Informations générales
Événement : 92e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :En écho au thème principal du 92e Congrès de l’Acfas — « La recherche au cœur des solutions technologiques et sociales » —, ce colloque consacré au travail social en contexte numérique entend faire état des recherches empiriques et théoriques en contextes francophones.
En matière de technologies dans le champ du travail social, l’attention des chercheur·ses s’est d’abord portée sur l’informatisation et l’introduction de dispositifs sociotechniques « innovants », avant de s’élargir aux enjeux sociaux et éducatifs liés à la massification de l’informatique, de l’Internet, des technologies de l’information et de communication, puis des technologies numériques (Bouchard et Ducharme, 2000; Jochems, 2023; Sorin, 2023; Vitalis, 2019). Le thème du numérique renvoie aujourd’hui à la fois à l’évolution des environnements de travail (workplace) des travailleur·ses sociaux·les et aux évolutions des sociétés dans lesquelles se déploient leurs interventions.
Dans un contexte où les pratiques de l’informatique connectée constituent aujourd’hui le cadre ordinaire d’un nombre toujours plus grand d’usages sociaux, l’appropriation des dispositifs sociotechniques sur les terrains professionnels (équipements, systèmes d’information, progiciels, etc.) s’articule avec la prise en compte par les professionnel·les des besoins et des souhaits — exprimés ou perçus — des publics en matière d’utilisation des technologies numériques. L’accompagnement se déploie dans une société « devenue » numérique et, dans une certaine mesure, il se réalise avec des technologies numériques dont l’appropriation par les professionnel·les continue de générer de nombreux questionnements pratiques, éthiques et identitaires.
À la croisée des logiques du système, de l’acteur et de l’action (Araujo-Oliveira, Chouinard et Pellerin, 2018), les communications proposées pourront adopter différents niveaux d’appréhension des technologies numériques dans le travail social. Les communications pourront également discuter des cadres théoriques et des méthodologies de recherche les plus susceptibles de saisir finement les évolutions du travail social en contexte numérique.
Date :Format : Sur place et en ligne
Responsables :- Sylvie Jochems (UQAM - Université du Québec à Montréal)
- Josée Grenier (UQO - Université du Québec en Outaouais)
- François Sorin (CEREISO (Askoria))
- Périne Brotcorne (UCLouvain)
Programme
Accueil et introduction
Mutations numériques des environnements de travail
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Communication orale
Fabriquer des données numériques : le travail d’inscription dans les services sociauxJulie Tiberghien (Haute école de travail social et de la santé Lausanne / Université de Lausanne)
Dans un contexte de numérisation croissante du travail, les assistantes sociales et assistants sociaux sont au cœur de la production et de l’usage de données numériques. Ces inscriptions, souvent qualifiées d’« immatérielles », s’ancrent en réalité dans des « infrastructures scripturales » (Denis, 2018), composées à la fois de dispositifs techniques et de pratiques d’inscription.
Cette communication prend appui sur la logique de l’action (Araujo-Oliveira, Chouinard et Pellerin, 2018) pour analyser l’ancrage sociotechnique des activités des assistantes sociales et assistants sociaux. Elle s’attache en particulier à rendre visible le « travail invisible » (Star, 1999) que suppose la fabrication de données numériques. À partir d’une étude ethnographique en cours depuis 2022, menée au sein de cinq services sociaux en Suisse romande, il s’agit de documenter la façon dont les données sont produites, « obtenues » (Latour, 1996) et problématisées par celles et ceux qui y exercent. En prenant au sérieux ces activités d’inscription et leur matérialité, la communication propose d’analyser le rôle et la signification des données numériques dans le travail social. Qu’est-ce que récolter des données numériques dans les services sociaux ? Que signifie cette activité pour les assistantes sociales et assistants sociaux ? Dans quelle mesure la problématisent-elles et ils, et de quelles manières ?
