Informations générales
Événement : 92e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :Nous assistons depuis quelque temps à un renouveau d’intérêt pour les catégories de nostalgie et d’utopie. Or, la brèche entre le savoir érudit sur cette thématique et son usage au quotidien dans des discours médiatiques est immense. L’histoire conceptuelle de ces deux termes demeure largement inconnue au-delà des réseaux de recherche spécialisés, « nostalgie » et « utopie » n’étant fréquemment compris qu’en tant que mots élémentaires et péjoratifs mobilisés pour écarter les inquiétudes de celles et ceux qui se montrent « mésadaptés » à un présent qui est toujours à certains égards insatisfaisant mais auquel nous sommes censés consentir afin d’être « réalistes ».
L’architecture temporelle de la démocratie libérale se révèle ainsi l’expression par excellence de ce que l’historien français François Hartog avait désigné comme « présentisme » dans son ouvrage marquant Régimes d’historicité (Seuil, 2003), soit un ordre social du temps qui survalorise le présent au lieu de tenir compte de la valeur « nostalgique » du passé ou de celle « utopique » de l’avenir, et, ce faisant, ignore les potentialités politiques propres à ces deux catégories.
Date :Format : Sur place et en ligne
Responsables :- Mitia Rioux-Beaulne (Université d’Ottawa)
- Alexei Kazakov (Université d’Ottawa)
- Daniel Nunes (Université d’Ottawa)
- Ola Siebert (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Programme
Passé présent
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Communication orale
Au revoir le grand soir ? Révolution, nostalgie et utopie dans le renouveau de la philosophie politique françaiseSamuel de Brouwer (York University)
Le renouveau de la philosophie politique en France au XXe siècle trouve ses racines dans une relation conflictuelle avec l’idée de révolution. Non seulement deux de ses figures fondatrices, Cornelius Castoriadis et Claude Lefort, ont élaboré leur pensée à partir d’un dialogue constant avec Marx et les marxismes, mais la question de la révolution, dans ses dimensions théoriques et historiques, a durablement influencé la philosophie politique française jusqu’à nos jours. Cependant, un basculement conceptuel s’est progressivement instauré, où la révolution fut supplantée par l’idée de démocratie comme clé d’interprétation privilégiée de l’expérience moderne. Cette présentation se propose d’examiner si ce triomphe de l’idée démocratique constitue une forme de substitution utopique au concept de révolution qui conserverait les bénéfices d’un regard nostalgique tourné vers un passé révolutionnaire idéalisé. Pour ce faire, nous analyserons les débats entre Castoriadis et Lefort sur le statut de la révolution de Mai 68, ainsi que la polémique sur la pathologie ou l’acuité du « révoltisme » entre Marcel Gauchet et Miguel Abensour. La mise en dialogue de ces deux moments pivots de la philosophie politique française permettra de retracer les évolutions de ce mouvement intellectuel, mais également de déterminer les paramètres d’une réflexion plus large sur le rapport que doit entretenir la démocratie libérale.
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Communication orale
Quelle utilité pour une nostalgie en « confrontation notionnelle » avec la réalité ?Alexeï Kazakov (Université d’Ottawa)
Dans son article « The Truth in Relativism », le philosophe anglais Bernard Williams a introduit une distinction entre deux manières qu’un système de croyance étranger peut se présenter à nous : en tant que confrontation « réelle » et en tant que confrontation seulement « notionnelle », cette dernière se distinguant par le fait que le système de croyance en question ne se présente pas comme une « option réelle » pour un mode de vie en modernité — « malgré, glisse Williams, la nostalgie passionnée des nombreux ». En revanche, il affirme que les systèmes de croyance qui se présentent à nous en tant que « confrontation notionnelle » retiennent toujours une utilité analogue à celle de la fiction en tant que « fantaisie autocritique ».
Cette communication a donc deux objectifs. Le premier, c’est de réfléchir plus profondément sur quelques idées que Williams laisse sous-développées dans son article pour élaborer une théorisation rigoureuse de la notion de la nostalgie en tant que désir pour des options « non-réelles », notamment son rôle pseudo-littéraire de « fantaisie autocritique ». Le second, c’est d’examiner de plus près ce rôle potentiellement prospectif avec une lecture de l’essai « Réflexions sur l’exil » d’Edward Saïd, et plus particulièrement l’idée qu’on retrouve dans ce texte de « travailler » ses attachements sentimentaux — notamment le sentiment d’appartenance nationale — dans le contexte de l’articulation de ce que j’appelle une « éthique de l’exil » chez Saïd. -
Communication orale
Temporalité des rétrotopies post-soviétiques : Palimpseste du temps dans DAU et Captain Volkonogov EscapedAlexandre Zaezjev (Université McGill)
Ce travail explore la temporalité des rétrotopies post-soviétiques à travers deux projets cinématographiques russophones contemporains : DAU et Captain Volkonogov Escaped, deux phénomènes culturels majeurs du cinéma post-soviétique et de l’art multimédia contemporain. En s’appuyant sur le concept de rétrotopie développé par Bauman, cette étude examine la manière dont ces oeuvres construisent des visions anachroniques de l’époque stalinienne. Dans ces deux projets, le passé soviétique est entrelacé avec des éléments du présent, formant un palimpseste temporel où les traces des réalités contemporaines émergent à travers la reconstitution historique.
