Informations générales
Événement : 92e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Enjeux de la recherche
Description :La mobilisation de savoirs d’expérience est de plus en plus fréquente dans plusieurs champs de recherche, notamment dans la recherche sur les soins de santé physique et mentale, et sur le handicap, où on cherche de plus en plus à impliquer les personnes directement concernées par les enjeux étudiés. On parle par exemple de recherche participative, de pairs chercheurs, d’usagers partenaires ou de patients partenaires (Abelson et coll., 2022; Cartron et coll., 2021; David et Grégoire, 2018). Cette inclusion du savoir expérientiel est même encouragée par les grands organismes subventionnaires (IRSC, s.d.). Dans les projets de recherche, ces savoirs sont le plus souvent incarnés par des patient·es partenaires. Mais qu’en est-il de la recherche menée par des chercheur·ses détenant déjà une expérience vécue de leurs sujets de recherche?
Peu d’écrits se sont intéressés à la recherche lancée par des chercheur·ses handicapé·es, malades chroniques ou vivant avec des problèmes de santé mentale, notamment sur leur réalité à titre de chercheur·ses, et non en tant que patient·es partenaires. Il est possible qu’en raison de la prévalence du positivisme en science les chercheur·ses avec une expérience vécue aient préféré taire, lorsque possible, leur expérience vécue, afin d’éviter de se faire reprocher de manquer d’objectivité. Le fait de faire preuve de réflexivité et de parler de soi dans ses publications scientifiques est d’ailleurs vu comme un obstacle à la publication et une menace à la crédibilité (Probst, 2015). C’est pourquoi il semble important de s’intéresser, comme enjeux de la recherche, aux chercheur·ses et aux professionel·les adoptant une posture située en santé, c’est-à-dire aux personnes ayant une expérience vécue de leur sujet d’étude ou d’intervention qui portent un double rôle de personne handicapée, malade chronique ou avec des problèmes de santé mentale et de chercheur·se/professionnel·le, afin de mettre en lumière leur existence, leurs besoins et leur vécu au sein du monde universitaire.
Plusieurs enjeux demeurent peu explorés dans la littérature concernant ce double rôle, y compris les difficultés et les barrières additionnelles auxquelles sont confrontées ces personnes qui détiennent aussi des savoirs expérientiels sur leurs sujets de recherche. En santé, cela pose des défis particuliers, notamment la conciliation de l’état de santé physique et mentale avec les défis inhérents au monde de la recherche (p. ex., productivisme), les considérations méthodologiques (p. ex., réflexions sur l’objectivité), les défis et les apports théoriques, personnels et méthodologiques et la posture située, etc. Ce colloque a donc pour but d’explorer ces questions en valorisant la voix de toutes les personnes œuvrant dans les cycles supérieurs directement concernées par ces questions, y compris la voix de celles qui y étudient.
Date :Format : Sur place et en ligne
Responsables :- Joanie Theriault (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
- Catherine Côté (UdeM - Université de Montréal)
- Gabrielle Leblanc-Huard (Université Laval)
Programme
Mot d’ouverture par les organisatrices
Ouverture du colloque et mot de bienvenue de la part des organisatrices
Conférence d’ouverture
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Communication orale
Des savoirs situés aux postures situées des personnes de la diversité capacitaire : enjeux et perspectives en rechercheVéro Leduc (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La conférence d'ouverture présentera dans un premier temps le concept de savoirs situés tel qu'envisagé par les principales auteures qui s'y ont intéressé. Ainsi, seront abordés les avantages de la posture située, les principales critiques qu'on lui a fait et les exigences à envisager envers nous mêmes comme chercheur-es lorsqu'on adopte cette posture épistémologique. En effet, comme le souligne Donna Haraway, une appartenance au groupe que l'on étudie ou auquel on s'intéresse ne nous épargne pas d'un réexamen critique de nos idées et perspectives. Dans un deuxième temps, seront explorées diverses postures situées dans le champ des études critiques du handicap et des études sourdes. En prenant appui sur différents exemples d'initiatives, il sera possible de distinguer de façon critique quelques approches de recherches mobilisant la posture située. En conclusion, seront envisagées des pistes contribuant à faire de nos postures situées des postures éthiques.
Au carrefour des vécus et des savoirs : posture située en santé
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Communication orale
L’apport de l’expérience des médecins devenus patients dans l’enseignement des compétences communicationnelles : une étude qualitativeLaure Billa (UdeM - Université de Montréal)
Contexte : Des travaux pointent certaines lacunes en communication chez les médecins. Le savoir expérientiel de médecins devenus patients pourrait être mobilisé pour la conception d’un curriculum de formation visant l’amélioration de l’expression empathique. Notre question de recherche est : comment l’expérience de la maladie a-t-elle changé les pratiques de médecins et quelles sont leurs recommandations pour l’enseignement de compétences communicationnelles liées à l’empathie?
Méthodologie : L’approche qualitative exploratoire est basée sur des entretiens dirigés individuels et une analyse thématique descriptive-interprétative.
