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Pierre Hébert
Sciences humaines

Pierre Hébert

Université de Sherbrooke

Le Prix Acfas André-Laurendeau 2025, pour les sciences humaines, arts et lettres, est remis à Pierre Hébert, professeur émérite au Département des arts, langues et littératures de l’Université de Sherbrooke.

Le lauréat a consacré une grande partie de sa carrière à l’étude de l’histoire littéraire du Québec et des mécanismes de censure qui l’ont traversée. Ses recherches éclairent les œuvres, les courants et les figures qui ont marqué notre culture, tout en offrant des synthèses et des outils de référence désormais incontournables. Son travail d’enquête dévoile aussi les zones d’ombre, parfois subtiles, qui pèsent sur la création. La censure, de toute évidence, suscite une réflexion essentielle sur la liberté d’écrire et de lire. Ainsi, dans la francophonie, comme ailleurs, l’apport de ce chercheur au dialogue sur le rôle de la littérature au sein d’une culture est des plus stimulant.

Pierre Hébert s’est d’abord illustré par ses études approfondies de divers aspects de la littérature québécoise. Spécialiste de la narratologie, qu’il a mise à contribution pour scruter le roman québécois, il s’est ensuite intéressé à la question du journal intime, publiant, en 1988, l’une des premières recherches fouillées sur le sujet. Celle-ci demeure une référence pour quiconque se passionne pour les écrits autobiographiques.

Sa curiosité le porte ensuite vers des figures majeures du patrimoine culturel québécois. Il consacre un ouvrage et plusieurs articles à Lionel Groulx, qu’il revisite d’un point de vue littéraire. Il se penche aussi sur l’univers romanesque de Jacques Poulin, écrivain discret, mais essentiel, dans une étude qui éclaire les subtils ressorts de l’écriture de ce romancier. Son exploration des figures littéraires s’est récemment poursuivie avec la parution de Vie(s) d’Eugène Seers / Louis Dantin; une biochronique littéraire, livre qui conjugue érudition, sens critique et plaisir du récit. Cet ouvrage fait d’ailleurs partie d’un vaste projet de publication en quatre tomes de la correspondance de Dantin, dont trois sont parus, œuvre d’un groupe de recherches.

À l’origine de l’Atlas littéraire du Québec, Pierre Hébert s’est associé pour ce projet avec Bernard Andrès et Alex Gagnon. L’Atlas, un ouvrage collectif de 500 pages, paru en 2020, trace les contours de la richesse d’un corpus littéraire qui, par la variété des thèmes abordés et la volonté de multiplier les approches, s’impose comme un outil de référence essentiel en études québécoises. Il fait aussi « voir » la littérature grâce au grand nombre d’illustrations et d’encadrés qu’il propose.

Participant depuis 1990 au Groupe de recherches et d’études sur le livre au Québec (GRELQ), Pierre Hébert a contribué à faire de ce dernier un carrefour incontournable des études québécoises, tout en offrant un cadre fertile à la formation d’une nouvelle génération de chercheur·euses.

Dans un autre pan majeur de sa carrière, Pierre Hébert a exercé une influence marquante à titre d’historien de la censure. Véritable pionnier dans ce domaine, il a publié une somme monumentale en deux tomes, Censure et littérature au Québec, laquelle retrace avec minutie l’histoire des interdits pesant sur la production littéraire, depuis les injonctions religieuses jusqu’aux dispositifs politiques de contrôle. Cette expertise l’a naturellement conduit à codiriger, avec Kenneth Landry et Yves Lever, le Dictionnaire de la censure au Québec – Littérature et cinéma (2006).  L’ouvrage rassemble plus de 300 notices et documente, avec une précision inédite, l’ampleur et la diversité des interdits qui ont marqué l’histoire culturelle québécoise. Une révision et mise à jour du dictionnaire, en ligne et en accès libre, a été lancée en septembre 2025.

Les recherches de Pierre Hébert ne se limitent pas à l’établissement d’inventaires réfléchis sur la censure. Elles nourrissent une réflexion bien plus large sur la place de la littérature dans la société. En témoignent des ouvrages comme La littérature québécoise et les fruits amers de la censure et, plus récemment (2023), Faut-il (encore) protéger la fiction?, dans lesquels il se penche sur le rôle de la fiction comme espace de liberté et d’expérimentation intellectuelle. 

Ces travaux trouvent un écho important au‑delà du Québec. Mentionnons, entre autres, le colloque, qu’il coorganise en 2002, « La censure en France, au Québec, en Suisse et en Belgique aux XIXᵉ et XXᵉ siècles », qui établit des parallèles féconds entre ces cultures francophones, et dont les actes ont été publiés. Plus récemment, en 2025, il a codirigé avec Nicolas Dion un numéro de la Revue Voltaire, intitulé Voltaire et les Lumières au Québec / Mme Denis, ce qui illustre à nouveau le rayonnement international de ses recherches. Enfin, il a prononcé quelque 25 conférences à l’extérieur du Canada.

Malgré son statut de chercheur d’envergure, Pierre Hébert ne s’est pas limité à la seule vie universitaire. Il n’a eu de cesse de dialoguer avec la société et de participer aux grands débats qui l’agitent. Président de l’Association québécoise pour l’étude de l’imprimé, fondateur et codirecteur des Cahiers Anne-Hébert, membre de nombreux comités et associations, il s’est attaché à rendre accessibles les enjeux auxquels fait face la culture écrite. 

Il demeure que c’est surtout par sa défense résolue des valeurs universitaires qu’il s’est imposé dans l’espace public. En 2001, il publie La nouvelle université guerrière, un essai incisif qui dénonce les dérives managériales de l’enseignement supérieur, plaidant pour une université qui demeure un lieu de pensée critique et de transmission désintéressée. Il a depuis signé de nombreux articles sur le sujet dans des journaux et revues.

Sans surprise, Pierre Hébert agit également en tant que défenseur de la littérature et de l’université libres. Par ses articles, notamment dans Le Devoir, ou ses interventions lors de colloques, il prône sans relâche l’idée que la littérature demeure un espace de dialogue, et parfois de contestation, essentiel à la vitalité de toute société démocratique. La liberté d’écrire et de lire, c’est pour lui, cultiver notre capacité collective de réfléchir, de débattre et d’imaginer.

Chercheur, pédagogue, passeur et citoyen engagé, Pierre Hébert a su conjuguer l’exigence de la recherche avec l’engagement public. Son œuvre éclaire notre mémoire littéraire et révèle les tensions qui la traversent, entre expression libre et volonté de contrôle. Elle rappelle que la liberté, en littérature, comme dans la vie publique, exige vigilance, passion et transmission. En cela, le parcours du lauréat témoigne de la force de la recherche lorsqu’elle s’incarne dans la cité afin de participer pleinement à la vie démocratique. Pour ainsi, autant que faire se peut, former des esprits libres.