Informations générales
Événement : 92e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :La discipline de la linguistique légale, une linguistique appliquée au domaine de l’enquête et du droit, gagne en popularité au Québec (Allard-Gaudreau, Plante-Hébert et Fortin, 2024). Néanmoins, elle demeure largement méconnue des professionnel·les du droit et de la plupart des chercheur·ses en sciences humaines et sociales, en arts et en lettres.
La linguistique légale repose sur une grande variété de méthodes d’analyse, telles que l’analyse de discours, l’analyse conversationnelle, la phonétique et la sociolinguistique, permettant d’examiner les phénomènes langagiers sous différents angles. Ces approches fournissent des réponses précises à des questions souvent inaccessibles aux spécialistes du droit, en raison de leur complexité ou de leur subtilité. Dans le cadre des expertises judiciaires, par exemple, les linguistes peuvent être sollicité·es pour examiner des traces langagières – qu’elles soient orales ou écrites – afin d’apporter des éclairages cruciaux sur des affaires juridiques complexes, allant de l’identification de l’auteur·e d’une lettre de menace anonyme à l’analyse d’enregistrements incriminants. La linguistique légale couvre également l’analyse des textes de loi et des procédures écrites. Le rôle des linguistes est, dans ce contexte, d’améliorer la clarté et de réduire les biais d’interprétation des documents examinés. Par ailleurs, certain·es spécialistes de la linguistique vont étudier les interactions verbales qui ont cours au sein du processus judiciaire afin d’explorer la dynamique des échanges entre les professionnel·les du droit et les profanes : on cherche ainsi à découvrir comment le sens des paroles est négocié par ces acteur·trices et par quelles stratégies chacun tente d’imposer sa vision à l’autre. Enfin, d’autres chercheur·ses vont plutôt consacrer leurs travaux à l’analyse des discours légaux et judiciaires dans l’espace public et médiatique. Ces recherches visent à comprendre comment les médias et l’opinion publique perçoivent les enjeux des tribunaux et en discutent.
L’objectif de ce colloque, qui fait suite à celui organisé en 2023, est de poursuivre les efforts pour faire connaître la linguistique légale au Québec. Ce colloque est l’occasion de faire le point sur les avancées les plus récentes dans le domaine. Il permet également de rassembler de jeunes chercheur·ses et des spécialistes plus expérimenté·es autour des questions relatives à l’usage du langage dans des contextes légaux et judiciaires. À l’image de la linguistique légale – intrinsèquement multidisciplinaire –, des contributions issues de toutes les disciplines sont les bienvenues.
Événements à souligner
- Un cocktail de réseautage aura lieu le 5 mai en soirée.
- Des ateliers pratiques portant sur les applications de la linguistique légale des corpus numériques auront lieu le mardi 6 mai (plus de détails à venir).
Format : Sur place et en ligne
Responsables :- Francis Fortin (UdeM - Université de Montréal)
- Julien Plante-Hébert (UQAM - Université du Québec à Montréal)
- Noémie Allard-Gaudreau (Université Laval)
- E. Allyn Smith (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Programme
Session 1
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Communication orale
Oreille humaine et tromperie en contexte forensique : une combinaison gagnante?Lucie Ménard (UQAM), Julien Plante-Hébert (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Déterminer si une trace vocale, telle que l’enregistrement d’un appel au 911, est un défi de taille. Bien que plusieurs études se soient penchées sur la tromperie dans la parole, la forte majorité d’entre elles ont recours à des conditions expérimentales ne reflétant que pâlement les enjeux de la tromperie en contexte forensique. La présente étude fait suite aux travaux de Laforest et coll. (2020) et vise, dans un premier temps, à déterminer la capacité humaine à déceler la tromperie à l’aide seule de la prosodie et les caractéristiques qui la guident. Les jugements de 43 personnes participantes ont été récoltés quant à la tromperie possiblement contenue dans des extraits d’un corpus d’appels d’urgence aux services 911 modifiés de manière à ne préserver que l’information prosodique. Dans un second temps, 20 d’entre elles et eux ont également fourni des jugements quant à leur perception de certains indices prosodiques.
Bien que la prosodie, à elle seule, ne semble pas garante de la détection de la tromperie dans la parole, les résultats obtenus permettent d’explorer les paramètres acoustiques qui mènent aux jugements rendus par les personnes participantes. Des répartiteur.ice.s prendront également part à l’étude afin de déterminer si leurs jugements seront analogues à ceux déjà obtenus. Une attention particulière sera portée aux applications de ces observations au domaine de la phonétique forensique et des pistes de travaux futurs seront discutées.
