Informations générales
Événement : 84e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :Ce colloque s’attache aux représentations de la vulnérabilité dans des textes de femmes d’expression française du tournant du siècle pour penser les formes et figures données à la précarité et à la catastrophe, et à la charge politique ou esthétique de ces représentations dès lors qu’elles sont vecteur de transformation. Catastrophe et précarité sont ici deux versants d’un même bouleversement ou d’une même dégradation pouvant s’inscrire dans un rapport de causalité et de complémentarité ou de concurrence et d’opposition. Elles évoquent une violence fondamentale, originelle ou fondatrice, ponctuelle ou systémique ainsi qu’une blessure accidentelle ou intrinsèque qui finissent par devenir les marques d’une posture appelant à des reconfigurations de la subjectivité et de la communauté. Loin de tout essentialisme, la vulnérabilité s’entend au sens d’une condition sociale et politique, voire philosophique et esthétique qui « implique la vie sociale, c’est-à-dire le fait que la vie de quelqu’un est toujours en quelque sorte aux mains d’autrui » (Butler, 2010). De même, la catastrophe comme cataclysme se déploie dans l’horizon d’un anéantissement qui viendrait violemment remettre en question la permanence des structures, des subjectivités et des représentations.
Les réflexions féministes et littéraires sont les perspectives privilégiées par lesquelles les modalités de la mise en discours de la catastrophe et de la précarité seront analysées, autant dans leurs représentations que dans leurs remémorations lorsque l’événement ou l’expérience s’inscrivent dans le passé ou la durée. Seront envisagées des formes variées de la vulnérabilité, de la violence événementielle ou systémique jusqu’aux enjeux littéraires du care (sollicitude), en passant par l’émergence particulière du féminin, les postures de contestation ou d’affirmation, les mécanismes de révolte ou de résistance, voire la violence des sujettes qui précipitent la catastrophe, les postures de résistance se jouant de la précarité.
Date :- Evelyne Ledoux-Beaugrand (Université de Gand)
- Stéphane Martelly (Université Concordia)
Programme
Poétique de la souffrance et poïétique de la catastrophe
-
Mot de bienvenue et d'introductionEvelyne Ledoux-Beaugrand (Université de Gand), Stéphane Martelly (Université Concordia)
-
Poïétiques de la catastrophe et de l'œuvre absente : marges et folie du féminin chez Marie Vieux ChauvetStéphane Martelly (Université Concordia)
En partant du récit de Marie Vieux Chauvet intitulé « Folie » et sur ce qu'il inaugure de nouveau dans le contemporain littéraire haïtien, je voudrais en premier lieu questionner la notion de la catastrophe, dans des termes esthétiques et poïétiques, pour apercevoir quelles nouvelles configurations sont ici inventées qui réorientent durablement le cours de l'histoire littéraire haïtienne.
Prenant alors appui sur ce que je présente comme un texte fondateur, je compte examiner les configurations qui s'appuient sur l'absence et la catastrophe, alors que le féminin, comme dissemblance, négocie sa place du côté de la marge ou de la folie. Les réflexions que je propose sur les destinations, sur l'œuvre impossible ou absente (Foucault) me permettent éventuellement de distinguer les processus de différenciation spécifiques de la marge et de la folie, mais surtout d'apercevoir, au cœur du texte littéraire, la folie comme l'absence essentielle où se risque et se joue la création.
À travers cette réflexion, je démontrerai que les expressions du féminin et de la catastrophe appellent un renouvellement de la lecture et de l'écriture critiques, à travers la mobilisation délibérée d'une lecture « impliquée » et d'une écriture littéraire qui les complexifient et les contrarient. Une telle approche de l'oeuvre absente et de la création, permet l'avènement d'un « moment insolite de la théorie» (Felman), qui, dévoilant son propre jeu rhétorique, maintient la théorie en échec tout en la faisant parler.
-
Blessures consenties, cicatrices exposées chez Michela Marzano : dénoncer la manufacture du corps humainEftihia Mihelakis (Brandon University)
Dans le sillage des discours actuels autour du déni de la faiblesse ou de la fragilité au profit de la réussite, de la productivité et du culte de la toute-puissance, il se trame une question fondamentale qui porte sur les limites du corps humain. Dans Légère comme un papillon (2012a), Michela Marzano quitte le terrain de la philosophie et fait le récit de son anorexie pour dénoncer le culte nocif de la réussite. Elle déplie ainsi les lieux de sa souffrance.
