Christian Genest
Le Prix Acfas Urgel-Archambault 2025 pour les sciences physiques, mathématiques, informatique et génie, est remis à Christian Genest, professeur titulaire au Département de mathématiques et de statistique de l'Université McGill.
Le lauréat est l’un des statisticiens les plus influents de sa génération. Ses travaux, empreints d’une grande originalité, ont révolutionné la manière de concevoir et de modéliser les liens entre les nombreuses variables susceptibles d’influencer des phénomènes complexes. Par ses écrits, il a notamment contribué à améliorer de façon substantielle la gestion des risques associés aux événements extrêmes d’origine climatique. Passionné par l’histoire de la statistique, il a en outre toujours eu un grand souci pour la relève et la vulgarisation scientifiques en participant, entre autres, à la création de la revue francophone Accromath, à laquelle il collabore régulièrement.
Natif de Chicoutimi, Christian Genest réalise ses études de premier cycle en mathématiques à l’UQAC. Puis, c’est à l’Université de Montréal qu’il obtient une maîtrise en mathématiques fondamentales en 1978. Son doctorat en statistique se fera sous la direction de James V. Zidek à l'Université de la Colombie-Britannique. Sa thèse, complétée en 1983, porte sur les méthodes de synthèse d’opinions. Il s’engagera ensuite dans l’étude et le développement de méthodes de réconciliation d’avis d’experts et de prise de décision multi-critériées qui sont dorénavant largement employées dans de nombreux secteurs d’activités, y compris la médecine et le génie.
En 1984, il entreprend sa carrière professorale à l’Université de Waterloo, en Ontario. En 1987, il est recruté par l’Université Laval, où il œuvrera durant 23 ans. Depuis 2010, il est professeur de statistique à l’Université McGill, où pendant 14 ans il a été titulaire de la Chaire de recherche du Canada en modélisation de la dépendance stochastique.
Au fil des ans, Christian Genest s’est taillé une réputation mondiale de spécialiste de l’analyse multivariée. Cette branche de la statistique s’intéresse à la construction de modèles mathématiques permettant d’identifier et de comprendre les liens de causalité et de dépendance parfois complexes entre toutes les variables de vastes ensembles de données. La théorie des valeurs extrêmes, à laquelle il a aussi beaucoup contribué, permet en outre de prédire la fréquence et l’amplitude d’événements catastrophiques parfois si rares qu’ils n’ont encore jamais été observés.
Les travaux du chercheur sont venus à point nommé, car on assiste depuis quelques décennies à une expansion phénoménale des moyens de cueillette de données et de l’utilisation de méthodes quantitatives. Avec le temps, on s’est en outre aperçu que les techniques de modélisation classiques tendaient à sous-estimer les risques financiers, sanitaires ou environnementaux. À titre d’exemple, l’évaluation de produits dérivés fondée sur une fausse présomption de normalité multivariée a mené à une grave sous-estimation des risques de marché et contribué à la crise financière de 2008.
Pour pallier ces difficultés, il a été parmi les tout premiers à proposer, dès le milieu des années 1980, l’emploi de « copules » pour la construction de modèles stochastiques mieux adaptés à la réalité. Les copules sont des objets mathématiques qui permettent, grâce à leurs propriétés, de caractériser les liens entre des variables aléatoires indépendamment de leur comportement individuel. Souvent construits au moyen de structures arborescentes, ces outils très flexibles permettent de représenter des phénomènes très complexes, fluctuant dans le temps et l’espace, en décomposant le problème en éléments plus petits et faciles à assembler, un peu comme des blocs de type Lego.
Par ses recherches, ses conférences et ses écrits, réalisés de concert avec ses collaborateurs et étudiant·es, le lauréat a révélé l’énorme potentiel de la modélisation par copules en vouant une grande partie de sa carrière au développement et à la promotion de cette approche féconde. Au fil du temps, il a mis au jour et popularisé diverses méthodes de construction et d’ajustement de modèles de copules, dont l’utilisation s’est avérée probante dans des contextes très variés. Cette méthodologie est dorénavant très largement employée en sciences de la vie et de l’environnement, en sciences économiques, en finance, en assurance, etc. Révélant à tous « la joie de la copule », ses travaux ont été largement cités et ont eu une très grande répercussion dans la pratique; ils ont mobilisé le chercheur et ses proches collaborateurs en recherche pendant près de 30 ans.
Au cours des dix dernières années, Christian Genest s’est aussi investi dans le développement de modèles permettant de mesurer dans le temps et l’espace l’effet combiné de multiples sources de risque, notamment dans le domaine climatique. Épaulé par son équipe, il a notamment réalisé une analyse prévisionnelle des périodes d’étiage de la rivière des Prairies, source majeure d’eau potable pour la région de Montréal. Dans des recherches récemment primées, il a aussi contribué à l’élaboration d’un modèle pour la prévision de précipitations extrêmes dans des lieux éloignés en s’appuyant sur une reconstruction de la météorologie historique issue du modèle régional canadien du climat. Autre exemple issu d’un tout autre domaine, il s’est penché sur l’épineuse question du sous-dénombrement du recensement canadien et son impact sur la péréquation pour le compte du ministère des Finances du Québec.
Les étudiant·es aux cycles supérieurs et les stagiaires postdoctoraux ont toujours joué un grand rôle dans le programme de recherche de Christian Genest. Il en a encadré une petite centaine à ce jour. Intimement associés à ses travaux, ses disciples occupent aujourd’hui des emplois influents dans toutes les sphères de la société, tant le secteur privé que public ou parapublic. Les plus férus de recherche méthodologique font carrière dans le monde académique un peu partout au Québec, au Canada et ailleurs dans le monde.
L’expertise du lauréat a depuis longtemps été reconnue par ses pairs. Aussi a-t-il servi la collectivité de nombreuses manières, notamment à titre de président de la Société statistique du Canada (2007-2008) et rédacteur en chef de deux importantes revues scientifiques, La revue canadienne de statistique (1998-2000) et le Journal of Multivariate Analysis (2015-2019). Il a aussi été directeur de l’Institut des sciences mathématiques du Québec (2012-2015).
Membre de la Société royale du Canada depuis 2015, le lauréat a aussi reçu deux autres honneurs qui en disent long sur la singularité d’une expertise, reconnue, fait très rare, tant en statistique qu’en mathématique. En 2011, il recevait la médaille d’or de la Société statistique du Canada, et en 2023, le prix CRM-Fields-PIMS (2023), considéré comme le plus grand prix de recherches en sciences mathématiques au Canada.
En plus de couronner l’ensemble des réalisations de Christian Genest, le prix Acfas Urgel-Archambault donne aujourd’hui à la statistique ses lettres de noblesse au sein des sciences physiques, mathématiques, informatique et génie. L’actualité nous le rappelle tous les jours : nous avons besoin de données impartiales, analysées avec tout le soin nécessaire de compétence et d’impartialité pour éclairer la cité et permettre aux personnes en autorité, dans toutes les sphères de la société, de prendre les meilleures décisions dans un contexte d’incertitude. C’est là le propre de la statistique, dont l’entreprise est au cœur du projet scientifique.