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Photo de Céline Bellot
Engagement social

Céline Bellot

Université de Montréal

Le prix Acfas Pierre-Dansereau 2021, pour l’engagement social, est remis à Céline Bellot, professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal.

Les êtres humains malmenés et marginalisés par leurs semblables – ou par les normes sociales qui les enserrent – ont une voix peu audible dans la cité. Or, quelle que soit l’époque, il se trouve toujours à l’intérieur de ces mêmes sociétés, des individus résolus à leur prêter main-forte. L’œuvre déployée ces 20 dernières années par la lauréate, sur les plans de l’enseignement, de la recherche et de l’engagement, loge à cette enseigne : toute dédiée à analyser et à débusquer les politiques et les pratiques institutionnelles qui, mine de rien, concourent à la stigmatisation et à la répression des plus vulnérables d’entre nous.

C’est bardée d’une triple formation en droit, en criminologie et en sociologie que Céline Bellot choisit en 2003 la voie du travail social, et l’étude des inégalités et des pratiques discriminatoires, pour ainsi contribuer à « réparer les choses ». Elle défend alors à l’Université de Montréal l'établissement d'une formation de travailleur social ancrée dans la lutte contre les discriminations. Elle estime qu’en amenant les étudiants et les étudiantes à réfléchir à leur propre positionnement social et aux biais implicites qui sous-tendent la discrimination structurelle, ces futurs professionnel-le-s aborderont le terrain avec la complexité nécessaire.

Ses cours et ses travaux s’articulent autour de deux axes principaux : la judiciarisation et le profilage des populations marginalisées, et les trajectoires des personnes itinérantes. Est-ce à dire qu’on peut « enseigner » l’itinérance? Tout à fait. Céline Bellot a mis sur pied en 2015, avec une professeure associée, le premier cours de 2e cycle consacré à l’itinérance au Québec. Ce cours, « Enjeux et pratiques en itinérance », est aujourd’hui devenu une école d’été qui réunit des étudiant-e-s ainsi que des personnes intervenantes des milieux communautaire, municipal ou sociojudiciaire.

On lui doit le recensement des mesures de contrôle qui, au nom de la sécurité et de l’ordre public, visent des personnes en raison de leur statut social ou de leur origine ethnique. Ce thème est particulièrement bien défini depuis son étude sur la judiciarisation et la criminalisation de l’itinérance à Montréal (2004-2005), la première du genre au Canada.

Par exemple, la Ville de Montréal et d’autres municipalités ont alors imposé un moratoire sur l’emprisonnement de personnes marginalisées pour non-paiement d’amendes. C’était en 2009. Le projet de loi 32 apparaît dans la foulée afin de mettre définitivement un terme à l’emprisonnement pour un tel motif. La loi est finalement adoptée en juin 2020 (Loi favorisant l’efficacité de la justice pénale).

Céline Bellot a aussi mené des travaux sur la judiciarisation de la pauvreté (2012-2014) et sur l’itinérance au féminin (2015-2017). De pair avec ce dernier thème se sont imposés pour la chercheuse les avantages d’une structure de recherche partenariale. D’où le choix de se doter d’un comité de gouvernance pour cette étude comptant une quinzaine de femmes ayant vécu ou vivant l’itinérance. Un colloque a marqué le coup en 2018, dont la plus grande retombée a été de rendre enfin visible l’itinérance « cachée » des femmes.

Enfin, la chercheuse a reçu en 2020 deux subventions, provenant l’une des IRSC et l’autre du MSSS, pour étudier les impacts de la Covid-19 sur les personnes en situation d’itinérance et les services qui leur sont destinés. Il aura malheureusement fallu la mort d’itinérant avant que l’appareil d’État ne se ravise sur les enjeux entourant le couvre-feu durant la troisième vague de l’infection. De même, le décès de Joyce Echaquan à l’Hôpital de Joliette a rappelé, de tragique manière, l’importance de s’attaquer aux comportements discriminatoires auxquels font souvent face les communautés autochtones.

Toujours en 2020, en juin, la Cour Suprême du Canada s’est appuyée sur les analyses publiées dans l’ouvrage Red Zones (Cambridge Press University, 2019), dont Céline Bellot est une des coauteures, pour soutenir son argumentaire dans un arrêt (R. c. Zora) portant sur les conditions, parfois abusives, de remise en liberté. Signalons que plus haut tribunal du pays utilise rarement des données empiriques du domaine social dans ses décisions comme ce fut le cas ici. Celui-ci a d’ailleurs remporté à l’été 2021 le prix W. Wesley Pue Book Prize de l’Association canadienne Droit et Société.

La professeure Bellot est également l’auteure d’un premier ouvrage francophone, Droits et travail social (PUQ, 2020), sur les enjeux juridiques liés au travail social et au respect des droits fondamentaux.

Devenue en 2017 directrice de l’École de travail social de l’Université de Montréal, la lauréate n’aura eu de cesse de sonner l’alerte sur toutes ces questions auprès d’une multitude d’acteurs. Outre ses étudiant-e-s, nombreux sont les professionnels du milieu sociojudiciaire – policiers et policières, procureur-e-s, juges – qui ont pu bénéficier de ses formations.

L’engagement indéfectible de Céline Bellot envers les laissés-pour-compte rappelle aux instances chargées d’élaborer les cadres règlementaires et législatifs que la construction d’une société inclusive demeure une responsabilité collective. Vingt ans consacrés à émonder les pratiques d’une société québécoise souvent inconsciente des injustices qu’elle fabrique ou maintient.