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Sandra Lai - Concours de vulgarisation - 2007

Sandra Lai

INRS - Institut national de la recherche scientifique

La vie sociale des bactéries

Source : Sandra Lai
Les bactéries Pseudomonas s'organisent ici en colonie.

Concours de vulgarisation de la recherche 2007

Les biofilms sont en fait des villes microscopiques structurées, organisées, avec des quartiers et même un système d’égouts rudimentaire. Ils colonisent aussi bien les roches des rivières, les canalisations, les coques de bateaux que les surfaces vivantes tels les racines des plantes et notre tube digestif. De plus, les bactéries peuvent organiser des déplacements en groupes. Les microbiologistes reconnaissent désormais que les comportements sociaux sont prédominants chez les bactéries. Or, qui dit organisation sociale, dit communication. Et aussi incroyable que cela puisse paraître, les bactéries sont bel et bien capables de « se parler ».

La clé de la coopération : la communication

Comment perçoit-on ce qui se passe autour de soi quand on est une bactérie ? Pour communiquer, une bactérie utilise de petites molécules-signal, appelées auto-inducteurs, qu’elle sécrète dans son environnement. Celles-ci diffusent librement et seront captées par les bactéries voisines. Plus les bactéries sont nombreuses, plus il y a de molécules-signal qui sont relâchées. Selon l’augmentation du signal dans le milieu, les bactéries peuvent « sentir » la densité de leur population. Quand la concentration du signal atteint un certain seuil, elles savent qu’elles sont assez nombreuses pour coordonner une action. On peut comparer ce mode de communication, basé sur des messagers chimiques, au langage des fourmis utilisant les phéromones comme messagers. Ce système nommé quorum sensing – ou perception du quorum – a initialement été découvert chez la bactérie marine bioluminescente Vibrio fischeri. Cette bactérie n’émet de la lumière que lorsque sa population atteint une forte densité. C’est le cas lorsqu’elle vit en symbiose avec de petits calamars. Rassemblées dans des organes photogènes de l’animal appelés photophores, les bactéries peuvent alors atteindre la concentration nécessaire pour déclencher la bioluminescence. Cette association est avantageuse pour les calamars. En modulant la lumière produite par V. fischeri, le calamar évite de projeter sur le sol une ombre qui pourrait trahir sa présence auprès des prédateurs. Dans d’autres cas, le quorum sensing contrôle la virulence bactérienne. Les bactéries n’attaquent pas si elles sont peu nombreuses. Quand elles détectent grâce au quorum sensing la densité nécessaire, elles relâchent toutes en même temps leurs facteurs de virulence. Cette attaque concertée va assaillir d’un coup le système immunitaire de l’hôte, l’empêchant ainsi de se défendre efficacement.

Le biofilm : une ville microscopique

Un biofilm est une communauté bactérienne attachée à une surface et englobée dans une matrice s’apparentant à un gel. Les biofilms peuvent coloniser tous les types de surfaces en contact avec de l’eau, plusieurs étapes sont cependant nécessaires à leur formation. Dans un premier temps, les bactéries flottent librement dans le milieu, puis quelques-unes s’accrochent à une surface. D’autres bactéries se joignent alors aux premières, toutes se multiplient et sécrètent une matrice protectrice. Peu à peu, les bactéries se partagent les tâches, une architecture complexe se forme. Les biofilms matures s’organisent en micro-colonies ressemblant à des champignons séparés par des canaux aqueux permettant la circulation des nutriments et l’évacuation des déchets. Les biofilms naturels sont composés de différentes espèces qui cohabitent ensemble. Chaque espèce constitue ses micro-colonies, à l’image de quartiers dans une ville multi-ethnique.Dans les biofilms, les bactéries deviennent résistantes aux antibiotiques, aux désinfectants et à la réponse immunitaire. Il est très difficile de se débarrasser d’un biofilm; il faut employer des moyens radicaux (grattage de la surface, acides corrosifs). Dans le cas d’un biofilm formé dans les poumons de patients atteints de fibrose kystique, les bactéries deviennent alors impossibles à éradiquer. Cependant, si les biofilms posent problème en milieu médical, ils peuvent être bénéfiques dans le cadre du biotraitement des eaux usées.

L’essaimage bactérien : un mouvement de foule

L’essaimage bactérien, un type de migration rapide des bactéries sur une surface, est un autre exemple de comportement social dépendant du quorum sensing. Dans un milieu liquide, les bactéries « nagent » en se propulsant à l’aide de petites structures appelées flagelles. Pour pouvoir migrer sur une surface, les bactéries doivent préalablement se transformer. Elles s’allongent et synthétisent plusieurs flagelles supplémentaires. Les bactéries s’alignent selon leur axe longitudinal, formant ainsi des radeaux multicellulaires, puis migrent activement vers l’extérieur de la colonie. Elles produisent aussi un biosurfactant, une substance qui va leur permettre de mieux « glisser » sur la surface. En utilisant la propulsion de tout le groupe, elles peuvent ainsi migrer sur des endroits qu’elles seraient incapables de coloniser individuellement. Les bactéries en essaimage, de même qu’associées en biofilms, deviennent plus résistantes aux antibiotiques.

Une nouvelle avenue thérapeutique

Les antibiotiques sont pensés et conçus de manière à agir sur des bactéries solitaires, et non sur des bactéries protégées dans des biofilms. Une nouvelle avenue thérapeutique s’est donc présentée depuis la découverte de la relation entre le quorum sensing et la virulence des bactéries. Au lieu de les détruire, il suffirait d’interférer avec leurs systèmes de communication et ainsi empêcher la détection du quorum. La nature nous fournit encore une fois une aide précieuse. L’algue rouge Delisea pulchra produit une molécule, appelée furanone, qui bloque le quorum sensing des bactéries et évite ainsi la colonisation de sa surface. Divers autres organismes fabriquent des substances capables de stimuler ou d’inactiver le quorum sensing. Ces nouvelles molécules ont un grand potentiel aussi bien en médecine qu’en milieu industriel.Les bactéries communiquent, se rassemblent et collaborent. Depuis des millions d’années, elles ont compris que l’union fait la force. Considérées auparavant comme des organismes simples, les bactéries mènent en réalité une vie plus complexe qu’on ne l’aurait imaginé.