont encore plus prononcés pour les médias locaux, qui sont généralement confrontés aux mêmes problèmes, mais avec des ressources encore plus limitées (Nielsen, 2015). Face à cette précarisation du secteur, le recours à l'intelligence artificielle générative est envisagé pour réduire les coûts et assurer des fonctions qui ne sont plus ou pas réalisables avec les ressources disponibles.
L'architecture RAG pour "Retrieval Augmented Generation" (Lewis et al., 2020), sur laquelle repose ces assistants documentaires, est symptomatique de cette problématique. L'ensemble du pipeline de traitement de l'information peut être entièrement déployé sur des infrastructures cloud, possédées par une poignée d'acteurs dominants (Luitse, 2024). Cette capture infrastructurelle est favorisée par la mainmise de ces acteurs sur des « frameworks » de développements permettant l'intégration fluide de l'ensemble de ce pipeline ainsi que sa mise en production à grande échelle. Le recours aux modèles de langage les plus performants s'en retrouve favorisé, au détriment de technologies moins énergivores. L'objet de cette communication sera d'identifier des pistes de solution pour circonscrire des usages sobres et soutenables de modèles de langage.
Discours et controverses de l’IA et des plateformes
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Communication orale
Education à l’esprit critique par un dispositif expérimental de génération d’argumentsOrélie Desfriches-Doria (Université Paris 8 - Saint-Denis - France)
Nous proposons de prendre le contre-pied des dernières évolutions de l’environnement numérique, notamment les Intelligences Artificielles Génératives (IAG), en décrivant un dispositif pédagogique expérimental de remédiation contre la dépolitisation généralisée des pratiques informationnelles (recherche, consultation, élaboration des connaissances), induite par la gouvernementalité algorithmique qui trouve dans les IAG une de ses réalisations les plus tangibles. Dans nos travaux (Desfriches Doria, 2018, 2022), nous défendons une approche socialement, culturellement située et créative de l’esprit critique, positionnée comme un acte d’exercice du libre arbitre, et qui met l’accent sur l’importance des capacités interprétatives, vues comme des compétences créatives relevant également de l’imagination, de l’intuition, et de la réflexivité, (Walters, 1990). A travers cette expérimentation, nous pensons contribuer à cultiver des pratiques critiques des outils et des espaces d’expressions des subjectivations s’appuyant sur l’exercice de l’esprit critique.
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Communication orale
La tentation orthopédique des contre-discours de l’IA : cartographie, paradoxes et pistes alternativesClément Mabi (INSA Rennes), Julie Marques (Université de Fribourg)
L’essor des discours critiques sur l’intelligence artificielle (IA) s’accompagne d’un phénomène paradoxal : ces contre-discours, bien qu’opposés aux narratifs dominants, sont souvent réintégrés dans des logiques de normalisation qui participent à la consolidation d’une gouvernementalité algorithmique (Rouvroy & Berns, 2013). Dans cette communication, nous analysons ces tensions et adaptations réciproques à travers le prisme des frictions (Tsing, 2020), concept qui permet d’éclairer les négociations entre contestation et institutionnalisation. Nous proposons ainsi une réflexion en trois temps : 1. Cartographie des contre-discours : Dans une perspective d’analyse des controverses, nous identifions les principaux acteurs (collectifs militants, chercheurs, régulateurs) et leurs argumentaires (technocritiques, abolitionnistes, réformistes). 2. Analyse des paradoxes et de la normalisation des critiques : Si certains discours opposés à l’IA s’inscrivent dans une logique de transformation, d’autres se retrouvent captés par les acteurs dominants et intégrés à des discours de légitimation (Metcalf et al., 2019). 3. Exploration des alternatives : Nous analyserons un corpus d’alternatives à l’IA dominante, composé de projets, initiatives et pratiques qui cherchent à proposer des visions différentes de l’IA, en rupture ou en tension avec les logiques technosolutionnistes.
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Communication orale
Pouvoir, IA et régulation : la transparence des GAFAM en question dans la presse nord-américaineNicolas Bencherki (TÉLUQ), Nilce Da Silva (UQAM), Normand Landry (TÉLUQ), Lilith Michaud (UQAM), Artur de Matos Alves (TÉLUQ - Université du Québec)
Cette communication présente les résultats d’une analyse thématique de plus de 400 articles publiés entre 2020 et 2025 provenant de médias anglophones, francophones et allophones nord-américains et portant sur la transparence, perçue ou affichée, des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). La transparence étant définie comme l’ouverture des organisations à un examen social, politique et économique (Meijer 2009 ; Reischauer et Ringel 2022), l’objectif de ces analyses était de caractériser les discours entourant la visibilité publique des opérations des géants du numérique dans la presse.
