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Christiane Dupont - Concours de vulgarisation - 2008
Lauréate

Christiane Dupont

INRS - Institut national de la recherche scientifique

Les mares nordiques : plus que des flaques d’eau!

Source : Christiane Dupont
Petites mares nordiques formées par la fonte du pergélisol

Concours de vulgarisation de la recherche 2008

Des réserves de carbone sous nos pieds…

La toundra est un écosystème typiquement nordique et peu productif par rapport à nos forêts. À première vue, ces terres semblent vides et dénudées de vie, mais il ne faut pas se fier aux apparences! Celles-ci recèlent une grande quantité de carbone emprisonné dans le sol gelé (appelé aussi pergélisol). En effet, ce sont les tourbières nordiques, recouvrant à elles seules 9 à 12 % du territoire québécois qui, par leur faible taux de décomposition, ont permis une lente accumulation de matière organique (constituée de carbone) au fil des millénaires. Cet amas considérable est ensuite resté prisonnier dans le pergélisol jusqu’à aujourd’hui. Où est le problème ? me direz-vous. Il se trouve à des milliers de kilomètres de chez nous, direction plein nord! L’Arctique connaît actuellement un réchauffement anormalement élevé. Résultat, le pergélisol fond et met en circulation ce « vieux » carbone autrefois bien enfoui et, en quelque sorte, oublié. Qu’advient-il aujourd’hui de cette réserve ? Peut-elle se retrouver dans l’atmosphère et alourdir le bilan de carbone? Heureusement, il existe quelques éléments de réponse…

Habituellement, la chaleur accumulée pendant les quelques semaines d’été arctique et subarctique entraîne une fonte en surface de ce sol gelé. En fait, la couche supérieure, dite « couche active », dégèle et gèle selon les conditions météorologiques. Jusque là, tout est normal. Cette fonte s’est toutefois accentuée dans plusieurs régions du globe depuis quelques décennies et la couche de dégel est de plus en plus profonde. Le pergélisol occupe actuellement un cinquième de la planète, mais son étendue pourrait bien s’amenuiser dans le futur. C’est précisément la détérioration locale du pergélisol qui engendre l’affaissement du sol et la formation de petites nappes d’eau qui répondent au nom exotique de « mares de thermokarst ». Le mot thermokarst vient de thermo qui veut dire chaleur et de karst qui  signifie dépression en allemand.

Thermo-quoi?

La plupart des mares sont circulaires mais certaines peuvent être allongées ou fusionner entre elles et ainsi couvrir une plus grande superficie. Une mare de thermokarst typique fait environ 4 à 15 mètres de diamètre et ne dépasse pas 3 mètres de profondeur. Les caractéristiques chimiques (ex. minéraux, phosphore, carbone dissous, taux d’oxygène, etc.) et physiques (ex. température) des mares leur confèrent un aspect visuel parfois spectaculaire. De plus, des mares voisines peuvent être teintées de couleurs complètement différentes. Beige, brune, noirâtre ou encore verte, la couleur des mares est tributaire de l’environnement immédiat. Sur un sol argileux, l’eau prend un aspect laiteux et opaque. Sur une base plus tourbeuse, elle prend la couleur du thé. Pour ajouter à ce casse-tête, l’âge de la mare influencerait aussi son apparence. Une mare toute jeune n’aura pas nécessairement la même teinte qu’une voisine plus ancienne et vénérable!Les mares thermokarstiques font partie intégrante du paysage nordique et s’avèrent fort abondantes en Sibérie, en Alaska et dans le nord du Canada. Malheureusement, ces plans d’eau à l’allure impénétrable sont difficiles d’accès, le réseau routier étant inexistant dans la plupart de ces zones.

Ce qui se cache en ces eaux troubles

De par leur aspect anodin, ces mares nous portent à croire qu’elles n’abritent rien de très intéressant… erreur! Elles foisonnent littéralement d’une vie microbienne encore méconnue. Tout ce qui leur manque, c’est du poisson ! L’opacité de l’eau empêche la lumière de réchauffer et d’éclairer le fond des mares et il en résulte ce que l’on nomme une « stratification thermique ». En termes simples, l’eau en surface est plus chaude de quelques degrés que la strate en profondeur qui, isolée de l’atmosphère et dépourvue de lumière, n’a presque pas d’oxygène. Pas d’oxygène, pas de lumière, pas de vie… non? Pas exactement ! Étonnamment, il existe des microorganismes aquatiques qui s’accommodent très bien de l’absence d’oxygène. Parmi ceux-ci, on retrouve un groupe ancien très particulier : les archéobactéries (archéo veut dire vieux). Ces organismes « préhistoriques » sont pourtant bien jeunes scientifiquement parlant, ils ont été découverts il y 35 ans seulement ! Certaines archéobactéries forment un groupe spécifique que l’on nomme méthanogènes (gène signifie origine) car elles produisent du méthane (un puissant gaz à effet de serre, pire encore que le gaz carbonique). Il y a une grande concentration en méthane dans l’eau profonde des mares de thermokarst. Ce phénomène pourrait donc s’expliquer par la présence de ces fameuses archéobactéries méthanogènes. Heureusement, tout le méthane produit en profondeur ne sera pas nécessairement émis dans l’atmosphère tel quel. Il existe d’autres petits organismes spécialisés qui absorbent le méthane à leur tour, on les appelle les « méthanotrophes » (trophe signifie nourriture). Cette soupe microbienne contient aussi de nombreux autres petits organismes variés qui respirent tout comme nous et émettent donc une quantité appréciable de gaz carbonique vers l’atmosphère.

Des laissés-pour-compte qui sortent de l’ombre

L’eau de surface de la majorité des mares subarctiques présente une sursaturation en gaz carbonique et en méthane pendant l’été, indiquant un fort potentiel de libération de ces gaz vers l’atmosphère. Ce phénomène confirme donc le rôle que ces milieux aquatiques peuvent jouer en tant que source de carbone atmosphérique. Ces rejets accentuent alors un cercle vicieux climatique : plus il fait chaud, plus il y aura du carbone émis dans l’atmosphère et plus celle-ci se réchauffera ! Protéger l’intégrité des pôles est par conséquent primordial car ils régissent l’ensemble de notre petite planète.Suite à ces constatations, il est désormais nécessaire et urgent de quantifier l’ampleur de ce phénomène, et ce, dans les diverses régions nordiques du globe. Inclure cette composante biologique autrefois négligée dans les modèles climatiques globaux nous permettra d’affiner les scénarios de réchauffement et, du coup, de faire connaître cet écosystème fragile mais ô combien fascinant.