Marcela Marzano identifie en outre une question fondamentale : « dans un univers où tout s'accélère et se dématérialise, l'enveloppe corporelle que la nature nous a léguée paraît de plus en plus décevante : le corps semble un fardeau qui nous empêche non seulement d'être efficace, compétent et performant, mais aussi de pouvoir nous épanouir. » (2012b) De telles considérations sont-elles suffisantes pour s'affranchir réellement des limites du corps et en finir avec la vulnérabilité qui semble être une des conditions primordiales de notre humanité (Burler, 2010) ? Peut-on en finir une fois pour toute avec la vulnérabilité comme semble le faire Orlan qui se façonne un corps non-conforme, un corps post-humain ?
Au cours de cette communication, nous interrogerons les dispositifs poétiques et politiques de la blessure consentie. Il s'agira d'interroger les limites et les potentialités de cette souffrance infligée pour voir si le savoir, la science, nous permet vraiment de triompher du corps.
-
Discussion
-
Pause
H/histoire et vulnérabilité
-
« J'ai fait du stop, j'ai été violée, j'ai refait du stop » : la place du viol dans Les Chiennes savantes et Baise-moi de Virginie DespentesLéonore Brassard (UdeM - Université de Montréal)
Dans King Kong théorie, Virginie Despentes souligne la double-contrainte liant la femme au viol, celle-là à qui on impose traumatisme et passivité. Contre ce double-discours associant la femme à sa vulnérabilité, elle en oppose un autre qui enjoint à la fois à la désacralisation et à l'appropriation féminine du viol. Ainsi, dans Les Chiennes savantes, Louise, danseuse dans un peep show, et perdant sa virginité par agression, tombe amoureuse de son violeur : « Des années que t'en fais toute une histoire. Finalement, ça n'a rien de si terrible » ; Manu, après avoir été violée dans Baise-moi, réagit pareillement : « ma chatte, je peux pas empêcher les connards d'y rentrer et j'y ai rien laissé de précieux… ». Si le viol reste une catastrophe fondamentale dans les récits de Despentes, et fondateur de son écriture, « en même temps ce qui [la] défigure et [la] constitue », elle privilégie un discours de résistance terroriste dans lequel les femmes se refusent à la vulnérabilité, et s'approprient la violence.
Je propose d'étudier, dans Baise-moi et Les Chiennes savantes, le discours de Despentes, là où une résistance radicale à la vulnérabilité des femmes se fait à la fois par l'appropriation et la désacralisation de la catastrophe de l'agression. Comment la tension entre la place centrale du viol et sa dévalorisation s'exprime-t-elle dans l'écriture? Comment la violence, à la fois du texte et des personnages, permet-elle de répondre à la précarité de la voix féminine?
-
Chroniques de l'insupportable silence : Femmes des terres brûlées de Marie-Célie AgnantFrançoise Naudillon (Université Concordia)
Après Balafres (1994), ce n'est qu'en 2010, soit plus de quinze ans après ce premier recueil, que Marie-Célie Agnant publiait de nouveau un opus poétique intitulé Et puis parfois quelque fois… Ce troisième recueil, Femmes des terres brûlées, s'établit sans ambages dans une posture éthique et politique qui refuse la dénonciation et ses grands effets de manches, loin de la voix d'un « poète hargneux ou mélancolique ».
Marie-Célie Agnant écrit pour nous toutes « le livre maudit dont nous sommes les pages noircies », le livre des femmes et des filles, le livre des sœurs et des mères, le livre de l'aïeule et la petite fille, le livre des veuves et des vies brisées, le livre des souffrances qui n'ont pas de nom, le livre des peurs et des tourments, le livre que nul ne veut lire, le livre des silences et du plomb.
Marie-Célie Agnant nous met pour ainsi dire l'horreur dans la peau, elle nous plonge tous vifs dans l'odeur répugnante des tortures, des « culs puants » des lycaons, des vautours, des chacals, des loups et autres hyènes humaines, elle nous fait entendre le battement du sang, la pression sur les gorges et le son des os brisés, elle blesse nos oreilles du cri des enfances violées. C'est ce silence, ce silence qui se prétend pudique, c'est ce silence complice, c'est ce silence et cette cécité du monde, c'est ce refus de voir et d'entendre la souffrance de l'Autre, c'est cette coupable ignorance que les Femmes des terres brûlées fracassent sans sommation.
-
Refigurer l'humain : autour d'écrits de Nicole Malinconi et de Marie CosnayEvelyne Ledoux-Beaugrand (Université de Gand)
Dans Si ce n'est plus un homme (2010), Nicole Malinconi fait des gueules cassées de la Grande Guerre le paradigme d'une humanité contemporaine dont non seulement le visage mais l'humanité tout entière est défigurée par le capitalisme avancé. Le défigurement en ce qu'il fascine ou détourne les regards empêche de voir « l'être de quelqu'un » (11). C'est aussi à une forme de défiguration, celle-là légale et également liée au capitalisme avancé, que s'intéresse Marie Cosnay dans Entre chagrin et néant. Audiences d'étrangers (2011). Rendant compte de la présentation devant le juge de personnes « retenues » en France pour être sans papiers (valides), l'écriture de Cosnay, tout comme celle de Malinconi, questionne les politiques ainsi que les violences légales et économiques qui dépossèdent certaines personnes de leur qualité d'humain.
