430 - Les nouvelles formes de l'intimité amoureuse et érotique

Cette communication se propose d'explorer l'évolution sociale de l'amour par le biais de la comparaison historique. Pour ce faire, je m'appuierai sur les premières analyses d'une trentaine d'entretiens biographiques effectués en Suisse francophone auprès de 3 générations d'hommes et de femmes. Il s'agira de saisir leur histoire d'amour dans son évolution et d'étudier dans quelle mesure cette évolution est dépendante du contexte socio-historique auquel elle est rattachée. Nous essayerons de répondre aux questions suivantes : Qu'est-ce que l'amour pour ces différentes générations? Comment nait-il ? De quoi se nourrit-il et comment évolue-t-il ? Pourquoi, dans certains cas, s'éteint-il ? Si la littérature propose un certain nombre de pistes, les étapes marquantes de la constitution et de l'évolution de l'amour sont souvent traitées de manière indépendante. Il s'agira ici d'inscrire l'expérience amoureuse dans une perspective longitudinale afin de saisir la dynamique des changements rattachés aux nouvelles formes de l'intimité amoureuse. L'amour n'y est pas compris uniquement comme un sentiment, comme s'est souvent le cas dans la littérature sociologique, mais également comme une production quotidienne de comportements et de pratiques socialement orientés se rapportant à l'émotionnel, à l'interactionnel et à l'institutionnel.

En plus d'être un lien sentimental entre deux individus libres, l'amour conjugal constitue aussi un symbole culturel central de notre système de parenté.  Il s'inscrit dans un univers de représentations sociales et de règles de conduites qui dépasse ce que peuvent établir entre eux, d'un commun accord, les amoureux. À partir du cadre théorique développé par l'anthropologue David Schneider, il est possible d'aborder l'amour moins en tant que sentiment que dans sa dimension symbolique, comme un code de conduite qui structure et oriente l'action des individus. Un tel « code de l'amour » joue à la fois comme un ensemble de règles – qui ne se réduisent pas à certaines récurrences observables dans les comportements - et comme une structure interprétative, qui permet de donner un sens aux interactions conjugales. En s'appuyant sur une revue de la littérature et sur l'analyse d'entretiens qualitatifs en profondeur réalisés au Québec auprès de plus de 80 répondants, nous mettrons en lumière ce cadre normatif et ses composantes. Plus spécifiquement, nous dégagerons certains thèmes récurrents qui façonnent la rhétorique amoureuse contemporaine et les comportements conjugaux qui sont attendus de chacun. Six de ces thèmes retiennent particulièrement notre attention : 1) la fiction de la durée, 2) le caractère involontaire de l'amour, 3) l'investissement continu dans la relation 4) la solidarité différée 5) l'altruisme et 6) la confiance réciproque.

Cette communication se base sur nos travaux doctoraux, qui visent, pour le Québec post-révolution tranquille (1980-1990), à interpréter l'émergence sociohistorique, aux plans cognitifs et pratiques «ordinaires», d'une expérience typiquement contemporaine de l'intimité. Nous nous concentrerons ici sur les implications heuristiques de notre travail empirique portant sur l'oeuvre télévisuelle Janette Bertrand, cas témoignant (Deslauniers 1996) des transformations de l'intime et participant selon nous de la co-construction (Berger et Luckmann 2012), de niveau sociétal, d'un modèle relationnel (de Singly 1996) mettant à mal la légitimité des anciens rôles sociaux amoureux et familiaux, et proposant en retour une intimité (Jullien 2013) sexuelle et amoureuse centrée sur l'expression de soi (Taylor 1998 ; Ehrenberg 1998) et la quête de reconnaissance (Honneth 2013). Nous analyserons les principaux i) scénarios et ii) types-idéaux construits par Janette Bertrand et proposés au public québécois à titre de typifications ordinaires (Schutz 1962) permettant d'ordonner et de faire sens du quotidien intime. Nous nous laisserons guider par l'hypothèse voulant que la construction télévisuelle de cadres conversationnels de l'intimité (Cavell 1969 ; 1981), dans ses acceptations sexuelle et amoureuse, aurait put permettre la reformulation des cadres (Goffman, 1974) pratiques et sémantiques de l'expérience de l'intimité, dans un contexte de vacance cognitive laissée par l'éviction du discours religieux.