Notre travail met en lumière les discours journalistiques nord-américains sur la transparence du numérique et de l’intelligence artificielle (IA). Notre communication propose de répondre à la question : comment les discours médiatiques nord-américains encadrent-ils la transparence perçue et affichée des GAFAM en relation avec l’IA, la confidentialité des données et la manipulation du contenu numérique, et quelles sont les principales implications sociopolitiques dans le contexte actuel du capitalisme technologique ?
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Communication orale
Régulation algorithmique des affects pour construire des territoires numériquesCamille Alloing (UQAM), Mariannig Le Bechec (Université de Lorraine - Crem), Julien Pierre (Université Sherbrooke)
Les plateformes numériques développent un ensemble de stratégies qui relèvent de la délimitation de territoires afin de tenir captifs leurs usager-es. Cette captivité s’avère tout autant attentionnelle qu’affective. Leur développement commercial s’appuie sur un ensemble de dérégulations, là où leurs stratégies pour attirer des usagers mobilisent des outils pour définir des limites de propriétés. Ainsi dans un premier point, nous montrerons que l’étude des brevets et des publications scientifiques portant sur le développement de dispositifs affectifs de quatre plateformes commerciales (Google, Meta, TikTok et Twitter/X) manifeste un processus de territorialisation afin de capter des données comportementales au sein de leur espace de circulation. Dans un deuxième point, nous montrerons que les plateformes ont des discours prescriptifs envers leurs usagers afin qu’ils expriment des émotions, leur joie par exemple. L’objectif des plateformes est de parvenir à une mise en données des affects afin de déterritorialiser les usages. Le territoire devient ici fluide par une mise en donnée des comportements des usagers. Cette mise en donnée est le résultat d’une régulation algorithmique des plateformes qui autorise les plateformes à agencer les données captées selon leurs propres objectifs de développement et de cloisonnement des usages. Nous conclurons par l’analyse des territoires numériques qui en résultent et qui finissent par agencer les données captées par les plateformes.
Interpellation algorithmique et agents conversationnels
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Communication orale
L’interpellation algorithmique de Siri à ChatGPTLaurie Briand (UQAM), Émile Gonthier-Beaupré (UQAM - Université du Québec à Montréal), Fabien Richert (UQAM)
Dans cette communication, nous présenterons les résultats d'un projet de recherche portant sur les agents conversationnels. L'objectif de la recherche vise à comprendre comment les mécanismes d’interpellation (Lecercle, 2019) influencent les dynamiques interactives à partir de l’analyse de conversations que nous avons menées avec trois agents vocaux intelligents. Nos résultats ont ainsi confirmé les nombreuses recherches portant sur les interactions humain-machine, soit que les AVI cherchent principalement à déclencher un état émotionnel positif pour leurs utilisateurs, en donnant l’impression d’être sociable et à l’écoute. L’utilisateur est interpellé comme un sujet émotionnel, maître de la machine. En revanche, ces agents conversationnels comportaient un grand nombre de limitations qui suscitaient une rupture dans le dialogue entre les utilisateurs et la machine. Avec la sortie au grand public de ChatGPT en novembre 2022, il a été nécessaire d’adapter notre recherche à cette nouvelle technologie beaucoup plus performante qui tend à interpeller le sujet comme un sujet à la rationalité défaillante, limitée et dépassée. Après avoir présenté le concept d’interpellation algorithmique, nous mettrons en évidence les problèmes méthodologiques rencontrés lors de notre tentative d’incorporer la nouvelle génération d’IA générative à notre recherche.
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Communication orale
Agents conversationnels, rationalité algorithmique et idéologie transhumanisteMaude Bonenfant (UQAM - Université du Québec à Montréal), Laurent Jacob (UQAM / Université de Namur)
Dans le contexte de la montée en puissance de la « rationalité algorithmique » et des technologies de l’information, les agents conversationnels – qu’ils soient vocaux, textuels ou intégrés à des interfaces anthropomorphisées – se présentent comme des dispositifs sociotechniques à la fois utilitaires et émotionnels. Loin de se réduire à de simples outils fonctionnels, ces agents participent à la fabrique de subjectivités hypermodernes, à travers des pratiques interactionnelles quotidiennes qui renforcent la normalisation des valeurs du progrès technoscientifique et de l’optimisation de soi.