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Communication orale
« J’suis franc avec toi » : Analyse des manifestations discursives et interactionnelles de la tromperie lors d’une entrevue d’enquête policière.Noémie Allard-Gaudreau (Université Laval), Nadine Deslauriers-Varin (Université Laval), Francis Fortin (UdeM), Sarah Paquette (University of Portsmouth)
Est-il possible d’identifier des propos mensongers ? Plusieurs chercheurs ont tenté de répondre à cette question. Les résultats obtenus sont généralement peu concluants et varient d’un auteur à l’autre. L’une des raisons expliquant ces disparités est le contexte dans lequel les mensonges ont été produits : la plupart des études sur la tromperie ont été menées en laboratoire auprès d’étudiants universitaires, un contexte reconnu pour son manque de validité écologique.
L’objectif de cette communication est donc d’explorer la façon dont des individus condamnés pour des crimes sexuels en ligne utilisent le langage pour tenter de tromper l’enquêteur lors de véritables entrevues d’enquête. Afin d’identifier les indices verbaux du mensonge, nous avons comparé, pour chaque suspect, la façon dont ils utilisent le langage lorsqu’ils fournissent une réponse trompeuse et lorsqu’ils en donnent une non trompeuse.
Les résultats montrent que sept éléments – les négations grammaticales, les marqueurs argumentatifs, les marqueurs d’incertitude, le conditionnel, les marqueurs d’ignorance, les marqueurs de sincérité et la volubilité – permettent de distinguer les réponses non trompeuses des réponses trompeuses (Allard-Gaudreau et al., sous presse). Les analyses suggèrent que ces éléments sont utilisés comme stratégies pour convaincre l’enquêteur de la véracité de propos mensongers et pour éviter de fournir des informations qui pourraient être contredites ou réfutées au cours de l’interrogatoire.
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Communication orale
L’effet de l'accent étranger sur la reconnaissance de locuteur.trice.s : étude du français québécois et hexagonal.Pamela Bautista-Boivin (UQAM - Université du Québec à Montréal), Julien Plante-Hébert (UQAM)
La présentation porte sur l’effet de l’accent étranger (EAE) sur la reconnaissance de locutrices en contexte de parade vocale pour les individus locuteurs des français québécois et hexagonal. La littérature atteste largement d’un effet de familiarité linguistique qui peut biaiser les résultats de cette méthode parajuridique. Un nombre beaucoup moins substantiel d’études ont vérifié si ce constat s’étend également aux variétés d’une même langue (régionales ou sociales). Les objectifs principaux de la présente étude sont donc de tester si un tel effet est présent pour les deux variétés de français concernées et si la prédominance de la variante dite « standard » du français engendre une asymétrie mesurable de cet effet. Des participant.e.s (n = 34) dont la variété de français maternelle est soit québécoise ou hexagonale ont participé à une tâche de reconnaissance de locutrices dans deux parades vocales, à raison d’une parade par variété de français. Les résultats révèlent qu’il n’y a pas d’effet significatif de l’accent étranger sur la reconnaissance de locutrices pour les variétés de français étudiées, malgré certaines tendances dignes d’intérêt en lien avec l’asymétrie entre les deux variétés de français et la durée d’établissement des participant.e.s français.e.s au Québec.
Session 2
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Communication orale
Le « syndrome d'aliénation parentale » : Un cas d'école de linguistique légale.Alice Lacoye Mateus (chercheur indépendant - Centre Verone Magnaud)
Le « syndrome d’aliénation parentale » (‘SAP’) désignerait une situation de séparation conjugale conflictuelle caractérisée par de fausses accusations de violence à l’encontre d’un parent, majoritairement le père, par l’autre parent, la mère, et l’enfant manipulé par cette dernière. L’expression est devenue « un élément du répertoire discursif du droit de la famille », notamment auprès des magistrats, dans les pays anglo-saxons et francophones (Prigent & Sueur, 2024). Non fondée scientifiquement, cette stratégie discursive constitue une barrière cognitive à la mise en place de mesures de protection en cas de violences intra-familiales.
