Le Prix Acfas Jacques-Rousseau 2025, pour la multidisciplinarité, est remis à Mélanie Lemire, professeure titulaire au Département de médecine sociale et préventive à l’Université Laval.
La lauréate est reconnue pour ses travaux sur les contaminants chimiques et leurs liens complexes avec la nutrition et la santé des populations nordiques et côtières. Ces études de terrain se caractérisent ainsi par une approche transdisciplinaire et participative tout à fait unique. Déjà, elles ont permis de poser des jalons importants en santé environnementale au Québec et ailleurs. En fait, les travaux de la lauréate sont au carrefour de nos plus grands défis collectifs en matière de santé, de changements environnementaux et d’alimentation.
D’abord menées dans le cadre de son doctorat1 au sein de l’équipe interdisciplinaire du projet CARUSO en l'Amazonie brésilienne, ses recherches sont les premières à décrire les liens entre le sélénium et l'alimentation locale et à montrer que le sélénium peut contribuer à réduire les effets néfastes de l’exposition au mercure chez les populations riveraines qui vivent de la consommation de poissons
Curieuse de comprendre les réalités autochtones de son propre pays, Mélanie Lemire remonte ensuite vers le Nord afin de poursuivre ses travaux sur le sélénium en collaboration avec les Inuits du Nunavik, où l’alimentation issue de la mer joue un rôle central dans la culture, la nutrition et la santé. Avec ses collègues, elle réussira alors à caractériser la présence de sélénonéine, un nouveau composé de sélénium retrouvé en concentrations exceptionnellement élevées dans le sang des Inuits et dans la peau des bélugas.
Ces travaux, menés avec plusieurs collaborateurs, se combinent avec des études in vitro, in vivo, en chimie analytique, en épidémiologie et en océanographie. Ils proposent une compréhension nouvelle des dynamiques entre les nutriments et les métaux toxiques chez les populations côtières en Arctique. En mettant en évidence le rôle significatif de la sélénonéine contre certains effets néfastes du mercure sur la santé, elles mettent en lumière les multiples bénéfices de l’alimentation marine et
contribuent à nuancer les recommandations sur le mercure chez plusieurs populations côtières dont la sécurité et la souveraineté alimentaire reposent sur cette ressource.
Ses travaux sur les substances per- et polyfluoroalkyliques (PFAS), également connues sous le nom de polluants éternels, représentent aussi une avancée majeure en santé environnementale et publique. Ses recherches en collaboration avec les Premiers Peuples ont été utilisées par le gouvernement canadien (2021) pour proposer l'inscription des PFAS à longue chaîne dans la Convention de Stockholm, puis par Santé Canada (2024) pour améliorer leur réglementation à l'échelle nationale. D’abord, l’étude pilote qu’elle dirige (2014-2016) auprès de jeunes de quatre communautés des Premières Nations du Québec révèle que leur exposition à certains PFAS est parmi la plus élevée chez les enfants au Canada et qu’elle est associée à une altération des fonctions de la thyroïde. C’est notamment sur la base de ces travaux qu’est lancée la vaste étude pancanadienne FENHCY sur la nutrition, la santé et les environnements des enfants et des jeunes autochtones (2019-2026); une étude réalisée en collaboration avec l'Assemblée des Premières Nations et au sein de laquelle Mélanie Lemire agit à titre de cochercheuse principale. De plus, les études de biosurveillance chez les femmes enceintes au Nunavik qu’elle dirige (2016-2017) et l'Enquête de santé des Inuit du Nunavik Qanuilirpitaa ? (2017) dont elle est cochercheuse principale font retentir un autre signal d’alarme en montrant que l'exposition des populations nordiques aux PFAS à longue chaine est en hausse et jusqu'à sept fois plus élevée que dans la population canadienne, en raison de la migration de ces substances vers les pôles et de leur accumulation dans les aliments traditionnels.
En raison de l’originalité des travaux de Mélanie Lemire, l’Université Laval, avec plusieurs partenaires académiques, gouvernementaux et des Premiers Peuples, a créé la Chaire Nasivvik en approches écosystémiques de la santé nordique (2016-2019) puis la Chaire de recherche en partenariat Sentinelle Nord en approches écosystémiques de la santé (Chaire Littoral, 2019-2024). Ce qui lui a permis, avec son équipe, de favoriser la rencontre active et de tisser des liens étroits entre l’océanographie, la biologie des espèces marines côtières, la nutrition, la santé environnementale, les savoirs Inuit quant à ces espèces et leur rôles majeurs pour la santé et le bien-être, les savoirs des professionnels de la santé ancrés dans les milieux de pratique et ceux des professionnels·les des pêches dans l’Est du Québec.
Mélanie Lemire est ainsi vite devenue une chercheuse influente, tant par la qualité de ses recherches que par sa volonté de traduire les connaissances en actions. En témoigne la production d’une trentaine d’outils destinés au public et aux décideurs, ses recherches sont utilisées pour informer les décisions et la mise en œuvre de programmes et de politiques. Elles guident notamment des recommandations de santé publique et clinique au Nunavik afin de réduire l’exposition aux contaminants, tout en faisant la promotion des multiples bénéfices de l’alimentation traditionnelle. À l’échelle nationale et internationale, ses travaux qui servent à surveiller et à fournir des données probantes pour bannir ces contaminants.
Plus récemment, Mélanie Lemire a lancé un projet pilote de pêche collective à retombées communautaires. S’y côtoient des chercheurs universitaires et des professionnels de tous horizons en science halieutique, en écologie benthique, en économie circulaire, en santé publique, en éducation… Une initiative qui vise la coconstruction de solutions innovantes en partenariat avec l’Association des pêcheurs de Tourelle, la MRC de la Haute-Gaspésie, le CISSS de la Gaspésie et la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk pour mieux face à la crise climatique.
Mélanie Lemire pratique une science engagée, participative et transformatrice. Elle s’efforce constamment de rendre la science utile en comblant le fossé entre connaissances académiques, autochtones, locales et sectorielles. Ses découvertes sur les contaminants chimiques, aux lourds impacts sur le bien-être des populations nordiques et côtières, enrichissent désormais leurs compétences en matière de souveraineté alimentaire. Mais c’est surtout son double engagement, à la fois scientifique et social, en faveur d’un monde plus juste et en santé qui tout particulièrement la distingue.
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Lemire, Mélanie (2010). « Une approche écosystémique aux sources de sélénium dans l'alimentation et à ses effets sur la santé en lien avec l'exposition au mercure en Amazonie brésilienne » Thèse en sciences de l'environnement, Montréal (Québec, Canada), Université du Québec à Montréal.