Dans le cadre de cette communication, nous analyserons la manière dont ces interfaces incarnent et reconfigurent une gestique transhumaniste, entendue comme un ensemble de gestes performatifs et discursifs qui opèrent à la fois sur le plan affectif et idéologique. En mobilisant un cadre conceptuel fondé sur six valeurs clefs de l’hypermodernité – raison, bonheur, progrès, capital, individualisme, liberté – et en articulant cette perspective à la rhétorique transhumaniste telle que l’ont exposée Bonenfant et Caccamo (2021), nous montrerons comment les agents conversationnels ne se contentent pas d’incarner passivement des normes, mais contribuent activement à leur intériorisation par les personnes usagères.
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Communication orale
« Les aventures du sac orange » : promesses de l’automatisation algorithmique de la production des souvenirs et des récits autobiographiquesEmmanuelle Caccamo (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières), Katharina Niemeyer (UQAM), Rémi Rouge (CNRS)
En 2021, Google Photo lançait la fonction Little Patterns. À partir d’un ensemble de photographies stockées dans le téléphone des usager.es, l’application proposait une sorte de « proto-récit » sous la forme d’un titre (par ex. « Les aventures du sac orange ») et d’un album constitué automatiquement par des algorithmes. Plus récemment, par le biais d’une notification thématique, le Journal d’Apple suggère aux individus de rédiger un souvenir au sujet d’un événement récent. Des assistants mnésiques promettent quant à eux d’enregistrer l’environnement sonore et les conversations capturées tout au long de la journée pour générer une synthèse de l’expérience vécue et « faire mémoire ». L’agent conversationnel Personal AI va encore plus loin en créant une sorte de « double » numérique de soi qui pourrait raconter à notre place notre parcours de vie et nos souvenirs.
L’industrialisation et la marchandisation de la mémoire personnelle ne sont pas nouvelles, mais les développements des réseaux socionumériques, d’outils numériques de stockage et surtout les technologies de l’intelligence artificielle (IA) marquent une nouvelle étape dans la production de mémoire et de souvenirs à partir de données numériques.
Dans cette communication, nous souhaitons discuter des promesses liées aux technologies mnésiques émergentes qui impliquent des modélisations algorithmiques et ainsi enquêter sur les imaginaires de l’algorithmisation et de la plateformisation de la mémoire personnelle.
Réseautage
Théories et critiques du capitalisme de plateforme
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Communication orale
Capitalisme algorithmique et tempsJonathan Martineau (Université Concordia)
Cette présentation fait l’hypothèse qu’un nouveau stade du capitalisme, caractérisé par la prédominance du capital algorithmique, a des conséquences importantes sur le temps social et le temps vécu. Deux arguments principaux sont développés. Premièrement, une conjoncture historique façonnée par l’essoufflement du néolibéralisme, la révolution de l’apprentissage profond en intelligence artificielle (IA), et la monétisation des technologies algorithmiques prédictives, a donné lieu à un basculement de la logique d’accumulation du capital depuis les années 2010. Nous sommes entrés dans un nouveau stade du capitalisme marqué par la prédominance du capital algorithmique, qui s’accumule à partir de l’exploitation du travail et de l’extraction de données. Deuxièmement, les technologies algorithmiques qui prolifèrent dans différentes sphères sociales ont des impacts importants sur l’expérience du temps. À ce titre, la présentation examinera le rapport en accélération du temps et technologies numériques, et proposera une interprétation de la temporalité des technologies algorithmiques, c’est-à-dire de leur pouvoir de façonner l’expérience du temps au niveau individuel et collectif.
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Communication orale
Pouvoir des algorithmes ou pouvoir du capital? Une analyse des stratégies d’accumulation des plateformes numériquesClaude Leduc (UQAM - Université du Québec à Montréal), Maxime Ouellet (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Cette communication s’inscrit dans la lignée de la littérature en économie politique critique qui traite de la question des transformations sociales, économiques et politiques liées à la montée en puissance de nouveaux acteurs monopolistiques dans le domaine de l’économie numérique, plus spécifiquement les plateformes numériques (Birch et Cochrane 2022; Durand, 2020; Rikap, 2021). Au sein de cette littérature, certains travaux ont montré que le pouvoir de ces plateformes s’appuie sur la capacité de contrôle des infrastructures numériques (Van Dijk et al, 2018), d’autres se plutôt attardés à la question de l’appropriation des données numériques qui, une fois transformées en actifs financiers, ont rendu possible l’émergence d’un capitalisme monopoliste intellectuel (Pagano, 2014) basé sur une logique rentière de prédation de la valeur. Dans cette optique, cette communication a deux objectifs principaux, à la fois théoriques et empiriques. Premièrement, il s’agira de proposer un cadre théorique permettant de synthétiser ces diverses approches. Deuxièmement, nous présenterons les résultats de recherches empiriques que nous avons effectuées sur les stratégies d’accumulation des plateformes numériques dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la culture à l’échelle mondiale et au niveau local.