Résultats : Des médecins de famille et d’urgence (n=11) nous ont expliqué les impacts de l’expérience d’une maladie grave et leurs recommandations pour améliorer la formation et favoriser l’expression de l’empathie. Les principaux thèmes sont la prise en compte de la temporalité et de la maturité, la mobilisation de témoignages, la sensibilisation aux besoins des patients et la prise en compte de la multidimensionalité de l’expérience de la maladie (famille, travail, identité, stress, anxiété, besoins médicaux et non médicaux).
Conclusion : Le double rôle de médecins et patients permet de concevoir un curriculum adaptant leurs savoirs expérientiels pour améliorer l’expression de l’empathie dans le cursus de formation en médecine. Les témoignages facilitent l’identification et l’appropriation et contribuent à l’amélioration de la qualité des soins.
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Communication orale
Quand des questions naïves deviennent une thèse : Genèse d’une approche sociolinguistique de la douleur attribuable à l’endométriose en françaisBianca Martin (UdeM - Université de Montréal)
Source d’infertilité et de douleurs pelviennes chroniques, l’endométriose est une maladie gynécologique qui se caractérise par la croissance d’un tissu semblable à celui qui constitue l’endomètre hors de l’utérus. Cette pathologie sans traitement curatif toucherait une personne assignée au sexe féminin à la naissance sur dix.
Au cœur du vécu de la patientèle se trouve l’errance médicale. Il s’écoule de 5 à 8,9 ans entre l’apparition des premiers symptômes de la maladie et l’obtention d’un diagnostic officiel. La méconnaissance de la maladie, le tabou menstruel, l’influence du genre dans la verbalisation de la douleur sont autant de facteurs qui y contribueraient. Pour Hays (2020), la patientèle endométriosique doit acquérir du savoir et se montrer comme un modèle auprès des médecins afin d’être prise au sérieux.
C’est dans le contexte de ma propre errance médicale que j’ai atterri sur des forums de soutien à la patientèle. Au fil des interactions, de nombreuses questions ont émergé : comment la patientèle acquiert-elle la terminologie? Comment exprime-t-elle la douleur? Des études antérieures en anglais et en espagnol ont mis en évidence certaines métaphores fréquemment utilisées pour exprimer la douleur endométriosique. Comme linguiste francophone, j’ai constaté l’absence de travaux sur le français et la variation géographique.
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Communication orale
La maladie cœliaque, ça change quoi dans une vie ?Marie-Joëlle Simon (UQTR - Université du Québec à Trois-Rivières)
La maladie cœliaque (MC) est une condition auto-immune qui empêche les personnes atteintes de consommer du gluten, et ce, incluant la contamination croisée. Diagnostiquée pendant mes études en ergothérapie, j’ai constaté que ses impacts dépassent largement le régime alimentaire. Toutefois, après n'avoir trouvé aucune recherche combinant les adultes atteints de la MC et l'ergothérapie, dans le cadre de mon essai de maîtrise, j'ai choisi de mener une étude phénoménologique descriptive mixte en ce sens. 858 personnes ont rempli le questionnaire créé pour cette étude en 2024. Ma posture de chercheuse, future ergothérapeute et patiente m’a permis de produire des données nouvelles et porteuses de sens.
Notamment, faire l’épicerie, cuisiner, gérer les coûts élevés des aliments sans gluten, maintenir des relations sociales de qualité, participer à des activités sociales et voyager ne sont qu’une part des activités affectées par cette condition. L’invalidation émotionnelle et la banalisation des symptômes par les professionnels de la santé sont également un problème majeur. Les impacts de la MC peuvent aussi être une source d’anxiété et d’émotions déplaisantes pour les personnes atteintes.
Maintenant diplômée, je souhaite contribuer à améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de la MC. Pour ce faire, je prévois combiner les résultats de cette étude et ma posture située afin de faire évoluer les connaissances, les pratiques et les politiques publiques au Québec et au Canada.
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Communication orale
Reconnaître l’invisible : posture située et stigmatisation des effets neuro-immuns persistants post-vaccinationTiff-Annie Kenny (UdeM - Université de Montréal)
La vaccination demeure un pilier incontournable de la santé publique. Toutefois, une minorité de personnes développe des symptômes neuro-immuns persistants sans biomarqueurs clairs, similaires à des conditions telles que EM/SFC et POTS. Déjà marquées par la stigmatisation, le biais de genre et la psychologisation, ces affections rencontrent des obstacles accrus lorsqu’elles émergent après une vaccination, dans un contexte où l’on craint de renforcer l’hésitation vaccinale. Il existe pratiquement aucune recherche documentant les expériences de ces patient·e·s, perpétuant un déficit de reconnaissance.