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Communication orale
De la réticence à l’adoption : étude de cas sur l’implémentation de l’Outcome Star par des conseillers en insertion professionnelleMarlina Napaseuth (Université d'Evry Val d'Essonne - Paris Saclay)
Cette étude examine l'adoption d'Outcome Star, un nouvel outil numérique imposé aux conseillers en insertion professionnelle par le haut, et analyse les transformations des pratiques professionnelles qui en ont résulté. En partant des réticences initiales, nous suivrons le processus d'appropriation de l'outil jusqu'à son intégration dans les habitudes professionnelles. Nous nous intéresserons particulièrement au rôle joué par les instances nationales dans le déploiement de cet outil et aux raisons pour lesquelles les conseillers ont finalement adopté un outil standardisé, abandonnant ainsi leurs pratiques plus personnalisées. Mais surtout, nous nous intéresserons à la vision et aux stratégies mises en place par des conseillers en tant que groupe professionnel face à la venue d’un nouvel outil numérique dans leurs habitudes de travail.
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Communication orale
Digitalisation solidaire du travail social, entre innovation et mutualisationPhilippe Lesne (Haute école - Henallux / Helha - Master en ingénierie et action sociales)
La digitalisation des services sociaux pose la question de l’appropriation des outils numériques par les équipes du secteur de l’action sociale. Plat-Com, développé au sein de services d’Aide à la jeunesse, illustre une démarche d’innovation sociotechnique mutualisée, en rupture avec les solutions standardisées du marché. Face aux limites des logiciels commerciaux, inadaptés aux réalités du travail social, l’équipe fondatrice a conçu une plateforme collaborative favorisant la communication et l’échange, tout en respectant la diversité des pratiques institutionnelles. L’analyse du projet met en lumière les tensions entre normalisation et flexibilité, efficacité et robustesse (Hamant, 2022), ainsi que les défis liés à la gouvernance numérique, la protection des données et la formation des équipes. Développé selon une approche co-construite, PlatCom a évolué vers Hub People, une coopérative permettant la mutualisation des outils numériques adaptés aux structures sociales. Cette communication interrogera les conditions d’une digitalisation éthique et maîtrisée du travail social, entre contraintes technologiques, réalités budgétaires et impératifs professionnels, en mettant en perspective la nécessité d’une autonomie numérique sectorielle et d’une co-gestion des innovations technologiques par et pour les travailleurs sociaux.
Travail social et nouvelles normativités numériques
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Communication orale
Inclusion sociale à l’ère du numérique au Québec : pour qui ? Par qui ? De quelle façon ?Virginie Hébert (INRS), Émilie Michaud (INRS - Institut national de la recherche scientifique)
Au Québec, en 2025, une partie de la population en situation de vulnérabilité numérique peine encore à accéder à une connexion internet et aux services gouvernementaux en ligne (ATN, 2024). Par ailleurs, le niveau de compétences de la population demeure inégal (OCDE, 2024). Pour certains individus rencontrant des difficultés avec l’usage du numérique,la dématérialisation des démarches administratives complexifie grandement l’accès aux services publics et risque, paradoxalement, de conduire à un non-recours aux droits et aux services, accentuant ainsi les inégalités sociales. Pour favoriser l’inclusion numérique — étroitement liée à l’inclusion sociale (Granjon, 2004) —, un continuum de mesures peut être mis en place, allant de mesures de connectivité jusqu’aux mesures d’éducation au numérique. En contexte de transformation numérique gouvernementale, la situation au Québec nécessite donc une intervention multifacette autour du repérage des publics fragilisés et de la structuration de l’écosystème de l’inclusion numérique au sein d’une stratégie plus large d’inclusion numérique. Cette présentation, qui s’appuie sur un rapport de recherche récent(Hébert, 2024), offre un regard sur la situation actuelle en matière d’inégalité numérique et sur les pratiques déjà existantes afin de favoriser l’inclusion de tous les citoyens dans une société de plus en plus numérique. Nous nous interrogerons sur la place du travailleur social dans ce continuum.