Notre revue de littérature met en lumière les stratégies discursives, tant dans l’espace médiatique que judiciaire, d’occultation de la violence dont relève la rhétorique du SAP, ainsi que les biais cognitifs et culturels qui favorisent son déploiement judiciaire. Cette analyse de discours se penche tant sur le contenu rhétorique que sur le contexte judiciaire de sa production ainsi que sur le contexte socioculturel plus large dans lequel il s ‘inscrit.
Enfin, nous identifions d’autres biais et avons recours à la notion de ‘qualification juridique’ pour analyser la mécanique rhétorique du SAP. Nous posons l’hypothèse que la linguistique légale permet d’identifier et nommer les stratégies rhétoriques de déviance déployées au cœur même du fonctionnement judiciaire et de servir ainsi une bonne administration de la justice.
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Communication orale
Analyse discursive de décisions menant à l'absolution conditionnelle.Spencer C. Nault (UQAM), Alexandra Dupuy (UdeM), Véronique Durocher (UQTR), Marianne Laplante (York University)
Notre recherche porte sur les décisions juridiques québécoises qui mènent à une absolution conditionnelle. Nous nous intéressons plus précisément à la langue utilisée et aux idéologies qui en ressortent. En effet, diverses idéologies s’insèrent dans le système judiciaire (Conley et al., 2019) et peuvent être révélées par une analyse discursive et linguistique (Eades, 2010). Les cas d’agressions sexuelles regorgent particulièrement d’idéologies sexistes et hétéronormatives (Matoesian, 1993), qui ont été peu explorées dans les décisions québécoises (Durocher, 2024; Allard-Gaudreau et Cyr, 2020). Nous proposons donc d’observer deux décisions provenant du même juge qui ont mené à une absolution conditionnelle pour les accusés. Nous adoptons une approche comparative: une décision est un cas de conduite dangereuse (R. c. Teugasiale, 2022 QCCQ 1239) et l’autre est un cas d’agression sexuelle (R. c. Houle, 2022 QCCQ 4039). Nos analyses révèlent des différences dans l’utilisation de la grammaire agentive (Ehrlich, 2001), l’organisation discursive (Fairclough, 2015), l’orientation vers l’audience (Bell, 1984) et les stratégies intertextuelles (Blommaert, 2005). Nous avançons que l’analyse des idéologies dans les jugements où la peine est l’absolution conditionnelle permet de mettre en lumière l’une des multiples raisons pour lesquelles la confiance envers les tribunaux comme moyen de traiter des violences sexuelles s’est érodée.
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Communication orale
Neurodiversité et évaluation de la crédibilité des témoins en Australie.Danielle Bozin (Queensland University of Technology), Lucy Cradduck (Queensland University of Technology), Vincent Denault (UdeM - Université de Montréal), Rachel Hews (Queensland University of Technology), Catherine Kennon (Queensland University of Technology), Karen A. Sullivan (Queensland University of Technology)
Selon la Cour suprême du Canada, « la crédibilité est une question omniprésente dans la plupart des procès, qui, dans sa portée la plus étendue, peut équivaloir à une décision sur la culpabilité ou l'innocence » (R. v. Handy, 2002, p. 951). Toutefois, l’évaluation de la crédibilité peut être sujette à de nombreux stéréotypes et préjugés (Denault, Talwar & Leclerc, 2024). L’enjeu n’est pas propre au Canada (Denault et Bozin, 2024). Dans le cadre de cette présentation, les résultats d’un sondage effectués auprès de juges, magistrats, membres de tribunaux et de commissions d’Australie (N=23) seront présentés. Le sondage avait pour objectif d’en savoir davantage leurs façons d’évaluer la crédibilité des témoins, leurs opinions sur le comportement des témoins qui peuvent avoir un impact sur cette évaluation, ainsi que sur leurs connaissances et leurs attitudes à l'égard de la neurodiversité, et leurs expériences de la neurodiversité lors de procès. Les résultats du sondage rappellent l’importance de former les décideurs afin de limiter l’impact des stéréotypes et préjugés, d’aider les décideurs et les avocats à mieux comprendre la neurodiversité et la manière dont elle peut jouer sur la façon de témoigner, et de mettre en place des stratégies et des aménagements pour soutenir la neurodiversité lors de procès.