En prenant appui sur les écrits récents de Judith Butler sur la précarité et la dépossession et ceux de Lyndsey Stonebridge sur la figure « catastrophiquement vulnérable » des réfugiés réduits, comme l'écrivait Arendt, au statut d'« être humain en général », je lirai côte à côte ces deux textes afin de réfléchir à la précarisation comme défiguration et dépossession. Je me pencherai plus précisément sur la poétique de la refiguration qui se déploie aux marges de la littérature dans les deux récits analysés.
-
Discussion
Dîner
Éthique féministe et care
-
Vulnérabilité et éthique du care chez Louise DupréMarie Carrière (University of Alberta)
Au confluent des genres, l'oeuvre de Louise Dupré aurait à la fois défini et élargi le champ de l'écriture féministe au Québec. Associée à une deuxième génération de poètes féministes par l'Anthologie de la poésie des femmes du Québec, Dupré appartient tant à ces féministes militantes de proue de La théorie un dimanche, qu'à ces auteures dites métaféministes (Saint-Martin 1992). Or, le métaféminisme de Dupré se démarque encore plus que la définition générationnelle de Saint-Martin. Toujours intimiste comme dans L'album multicolore, la perspective sur le monde se veut aussi planétaire, comme le laissent voir l'essai « L'événement » et le regard du présent sur les désastres de l'histoire de Plus haut que les flammes. À partir des postures au féminin du nouveau millénaire de Dupré surgissent une réflexion et une poétique sur la vulnérabilité, celle de soi et de l'autre, de la mère et de la fille, et d'un millénaire épris d'un sentiment de catastrophe – la vulnérabilité comme fondement d'une éthique nécessaire du care. En soi une pensée métaféministe, le care d'abord théorisé par Gilligan (1982), a été repris par les travaux contemporains (Laugier, Nurock, Tronto) cherchant à le « politiciser », le « désentimentaliser » et le « dé-genrer » (Bourgault et Perrault). Le care, ancré dans une vulnérabilité à assumer, viendrait-il resignifier la poétique au féminin de Dupré? Composerait-il une éthique pour un nouveau féminisme qui se doit être, pour dire avec Nicole Brossard, de notre temps ?
-
Care matériel et fragilité symbolique : Tronto, Collin, ArendtMarjolaine Deschênes (Cégep Montmorency)
Afin de rééquilibrer le partage des pouvoirs entre privilégié/es et care givers laissé/es à la marge du politique, Joan C. Tronto (1993) entend faire voir le monde différemment en étendant la valeur du soin matériel aux plans institutionnel et politique, et en minorant la valeur d'activités qu'elle associe aux puissants (p. 20). Son éthique du care veut renverser les perceptions quant à la (l'in)dépendance, et les valeurs qu'on accorde aux activités humaines. En filigrane, la tripartition arendtienne allant de la nécessité à la liberté (Labor, Work, Action) est subvertie. Je critique Tronto en ce qu'elle mésestime des valeurs publiques et culturelles précieuses. Ses notions de care et de « maintien du monde », indissociables, se limitent à une thérapeutique matérielle : art, esthétique (jeu, plaisir) et création en sont exclus (p. 104). Tout se passe chez elle comme si un monde pouvait être maintenu sans imagination ni fonds symbolique. Je pose que Françoise Collin suggère une éthique féministe plus riche, se souciant à la fois de la matérialité des rapports sociaux et de l'horizon temporel de la condition féminine. S'inspirant d'Hannah Arendt elle repense la pluralité et la fragilité politique des mouvements et pensées féministes, veillant à la tâche de reconfigurer le champ symbolique de notre condition par l'écriture, la recherche, la création, la critique artistique et littéraire. Veillant à un héritage fragile, « sans testament » (1985), sans cesse à reconstruire.
-
Danser l'irréparable : l'œuvre chorégraphique de Mélanie DemersKaterine Gagnon (Chercheure indépendante)
Parce que « la danse est méthexique avant d'être mimétique » (J.-L. Nancy), parce qu'elle est d'abord participation, partage, voire « contagion » (idem), elle dévoile avec une radicalité presque paradigmatique les enjeux esthétiques et éthiques liés à la représentation de la violence dans l'art. Dans cette communication, nous examinerons comment dans ses spectacles chorégraphiques, l'artiste multidisciplinaire Mélanie Demers élabore une dramaturgie de la responsabilité et du témoignage apte à interroger ses effets de répétition, d'interprétation et de réparation.
-
Discussion
-
Pause