Dans cette communication, j’adopte une posture située en tant que chercheuse et patiente vivant avec une condition post-vaccinale, en mobilisant une approche participative co-conçue avec des personnes concernées. Inspirée par ma décennie d’expérience en recherche collaborative avec des communautés marginalisées, je m’appuie sur l’analyse de récits numériques issus des réseaux sociaux et sur l’engagement actif dans des communautés de soutien. J’examine comment la stigmatisation, le biais de genre et le manque de reconnaissance institutionnelle exacerbent les obstacles cliniques et sociaux rencontrés par les patient·e·s, tout en explorant leurs répercussions sur les trajectoires de soins et la qualité de vie. Ces constats éclairent des pistes éthiques et méthodologiques pour intégrer les savoirs expérientiels dans la recherche et la pratique.
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Communication orale
F comme fardeau: Mon expérience vécue de divulgation de problème de santé mentale dans le milieu académiqueEmilie Hudson (UdeM - Université de Montréal)
Divulguer des défis en santé mentale dans le milieu académique est un processus complexe. Bien que cela puisse faciliter l’accès au soutien, encourager l’advocacy et renforcer des liens, cela comporte aussi des risques de stigmatisation, discrimination et répercussions académiques. Dans les programmes de soins de santé, la divulgation est d’autant plus délicate en raison des enjeux liés à l’identité et à la compétence professionnelle.
Cette présentation porte sur mon expérience de divulgation d’un problème de santé mentale durant mes études dans un programme de soins de santé aux cycles supérieurs. À travers une approche autoethnographique, je réfléchis à la manière dont la pression académique m’a poussée à divulguer pour demander du soutien, ainsi que les conséquences de cette décision.
J’analyse cette expérience à travers le processus de divulgation issu de ma revue sur les professionnels de la santé, en la comparant aux études sur la divulgation dans le milieu académique. Cette analyse explore: balancer les avantages et les risques; les décisions entourant la divulgation, soit à qui, quoi, quand, et comment divulguer; et les conséquences. Je décris le cycle continu de divulgation forcée: je dois sans cesse expliquer cet événement dans mes demandes de financement.
Enfin, je réfléchis à l’impact de cette expérience sur mon positionnement en tant que chercheuse avec expérience vécue et propose des recommandations aux étudiants et aux institutions académiques.
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Communication orale
Des personnes étudiantes de la diversité capacitaire employées au sein de la recherche : une présence qui garantit le « par et pour »?Artemis C. Guay (UQAM - Université du Québec à Montréal), Raphaël Jacques (Université du Québec à Montréal), Geneviève Pagé (Université du Québec à Montréal)
Le projet « S’attaquer aux injustices reproductives » documente les obstacles et discriminations qui surviennent lors de l’utilisation de services en santé sexuelle et reproductive pour des personnes lesbo-queer, en situation de handicap ou Sourdes. La collecte de données a été réalisée par entrevues narratives du parcours de soins inspirées de la méthode du récit de vie (1,2). Ce projet repose sur un partenariat de quatre chercheuses, cinq organismes communautaires desservant la population cible et quatre personnes étudiantes issues des communautés lesbo-queer ou de la diversité capacitaire. Selon une démarche réflexive et critique (3) et leur expérience en tant que personnes employées au sein du projet depuis trois ans, deux personnes étudiantes présenteront leurs constats quant aux bénéfices et enjeux de détenir une posture située. Trois grands thèmes seront abordés : 1) les défis de représentativité d’une communauté aussi hétérogène que celle de la diversité capacitaire, sans essentialiser les identités ; 2) le dévoilement de sa propre posture comme outil de sécurisation et d’approfondissement des données collectées ; 3) les besoins d’adaptation individuels et temporels à l’interface des impératifs de productivité scientifique. Ces constats permettront de mettre en lumière des considérations méthodologiques et éthiques à approfondir alors qu’il est de plus en plus attendu que les recherches sociales s’ancrent dans un paradigme « par et pour » (4).
Réflexion sur la posture située en santé : dialogue entre étudiantes et chercheuses
Dîner
Suicidalité, suicidisme et posture située en recherche : du dévoilement de soi au dévoilement des autres
Cette conférence se penche sur les postures situées et les dévoilements de soi au regard de la suicidalité. Dans mon livre Défaire le suicidisme : une approche trans, queer et crip du suicide (assisté), je me dévoile en tant que personne suicidaire et je soutiens que les personnes suicidaires sont opprimées par un suicidisme systémique (à travers diverses formes de violence, discrimination, marginalisation, pathologisation et incarcération) et j'appelle à la création d'un mouvement antisuicidiste. J’argumente que les services de prévention font plus de mal que de bien et que cela est particulièrement vrai pour les personnes suicidaires appartenant à des groupes marginalisés. La diffusion de mes travaux sur le suicidisme, combinée à des entrevues et conférences, a permis à plusieurs personnes suicidaires de découvrir le suicidisme. Ces personnes me contactent par centaines pour me partager leurs expériences du suicidisme. Bien que je sois reconnaissant pour leurs partages qui constituent une première étape dans la création d'un mouvement antisuicidiste, répondre à et écouter ces personnes suicidaires est une expérience complexe. J'offre une analyse auto-ethnographique de ce que cela signifie d'être en première ligne pour recevoir des témoignages de personnes suicidaires, tout en faisant face à ma propre suicidalité.