À travers ces études de cas, ce travail analyse comment DAU et Captain Volkonogov Escaped remettent en question la conception linéaire du temps. Il interroge les dynamiques entre commencements et fins, authenticité et artificialité, et l’immédiateté et la continuité. Ces temporalités superposées reflètent non seulement la relation complexe de la société post-soviétique avec son histoire, mais également des questions plus larges sur le rôle de la mémoire, de la nostalgie et de la reconstruction historique dans la formation de l’identité collective.
Passé imaginé
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Communication orale
Temps rêvé : Verticalité, résonance et mémoire de l’avenir chez BachelardErik Brownrigg (York University)
Cette présentation explore la pensée de Gaston Bachelard comme résistance à l'enfermement temporel dans les sociétés de marché contemporaines à travers les concepts de temps vertical, de résonance et de mémoire de l’avenir. Bachelard critique la temporalité horizontale et sa continuité causale, tant en épistémologie qu’en métaphysique. Il conçoit le temps vertical comme une résonance, une intensification de l’instant qui résonne au-delà de lui-même. Dans La Poétique de la rêverie, il décrit l’enfance éternelle non comme une régression, mais comme une mémoire que le poète refuse d’oublier — précédant l’être et pourtant ouverte sur l’avenir. Ce temps poétique est utopique sans être rétrograde, se mesurant toujours par son différentiel entre réalité et irréalité. Contrairement aux temporalités capitalistes qui traitent le temps comme une ressource, la mémoire poétique de Bachelard s’amplifie sans posséder. Dans L’Air et les Songes, il avertit que « une image trop réalisée coupe les ailes de l’imagination » — le vrai poète ne fuit pas la réalité, mais met l’imagination en mouvement. Cette mobilité des images, oscillant entre terre et ciel, empêche le temps d’être aplati. Par cette invitation à rêver, au vol de l’imagination, Bachelard favorise une rêverie qui déstabilise et met la pensée en mouvement. Je propose que l’utopie chez Bachelard ne soit pas programmatique, mais une déviation, un écart entre réalité et irréalité, où l’imagination demeure une résistance temporelle.
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Communication orale
La Fabrique de l'âge d'or. Poésie pastorale, nostalgie et modernité chez FontenelleMitia Rioux-Beaulne (Université d’Ottawa)
Dans cette communication, je vais présenter un aspect de l'esthétique de l'églogue de Bernard le Bovier de Fontenelle, telle qu'il l'a théorisée dans le cadre de la Querelle des Anciens et des Modernes, prenant ouvertement parti pour les Modernes. Cette esthétique a l'intérêt de révéler de quelle manière l'évolution du genre vers sa forme la plus moderne permet de révéler que la poésie pastorale puise à un affect nostalgique pour en fait concevoir un monde inédit - autrement dit, de produire une utopie en créant un espace fictionnel qui dialectise le présent depuis une image d'un passé qui n'a jamais été. C'est là que se révèle, pour paraphraser Blumenberg, la "légitimité des modernes", à savoir dans leur capacité à mobiliser un héritage sans se faire servile à son égard.
Dîner libre
Rêves politiques
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Communication orale
La temporalité dans les utopies classiquesDaniel Mendonça Nunes (Université d’Ottawa)
Dans ma présentation, je souhaiterais remettre en question l'interprétation que les utopies classiques n'ont pas d'histoire (en termes de bouleversement fondamental de l’ordre établi) et suggérer qu’il existe bien une forme d ’historicité dans les utopies classiques. La conception hégélienne de l’histoire est intimement liée à l’idée de progrès, et il serait donc difficile d’identifier une utopie qui s’y conforme entièrement, bien que La Nouvelle Atlantide de Bacon en présente certains éléments. Plutôt que d’aborder les utopies en termes d’histoire et de progrès, je proposerai d’adopter une perspective fondée sur la perfectibilité de la société ou des individus.
Les utopies après le progrès se caractérisent par l’idée que l’avenir est ouvert à la possibilité d’une perfection. En revanche, les utopies classiques sont marquées par une perfection originelle ou archaïque. Étant parfaites dès leur fondation, le seul mouvement possible de l’histoire est alors celui du déclin – une conception effectivement dominante chez les Anciens et au Moyen Âge. L’histoire, dans les utopies classiques, n’est donc pas un mouvement de progression, mais un travail constant de préservation du statu quo existant. Cette préservation ne repose pas sur des technocrates, mais sur la politique. Dans ce cadre, j’examinerai certains textes classiques afin d’analyser les modalités d’organisation de leurs régimes et d’explorer cette conception particulière de l’historicité utopique.