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Communication orale
L’accompagnement vers l’emploi en contexte numérique : la médiation comme résistance ?Maël Dif-Pradalier (HES-SO), Thomas Jammet (Haute école de travail social Fribourg (HETS-FR / HES-SO))
Nous nous penchons sur la manière dont l’omniprésence du numérique reconfigure l’accompagnement vers l’emploi de publics précaires, en étudiant les intermédiaires du marché du travail (Pillon et al., 2019). Le domaine de l’insertion est particulièrement intéressant pour saisir les évolutions du travail social sous l’effet de la numérisation, où le « tournant numérique » tend à renforcer les exigences du « tournant de l’activation » (Barbier, 2011), obligeant les bénéficiaires à fournir des efforts pour trouver un emploi sous peine de sanctions (Dubois, 2021). L’administration numérique repose sur une logique de libre-service (Schou & Pors, 2019) qui ignore largement les besoins et compétences des usager·es en matière d’appropriation des dispositifs sociotechniques qui leur sont imposés (Brotcorne et al., 2019 ; Mazet, 2017), conduisant les usager·es les plus en difficulté à se tourner vers les intermédiaires du marché pour obtenir de l’aide (Codron, 2022 ; Jammet & Dif-Pradalier, 2024). Nous analysons le travail de médiation numérique (Sorin, 2019) effectué par ces intermédiaires comme une forme de résistance « pour le client » (Martel & Roux, 2020), justifiée au nom d’une conception relationnelle de l’activité à sauvegarder contre des injonctions managériales jugées contreproductives. Notre propos se base sur une recherche menée en Suisse entre 2021 et 2022 au moyen d’un questionnaire en ligne et de deux focus groups avec des professionnel·les de l’insertion.
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Communication orale
Le cens caché de l’accompagnement au numérique. Le cas des « jeunes adultes en difficulté » en SuisseMaël Dif-Pradalier (HES-SO), Joseph Hivert (Haute école de travail social de Fribourg)
Des organismes prestataires du canton de Vaud mettent en œuvre, sur financement des autorités, 12 mesures d’insertion sociale de transition (MIST) qui sont destinées aux jeunes âgés de 18 à 25 ans sans formation professionnelle initiale achevée et qui visent à préparer à une (nouvelle) entrée en apprentissage.
Cette communication s’appuie sur des données qualitatives (entretiens semi-directifs, focus group et observations ethnographiques) issues d’une enquête conduite au printemps 2024.
Nous montrerons que :
I- l’offre d’accompagnement au numérique proposée par ces organismes prestataires tend à accentuer les inégalités socionumériques (Granjon, 2022) entre bénéficiaires et à entretenir, en les anticipant, les logiques de ségrégation sur le marché des places d’apprentissage : tandis que les jeunes les plus dotés scolairement, les plus autonomes numériquement et en capacité de mobiliser les outils numériques se voient offrir « plus et mieux » en termes d’accompagnement au numérique, celles et ceux les moins nantis bénéficient d’un accompagnement basique, adapté à des métiers n’exigeant pas ou peu de compétences numériques, révélant ainsi le « cens » caché de l’accompagnement au numérique.
II- les MIST fonctionnent comme un « quasi-marché » (Zaffran & Vollet, 2018) à forme stratifiée où coexistent des prestataires de segments différents.
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Communication orale
De l'exclusion numérique à l'exclusion sociale: analyse des conséquences de la digitalisation sur le travail social en Belgique francophoneMartin Kern (FdSSB, Bruxelles), Justine Vleminckx (FdSSB)
En Belgique, depuis la pandémie du Covid-19, la généralisation de la numérisation des services publics et privés (les banques, par exemple) s’est accélérée. En toile de fond de ce mouvement : un grand plan européen - le “Digital first” - qui encourage les industries, les entreprises et les administrations publiques à la numérisation par défaut de leurs services, pour l’horizon 2030. Dans le secteur social associatif, ce mouvement inquiète. Il s’accompagne le plus souvent de la fermeture des guichets physiques, qui entrave les conditions d’accès à une série de droits essentiels, dans la mesure où 40% des Belges sont à risque d'exclusion numérique. Dans ce contexte, les services sociaux associatifs sont contraints d’endosser un rôle de sous-traitant des administrations mais aussi d'institutions privées comme les banques ou les fournisseurs d’énergie. A partir de témoignages et d’analyses de travailleurs·euses sociaux·ales produits dans le cadre de sessions de Méthode d’Analyse en Groupe (MAG), cette présentation mettra en lumière la manière dont les politiques de “digitalisation par défaut” en Belgique francophone impactent le cœur même du métier d’assistant social, sa mission (de travailleur social à agent administratif), son sens mais également la mise en œuvre des règles du code de déontologie qui l’encadre.
