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Photo de Marie Beaulieu
Sciences sociales

Marie Beaulieu

Université de Sherbrooke

Le prix Acfas Thérèse Gouin-Décarie, pour les sciences sociales, est remis à Marie Beaulieu, professeure à l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke.

Judicieusement décrite par ses pairs comme une gérontologue d'inspiration critique, la lauréate travaille depuis 35 ans à sortir de l’invisibilité sociale les personnes âgées en situation de maltraitance. Qui voudrait retracer ses toutes récentes actions, se rendrait vite compte qu’elle a participé, au cours des 24 derniers mois, à deux importants écrits sur des faits encore tout chauds de l’actualité : un mémoire portant sur la maltraitance en CHSLD en contexte de COVID-19, et une enquête sur la maltraitance envers les personnes aînées vivant à domicile.   

Pour la professeure Marie Beaulieu, tout commence par des études en criminologie, au baccalauréat (1983) et à la maîtrise (1986), réalisés à l'Université de Montréal. Elle s'intéresse à la fois à la victimologie, un champ d'études alors en émergence, et aux défis de la pratique, notamment à cette migration des connaissances acquises lors de grandes enquêtes scientifiques vers les terrains propres aux praticiens et patriciennes, du travailleur et de la travailleuse sociale, au policier et à la policière.

En 1994, elle complète, toujours à l'Université de Montréal, un doctorat en sciences humaines appliquées sur un sujet à la fois très pointu et hautement névralgique : les pratiques des gestionnaires face aux situations de maltraitance envers les personnes aînées en milieu d'hébergement. Dès lors, elle s'identifie à la gérontologie sociale, même si ce champ d'études n'est pas encore officiellement reconnu dans la province, contribuant par le fait même à sa légitimation. On ne se doute pas quand on lit de tels éloges, qui embrassent toute une carrière, de tout ce qui peut y avoir de résilience, de pugnacité, de confiance en soi et de courage intellectuel chez une personne qui consacre sa vie à ajouter des connaissances à une réalité qui souvent se satisfait de l’obscurité ambiante…

Au fait, de quand datait le premier document public à reconnaître la maltraitance envers les aîné-e-s au Québec? 1989, et son titre était : Vieillir... en toute liberté. Pourtant, jusqu'à la publication du rapport Préparons l'avenir avec nos aÎnés par le ministère de la Famille et des Aînés en 2008, qu’elle a alimenté par le dépôt d’un mémoire, la maltraitance demeurait encore un sujet méconnu du grand public et délaissé par le politique.

Marie Beaulieu est aujourd’hui professeure titulaire à l'Université de Sherbrooke, et ce depuis 2001. Elle enseigne à l'École de travail social et dans les programmes de cycles supérieurs en gérontologie de la Faculté des lettres et sciences humaines. Elle est membre du comité éditorial du Journal of Elder Abuse and Neglect, seule revue internationale spécialisée dans le domaine de la maltraitance. Elle contribue également à la mise sur pied du doctorat en gérontologie de l’Université de Sherbrooke, le seul en langue française dans le monde.

Tout au long de sa carrière, Marie Beaulieu a donc porté une attention particulière aux enjeux et défis des pratiques d'intervention; qu’est-ce à dire sinon qu’elle a contribué à établir ce fragile équilibre, cette mince ligne séparant la protection et le respect de l'autodétermination des personnes aînées de gestes qui pourraient constituer une violation de leurs droits… Elle n’a pas hésité pour ce faire à côtoyer de près les intervenant-e-s en travail social, en santé et en interventions policières, contribuant à leur faire prendre conscience de la spécificité de leurs actions, tout en les informant des possibles croisements de leurs pratiques avec d’autres acteurs également tournés vers le mieux-être des personnes âgées.

Dire de ses travaux et des choix de ses thématiques qu’ils dépassent les lieux communs, c’est énoncer une évidence. De fait, elle a voulu s'affranchir d'une vision limitée de la personne maltraitée, comme elle a voulu modifier la compréhension des sources de la maltraitance. Elle a ouvert le champ de la lutte contre la maltraitance au-delà de la protection des personnes, en portant une attention au genre, aux groupes d'âge, au parcours de vie, tout en défrichant des problèmes connexes, tel l'autonégligence…

Ses définitions des formes et des types de maltraitance continuent d'enrichir les travaux du Comité sur la révision de la terminologie en matière de lutte contre la maltraitance envers les personnes aînées, dédié au raffinement de la terminologie québécoise sur le sujet. Car nommer et bien nommer un objet est souvent le premier geste d’une pleine reconnaissance de sa réalité, mais également de tous les arcanes insoupçonnés qui contribuent à en faire un objet complexe. Dans un tel processus sémantique, donner la parole à une diversité d'acteurs (aîné-e-s, intervenant-e-s, administrateur-trice-s, planificateurs de politiques publiques) permet de rendre compte de leurs conceptions différenciées.

Les contributions en recherche de la professeure Beaulieu sont remarquables, tant par leur qualité scientifique que par leur influence sur le politique et la pratique : dans le cadre d'une recherche-action de trois ans effectuée sous sa direction, elle a développé dans une approche partenariale la pratique IPAM (intervention policière auprès des aînés maltraités), pérenne au Service de police de la ville de Montréal et citée en exemple dans le World Report on Ageing and Health de l'OMS (2015).

Faire reconnaître un problème social largement occulté compte sûrement pour une des motivations à l’action les plus fortes; elles animent ici non seulement la chercheuse, mais aussi la citoyenne qui vit en elle.