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Communication orale
Les utopies comme espaces discursifs de résistanceIbrahima Ba (UNIVERSITE CHEIKH ANTA DIOP), Karine Collette (Université de Sherbrooke)
Le néolibéralisme est posé comme discours dominant. Qualifié de Novlangue en raison des procédés d’inversion et de réduction sémantiques ainsi que des dynamiques de fétichisation, il est également considéré comme une langue de bois, pétrie d’euphémismes, de polissage et de neutralisation sémantique. Sa puissance d’expansion, de contagion même aux domaines les plus inattendus et ses traits discursifs en font, au sens de la théorie du discours social des marqueurs de l’hégémonie discursive de notre temps.Or, l’analyse conforte aussi l’exigence de dépasser cette perspective dogmatique largement accusée d’être socio biologiquement délétère. Au changement de paradigme appelé par des scientifiques, des penseurs, des regroupements citoyens, etc. répond une quête de « nouveaux récits ». L’émancipation souhaitée d’un discours aliénant, le lent processus de décolonisation des esprits est oeuvre de distinction langagière, déjà éprouvée dans une temporalité historique et contemporaine par les auteurs africains de la décolonisation. Nous explorerons l’expression des utopies ou rétropies à travers diverses productions francophones authentiques subversives, poétiques, des hybridations sémiotiques et langagières, projections de mondes désirables fantasmés comme autant de traces discursives originales qui permettent et tracent l’émancipation de la pensée par la langue, décolonisation des esprits face à l’hégémonie discursive néolibérale.
Rêves scientifiques
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Communication orale
Imaginaires sociotechniques au Québec: entre science et science-fiction.Ola Siebert (UQAM - Université du Québec à Montréal)
La présente communication propose d’examiner les relations complexes entre le monde industriel et culturel à travers le prisme de la science-fiction québécoise. En mobilisant des travaux préliminaires portant notamment sur l’œuvre d’Yves Gingras et en s’appuyant sur une recherche archivistique effectuée dans Le Devoir ainsi que sur une lecture approfondie du Petit guide de la science-fiction au Québec de Jean-Louis Trudel, il s’agit de dégager un imaginaire que j’ai qualifié d’« interdisciplinaire ».
Contrairement à une utopie politique ou culturelle, cet imaginaire se présente comme une forme de résistance face au courant techno-culturel dominant. Les thématiques telles que l’intelligence artificielle ou la présence d’extraterrestres servent en effet de toile de fond pour aborder des enjeux contemporains majeurs.
Cette étude se base sur une approche comparative et interdisciplinaire. D’une part, l’analyse documentaire et archivistique permet de retracer l’évolution de la création culturelle au sein du milieu scientifique et industriel au Québec. D’autre part, un volet comparatif est développé à travers l’étude de la représentation explicite de l’intelligence artificielle dans la science-fiction polonaise, notamment à travers les œuvres de Stanisław Lem.
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Communication orale
L’avenir selon James Lovelock : entre catastrophisme climatique et utopie technophiliqueDaniel Tanguay (Université d’Ottawa)
James Lovelock, savant et inventeur, est connu comme le créateur de l’hypothèse Gaïa et aussi pour ses réflexions sur l’avenir de l’humanité. Ces dernières sont nourries de sa compréhension générale des équilibres géophysiologiques et biologiques permettant la vie et, en particulier, la vie de l’espèce humaine, mais s’enracinent aussi dans des conceptions anthropologiques et philosophiques plus générales qui servent de fondements implicites à sa vision de l’histoire de l’humanité. Il a présenté les résultats souvent spéculatifs de ses réflexions dans une série d’ouvrages destinés au grand public et qui ont eu un assez grand retentissement, en particulier The Revenge of Gaia, The Vanishing Face of Gaia, A Rough Ride to the Future et, son dernier essai, Novacene, écrit quelques années avant sa mort. De tels ouvrages de vulgarisation sont intéressants dans la mesure où ils révèlent de manière parfois naïve, mais toujours stimulante, certains traits de l’horizon contemporain de réflexion sur notre avenir commun en tant qu’espèce. Nous montrerons à ce propos une certaine oscillation chez Lovelock entre une vision de l’avenir aux accents catastrophistes et une vision plus franchement utopique. Cette oscillation mérite d’être explorée, car elle est symptomatique du dilemme qu’affronte l’humanité contemporaine lorsqu’elle imagine son avenir. Il faut de plus considérer que la manière d’envisager cet avenir a des conséquences politiques déterminantes au présent.