Pause « dîner » (midi)
Appropriations plurielles dans le secteur médico-social
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Communication orale
Outils numériques et transformations du travail médico-social : l’appropriation par les salariées des outils peut-elle permettre de retrouver du « sens » au travail ?Anne Le Roy (Creg-UGA), Emmanuelle Puissant (UGA, Creg)
Notre communication analyse, suite à l’introduction d’outils numériques, les transformations vécues par les salariés dans leur quotidien au travail, dans des activités médico-sociales (handicap et personnes âgées). Nous montrons une tendance à la perte de sens au travail perçue par les salariées, liée à un sentiment de ne plus pouvoir répondre aux besoins des personnes accompagnées. Ces obstacles au travail « bien fait » (au sens de Y. Clot) sont accélérés et accentués par la diffusion d’outils numériques de suivi et d’organisation de l’activité. Notre contribution s’interrogera sur les liens entre l’introduction de ces outils et la perte de sens au travail, et cherchera à comprendre si une appropriation syndicale et salariale des outils pourrait permettre de se réapproprier son travail et développer un travail de qualité selon les salariées, c’est-à-dire répondant aux besoins des personnes.
Notre communication est issue de deux recherches. I. Une recherche-action syndicale, financée par l’IRES, menée par le CREG et une Union Départementale CGT, portant sur les transformations des activités médico-sociales dans les associations, suite à l’introduction de nouveaux outils numériques, mêlant méthodes qualitatives et quantitatives. II. Une recherche coordonnée par le LEST pour le compte de la DREES, portant sur l’intégration d’outils numériques et l’identification de conditions à réunir pour que ces outils puissent être au service du travail et du service rendu.
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Communication orale
Les pratiques numériques dans le secteur médico-social : entre dématérialisation et invisibilisationPascal Plantard (Université Rennes 2), Plantard, Yann, Blin, Le Chêne, Mell et Salaün ÉQUIPE CAPUNI-EMS (Université de Rennes II)
Dans un contexte d'investissement de l’État français pour généraliser le déploiement du Dossier usager informatisé (DUI) dans les établissements et services médico-sociaux (ESMS), la recherche CAPUNI EMS explore les dynamiques du travail social au regard de la généralisation du numérique et les potentiels bénéfices que les personnes accompagnées peuvent tirer de l'usage des technologies numériques. La méthodologie déployée combine une enquête qualitative dans quatre ESMS, inspirée de la recherche-action collaborative et deux vagues d'enquêtes quantitatives nationales. Les premiers résultats identifient des degrés d'appropriation différenciés du numérique dans les établissements. Ils révèlent une tension entre, d’une part, des pratiques numériques institutionnelles identifiées (organisationnelles, écrits professionnels) et d’autre part, des pratiques numériques professionnelles invisibilisées (accompagnement, médiation). Cela nous pousse à questionner la représentation très présente en France, de travailleurs sociaux distants avec le numérique alors qu'ils nous apparaissent plutôt en questionnement sur l'injonction à la dématérialisation. Inscrite dans la poursuite des travaux en socio-anthropologie critique des usages menées en Bretagne depuis 20 ans, cette recherche vise à objectiver les imaginaires, les représentations et les évolutions des usages induites par le numérique dans les ESMS, tant chez les professionnels que les personnes accompagnées.