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Communication orale
Pour une conjugaison entre économie politique du numérique et écologie sociale. Articulation théorique sur l’impasse socioécologique de la plateformisationJacob Boivin (UQAM - Université du Québec à Montréal), Marie-Alice Couturier (UQAM)
La critique écologique des plateformes et de l’IA peine à prendre forme et à s’imposer dans le débat public, académique et industriel. On assiste cependant depuis 2020 à l’émergence d’un courant d’analyse qui s’articule autour de la notion d’IA verte. Cette dernière consiste à mettre de l’avant la recherche en IA qui prend en compte ses coûts environnementaux (Verdecchia et al., 2023; Rolnick et al., 2021). Ces travaux soulignent, par exemple, l'importante consommation énergétique et la production de GES engendrée par l'entraînement des modèles (Strubell et al. 2019; Wu et al., 2021) et par le déploiement de l’IA générative tout particulièrement (Lucionni et al., 2020; 2022), la problématique tendance exponentielle de la taille des modèles et du travail de computation (Bender et al., 2021; Kaack et al., 2021) ainsi que l’extractivisme sur lequel reposent ses technologies (Pitron, 2021; Iozar, 2024). Il en ressort une trajectoire actuellement incompatible avec un déploiement soutenable de l’IA (Cowls et al., 2023).
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Communication orale
Les plateformes culturelles comme stade du capitalisme médiatique : proposition pour une périodisation à partir de MarxChristophe Magis (Université de Vincennes Saint Denis (Paris 8))
L'expression “capitalisme de plateforme” s'est largement imposée depuis une dizaine d'années pour décrire les transformations de l'économie impulsées par l'avènement des plateformes numériques. Mais, appliquée indistinctement à des secteurs aussi divers que le transport de personnes, la livraison de repas ou les médias pour y pointer la percée de la gouvernance algorithmique et de la collecte des données dans une économie qui s'organise en réseau, cette expression globalisante ne permet guère de saisir l'émergence des plateformes en regard de l'histoire plus générale du déploiement du capitalisme. Pourtant, dans les médias et les industries culturelles, l'apparition des plateformes s'insère dans une histoire de la marchandisation de la culture que cette communication se propose de retracer. Dans le cadre d'une approche critique s'appuyant sur la périodisation du capitalisme proposée par Marx, il s'agira de montrer que la “plateformisation” des médias, que l'on peut considérer comme un “troisième” stade de la marchandisation dans le secteur, se caractérise par une accélération du mouvement vers la “subsomption réelle” dont l'audiovisuel de masse a présenté un premier développement.
Plateformes et dispositifs algorithmiques : études de cas
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Communication orale
Les plateformes de care comme outils coercitif de l’allocation directeMyriam Lavoie-Moore (Australian National University)
Cette communication traite du rôle des plateformes de care dans la réorganisation du travail de soins au sein d’une économie (nécro)politique du care. Plus particulièrement, la recherche s’intéresse à la manière dont les plateformes pourraient s’insérer parmi les mécanismes de production coercitifs mobilisés dans le cadre d'une économie nécropolitique du care, c’est-à-dire à leur rôle dans l’assignation de certains groupes à des fonctions dévalorisées qui permettent de faire prospérer des vies socialement considérées comme plus importantes. Depuis 2015, l’apparition des plateformes de travail a accompagné la montée d’une économie à la demande ou « gig economy » qui repose fortement sur le travail migrant. Ce phénomène reste encore peu documenté dans le secteur des soins et des travaux domestiques (Kampouri, 2022; Rodríguez‐Modroño et coll., 2022; Rodríguez‐Modroño, 2024a, Dowling, 2024). La présente communication présentera les résultats de la revue de littérature ainsi que les résultats préliminaires d’une étude empirique visant à cartographier les plateformes actives au Québec ainsi que la place des politiques publiques dans leur émergence.