Dîner
Session 3
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Communication orale
Le rôle du topique discursif pour les modèles d'attribution de paternité conversationnelle en intelligence artificielle.Cristina Aggazzotti (John Hopkins University), Nicolas Andrews (John Hopkins Universiy), Elizabeth Smith (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La majorité des travaux sur l'attribution de la paternité modélisée à l'aide de réseaux neuronaux se concentrent sur des textes écrits, bien que quelques études aient examiné des conversations transcrites (Tripto et al. 2023, Aggazzotti et al. 2024). Tripto et al. concluent que les modèles de paternité sont plus performants que prévu, suggérant que cette technologie pourrait être utilisée à des fins juridiques. Cette conférence soulève la question de savoir si un modèle neuronal fonctionne aussi bien lorsque le topique discursif est pris en compte, arguant que de tels modèles ne sont pas encore prêts pour une adoption généralisée dans des contextes où une erreur peut avoir des conséquences négatives concrètes. Nous considérons deux types de contrôle du topique, l'un basé sur une mesure de similarité sémantique commune dans la communauté de l'apprentissage automatique, et l'autre basé plus étroitement sur la compréhension linguistique du topique dans le discours tel qu'il est négocié entre les participants dans l'interaction. Nos résultats montrent que les deux types de contrôle du topique augmentent le taux d'erreur dans les systèmes d'attribution de paternité, mais que la prise en compte de l'interaction conduit à une réduction beaucoup plus importante de la précision.
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Communication orale
Améliorer les enquêtes criminelles à l’aide de l’intelligence artificielle : emploi de la reconnaissance d’entités nommées.Maxime Bérubé (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières), Katherine Chau (Collège Jean de Bréboeuf), Francis Fortin (UdeM - Université de Montréal)
Dans un contexte où d’importantes quantités de textes circulent chaque jour, il est primordial de disposer de techniques pour extraire des connaissances utiles. Bien que divers domaines aient relevé cette problématique, la complexité des dossiers d’enquête entraîne une accumulation continue de documents. Ces pièces incluent une vaste gamme d’entités (individus, sociétés, endroits, plaques d’immatriculation, etc.) pouvant aider à déceler des liens transversaux entre affaires. Par conséquent, l’analyste qui tente de repérer des séries criminelles sans appui technologique se heurte à une tâche exigeante. Pour faciliter la mise en relation des dossiers, cette présentation décrit l’apport de l’intelligence artificielle et de la reconnaissance d’entités nommées (NER) dans un contexte d’enquêtes criminelles (notamment la fraude), permettant d’identifier rapidement les entités communes. À partir d’un réel dossier de fraude complexe impliquant plusieurs enquêtes, nous présenterons ADELA (Application de détection d’entités et de liens automatisée), conçue en partenariat avec des chercheurs et un service de police. Trois fonctionnalités seront abordées : la collecte et l’affichage des entités trouvées, la détection de rapprochements basés sur leur proximité et l’identification de correspondances entre enquêtes grâce aux entités partagées. Une évaluation de l’apport des grands modèles de langage sera aussi proposée, ainsi que les contraintes et limites de cette méthode.
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Communication orale
Analyse du contenu extrémiste (non) violent en ligne : une comparaison linguistique des discours djihadiste et salafiste.François Gillardin (UdeM - Université de Montréal)
À l'ère du numérique, l'analyse des traces numériques est cruciale pour les forces de l'ordre et le renseignement. Le volume, la variété et la vitesse des données compliquent l'identification des contenus problématiques. Cette étude relève ces défis en utilisant une classification basée sur un lexique pour distinguer les discours djihadistes des discours salafistes non violents. Pour faciliter l'identification de contenus pertinents au sein d'une grande quantité de données textuelles, nous utiliserons une classification basée sur un lexique. Bien que relativement sous-exploitée jusqu'à présent pour identifier du contenu extrémiste violent, cette méthode a déjà donné des résultats très prometteurs dans des domaines connexes (spams, harcèlement en ligne, etc.). Étant donné l'intérêt croissant pour la détection et la limitation des contenus haineux et violents en ligne, le développement d'outils technologiques est essentiel. Jusqu'à présent, la recherche s'est largement concentrée sur les discours associés aux mouvements d'extrême droite et aux groupes djihadistes. Cette étude se penche spécifiquement sur les discours djihadistes diffusés par Al-Qaïda (AQ) et l'État islamique (EI) afin d'identifier les thèmes significatifs dans ces discours. Nous proposons de comparer la présence de thèmes spécifiques dans un corpus de vidéos d’AQ et de l’EI à un échantillon de sermons salafistes diffusés sur YouTube afin d’identifier les thèmes linguistiques distinctifs entre ces discours.