407 - Le nationalisme banal au Québec et au Canada

Les manifestations du nationalisme majoritaire dans sa forme dite « banale » (Billig, 1995) demeurent largement sous-étudiées dans le contexte des démocraties multinationales. Pourtant, il s’agit sans doute de l’un de ses terrains de prédilection pour se déployer dans toutes ses déclinaisons. Cette communication propose une interprétation de ce phénomène au moyen d’une analyse de contenu systématique des éditoriaux et lettres d’opinion publiés dans les quotidiens anglo-canadiens (Montreal Gazette, Globe and Mail, Winnipeg Free Press, Calgary Herald) qui offrent une critique substantielle des (projets de) lois 21 (Loi sur la laïcité de l’État) et 96 (Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français) récemment adoptées par l’Assemblée nationale du Québec (n=839, pour la période mars 2018 – août 2023). À titre de modalités législatives poursuivant un objectif de construction nationale (nation-building) au Québec, on pouvait s’attendre à ce que des réactions globalement négatives en découlent dans l’espace discursif anglo-canadien. Ce qui était peut-être moins attendu, du moins de part du groupe majoritaire au Canada, c’est que ces critiques fassent ressortir un imaginaire collectif empreint de nationalisme majoritaire banal. Cette communication en offrira un tour d’horizon, tout en analysant le caractère plus ou moins régional de certaines représentations tantôt dominantes, tantôt plus marginales.

Au Québec, plusieurs débats polarisés ont mis en visibilité l’expression de plus en plus décomplexée et banalisée dans l’arène publique de discours néoracistes « ordinaires » et populistes identitaires s’appuyant sur un nationalisme banal (Billig, 1995), autant dans la presse d’opinion mainstream que dans les médias sociaux (Potvin 2008 ; 2017a). Ce phénomène est en partie attribuable à la place grandissante qu’occupent les discours d’opinion dans tous les médias – chroniques, talk-shows, blogues, plateformes – ce qui accentue la part de subjectivité et d’affects par rapport aux formes journalistiques se voulant plus « objectives ». Cette communication brosse d’abord un portrait large de la couverture médiatique et des discours d’opinion dans la presse écrite québécoise portant sur deux polémiques publiques : celle sur la Loi 21 et celle sur le racisme systémique. Afin d’illustrer ensuite les discours du « nationalisme banal » et du néoracisme ordinaire, et leur dé-marginalisation, cette communication s’intéresse à la convergence sémantique entre le discours d’un chroniqueur néoconservateur dans un média mainstream – Mathieu Bock-Côté (MBC), dans ses chroniques au Journal de Montréal (JDM) – et la rhétorique de trois groupes populistes identitaires, marginalisés par les médias eux-mêmes : La Meute, la Fédération des Québécois de souche (FQS) et Horizon Québec Actuel (HQA). 

Le 5 février 2022, alors que les blocages des manifestations du « Convoi de la liberté » entraient dans leur troisième semaine, le député conservateur Pierre Poilievre a lancé sa campagne à la tête du Parti conservateur du Canada (PCC). Sept mois plus tard, il a été élu à la tête du PCC et les sondages du début de 2024 indiquent une avance de 17 points pour les conservateurs de Poilievre sur leurs rivaux libéraux (Vieira, 12 janvier 2024). Tout au long de cette ascension fulgurante, l’étiquette « populiste » a été utilisée dans les sphères intellectuelles pour décrire Poilievre, accusé de banaliser une rhétorique d’extrême droite à la Trump. Ces débats manquent généralement d’accord sur la signification du populisme et de l’extrême droite. Cet article propose d’apporter de la clarté à ces discussions en étudiant le cas de Poilievre à travers les conceptions dominantes du populisme de droite dans les sciences sociales. Nous utilisons une théorie « complexe » du populisme qui mobilise ensemble les dimensions idéologique, communicationnelle et organisationnelle du phénomène pour démontrer empiriquement leurs distinctions et leurs relations (Diehl et Bargetz, 2024). Sur le plan méthodologique, nous adoptons une approche qualitative pour examiner les discours, textes et vidéos de Poilievre au cours de la période 2022-2024. Nos résultats suggèrent que la politique de Poilievre représente la banalisation des styles de communication populistes. 

Le recours aux comparaisons a été une constante chez les décideurs publics tout au long de la pandémie de Covid-19, en particulier pour légitimer les politiques mises en place par certains gouvernements. Cependant, malgré le nombre important de publications sur les discours politiques pendant la pandémie de COVID, la question de la comparaison n'a pas fait l'objet d'études.  Dans cette présentation, nous proposons d’analyser les usages politiques de la comparaison du point de vue de la centralité des discours en tant qu'outils de production et de reproduction des nations, c’est-à-dire la comparaison comme outil central du nationalisme banal. Nous posons trois questions relativement simples concernant le recours à la comparaison dans les discours politiques dans le contexte de la pandémie de Covid : À quoi la nation est-elle comparée ? Sur quoi se fonde cette comparaison ? Et enfin, quel est l'objectif de la comparaison?  Pour analyser l'utilisation de la comparaison dans les discours politiques, nous explorons le cas du Québec pendant la pandémie, en nous concentrant sur les discours politiques du premier ministre du Québec, François Legault, lors de 111 conférences de presse entre 2020 et 2022.

Les études sur le nationalisme ordinaire, en négligeant les multiples dynamiques contextuelles pouvant mener les acteurs non politiques à performer la nation, ignorent ou échouent trop souvent à rendre compte des formes diverses à travers lesquelles la nation façonne les activités quotidiennes. Cette communication tente de remédier à cette limite en examinant la manière dont s’insère cette idée de vivre dans un monde de nations au sein des tâches de travail d’individus à Montréal et à Bruxelles. Ce faisant, elle met en lumière trois modes de performance de la nation au quotidien et montre comment les milieux de travail de ces deux villes participent à la (re)production de leurs constellations biethnonationales distinctes.

Dans la France d’aujourd’hui, où la nation est invoquée de plus en plus souvent et explicitement, dans les discours politiques mais aussi concrètement, dans les réformes éducatives ou les politiques d’immigration par exemple, on pourrait penser que le nationalisme banal a cédé la place à un nationalisme beaucoup plus « chaud ». Notre communication défend qu’une telle lecture oublierait toutefois le rôle fondamental du nationalisme banal (Billig 1995) comme substrat, comme condition nécessaire à l’entretien quotidien d’un nationalisme assumé, sinon revendiqué. Il s’agira aussi d’explorer la spécificité du nationalisme banal dans le cas français, nourri du passé colonial de la France et des prétentions universalistes du modèle français. Celles-ci entrent tout particulièrement en résonance avec la dimension universelle (ou du moins globale) de l’idéologie nationaliste selon Billig (1996 ; 2023). Pour donner matière à ces discussions, et pour répondre au problème de la « preuve » soulevé par certains adeptes d’une version moins critique du nationalisme « ordinaire » (Martigny 2010) ou quotidien (Fox & Van Ginderachter 2018), nous nous nous appuierons sur la présentation de l’enquête qualitative que nous menons sur la reproduction intergénérationnelle du nationalisme banal et de l’habitus national (au sens d’Elias 2020) dans le cadre familial et dans le sud-ouest de la France (Enquête ETPAF).