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Communication orale
La misère monétisée sur TikTok : l'illusion d'authenticité au service de l'économie de l'attention et de la plateformisation individuelleLaurence Grondin Robillard (UQAM - Université du Québec à Montréal)
TikTok s’est donné pour mission « d’inspirer la créativité et d’apporter la joie ». Mais, bien au-delà du divertissement, la plateforme émerge aussi comme un acteur majeur dans la mutation des pratiques informationnelles, particulièrement chez les jeunes adultes. En effet, TikTok est devenu la principale source d’information pour 23 % des 18-24 ans (Newman et al., 2024, p.12). Nous proposons d’examiner un phénomène émergent sur le média socionumérique : la monétisation de la misère, où la détresse individuelle devient un spectacle viral consommé quotidiennement à coups de vidéos en « directs ». Loin des filtres cosmétiques afin d’embellir les sujets et des montages vidéo efficaces générés par intelligence artificielle dans le but d’améliorer la qualité de la production (Lyu et al, 2024), l’aspect brut et « authentique » émerge comme la nouvelle esthétique du « réel » sur la plateforme. Des créateurs de contenu, devenus entrepreneurs d’eux-mêmes, transforment leur présence en ligne en des écosystèmes structurés permettant de rentabiliser leur misère apparente. Ce phénomène soulève des questions cruciales sur l’économie de l’attention, la gouvernementalité algorithmique et l’éthique des plateformes numériques.
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Communication orale
Intermédiation Algorithmique en région éloignée : tempête politique en vue sur l’archipelFrançois-Olivier Picard (INRS - Institut national de la recherche scientifique)
Les îles de la Madeleine est un territoire insulaire isolé de 14 000 habitants situé au cœur du Golfe Saint-Laurent. Il y a 30 ans, on y vivait en quasi-autarcie une culture acadienne et madelinienne qui, graduellement, a fait place à une culture majoritairement numérique établit comme un point de passage obligatoire ((Callon, 1986; Söderström et al., 2020)). Ces systèmes techniques complexes dominent présentement l’activité économique, culturelle, et communautaire de cet archipel (Ronsin, 2021) menacé par les changements climatiques. Au cours du printemps 2024, un projet de redevance touristique de 30$ appliqué aux plus de 60 000 touristes estivaux a été mis en place en collaboration avec les autorités fédérales dans le but de préserver ce territoire. L’objet de la controverse technologique et médiatique, qui aurait pu porter sur l’enjeux constitutionnel associé à ce projet, s’est plutôt traduit sur les médias sociaux en désinformation, pratiques superstitieuses, et avis pseudoscientifiques liés au paiement avec un code QR qui ont éventuellement mené à l’abandon du projet.
Ce projet propose une ethnographie par observation participative de l’impact de ces technologies sur la population des Îles de la Madeleine. Il s’agira de faire une couverture de l’enjeux vu par les médias locaux, les MRC, les associations de maires(ses), les madelinots et par le groupe Facebook public : Info Madelinot. -
Communication orale
La gamification du travail et l'illusion de l’autonomie : analyse critique des dispositifs algorithmiques d'UberLucie Enel (FTQ)
La « plateformisation » du travail, qui consiste à mettre en relation un travailleur dit indépendant et un client via une application, s’est fortement développée ces dix dernières années. Derrière les discours valorisant l’autonomie et l’empowerment (Peirot, 2020), ce modèle repose sur des formes de contrôle algorithmique qui façonnent profondément l’organisation du travail (Rosenblat, 2018). Parmi ces mécanismes, la gamification du travail joue un rôle central, en intégrant badges, niveaux, scores de performance et objectifs à atteindre pour inciter les chauffeurs et livreurs à adopter certains comportements.
Cette communication s’appuie sur une recherche doctorale menée auprès de 24 chauffeurs et livreurs Uber au Québec, à travers une ethnographie en ligne et des entretiens semi-dirigés. Elle analyse leurs pratiques de travail, leurs dynamiques de socialisation et leur pouvoir d’agir, tant individuel que collectif, en s’appuyant sur un cadre théorique multidisciplinaire combinant communication (Goffman, 1974 ; Morin, 2006), sociologie des usages (Certeau, 1990 ; Millerand, 1998) et ergonomie (Clot, 2017).
En marche vers la « technodiversité »
Et si l’on cherchait à protéger, stimuler voire développer une « technodiversité » en marge des GAFAM, en ayant l’ambition affirmée de mettre en place un écosystème technologique respectueux du fonctionnement politique des sociétés? C’est possible. En mode collaboratif, coopératif, associatif ou autre, des citoyens bien conscients des enjeux soulevés par les plateformes, l’IA générative et la régulation algorithmique développent des alternatives — parfois en utilisant les outils des GAFAM, ô paradoxe! Quatre de ces citoyens viennent présenter leurs approches à la fois critiques et pratiques, tournées vers l’hétérogénéité. Quels types de pratiques informationnelles peuvent alors émerger? Cette « technodiversité » favorisera-t-elle l’émancipation individuelle ou le retour du commun en tant que fondement des rapports sociaux? Pourrait-on alors mieux réfléchir à des régulations politiques des plateformes numériques?