Le concept de « capitalisme émotionnel » (Hochschild) est un apport puissant pour analyser nos sociétés dites développées. Le capitalisme ne produit pas seulement des biens et des services, mais des émotions et des formes de relations où l'affectivité s'intrique avec le mercantile. Il en résulte des empêchements et des transformations des relations produites par les « débordements de la pensée mercantile » dans la sphère intime. Les émotions ne procèdent pas d'un innéisme biologique ou d'une construction psychosexuelle seulement, elles sont façonnées socialement au sein de relations et répondent à des règles de sentiments ou les transgressent. L'analyse des entretiens menés auprès d'escortes girls nous permet de faire l'hypothèse que le souci des autres, de leur bien-être dans les relations professionnelles, se transforment sous l'emprise culturelle du marché et d'une segmentation et d'une spécialisation croissantes des activités dites de services aux personnes. Coûteux subjectivement, ce travail de/sur soi inscrit les escortes dans des relations de domination protéiformes. L'analyse des types de relations qui se nouent entre les escortes, qui délivrent du travail émotionnel, et ceux qui en reçoivent (leurs clients), est particulièrement heuristique du point de vue des processus d'euphémisation et de segmentation, via l'altération de l'authenticité et la modification des règles de sentiments, des formes de domination inscrites dans ce type de relation à la fois intime et marchande.

Comme le montrent plusieurs études, les technologies de communication contemporaines jouent un rôle majeur dans l'organisation du champ amoureux, à travers les sites de rencontres, les forums de discussion, les blogs, etc. Contribuant à la diffusion de normes affectives et de conduites, les ressources, mises à la disposition d'une population de plus en plus large, comprennent aussi des textes de thérapeutes et de conseillers. Ceux-ci, participent à une normalisation des  stratégies de communication, de négociation et de discussion dans le domaine érotique et affectif qui soutiennent les formes d'auto-réflexivité présentes dans la société contemporaine. Cette présentation tentera de cerner ces dimensions à partir d'un corpus de textes collectés  dans des sites Internet sur cette thématique et analysés qualitativement afin de dégager les lexiques, les modes de gestion de la relation amoureuse, de la rupture et de la peine d'amour qui peut s'ensuivre. Les modalités associées à ces différentes stades de la relation amoureuse seront comparées entre elles pour dégager  les consensus et les dissensus présents dans les textes en ligne associés à la sphère amoureuse, les principes et les normes à suivre pour régler les conflits et surmonter les obstacles ou, au contraire, rompre la relation et en assumer ses conséquences relationnelles et affectives. Cette analyse aidera à prolonger les recherches effectuées sur les dimensions socioculturelles liées à la psychologie du self-help.

La postmodernité a vu apparaître les relations sentimentalo-sexuelles médiées par des dispositifs sociotechniques, favorisant un marivaudage épistolaire technologiquement assisté. Ordinateurs, tablettes, smartphones, webcams, sites de rencontres, réseaux sociaux, messageries et applications permettent désormais à des partenaires en puissance  (virtuels, donc) d'anticiper une relation, mais aussi de lui dessiner de nouveaux contours imaginaires et corporels mots et images à l'appui. Et de nouvelles pratiques ont émergé dans les réseaux numériques, du polygaming au néo-romantisme technologique et jusqu'à la co-masturbation assistée par ordinateur. Cette communication analysera ces relations d'un nouveau genre, prenant naissance et sens devant (ou derrière?) des écrans. Nous prendrons en compte la dialectique de la présence et de l'absence, du caché, du voilé et du montré, du dit et du tu… Il sera de même intéressant d'indiquer les indices de ritualisation de ces nouveaux rapports. Nous fondant sur deux enquêtes éditées en 2004 et 2012 sur le terrain du Net sentimental, et sur une analyse longitudinale du marché de la rencontre sentimentale et conjugale en ligne, autant que sur un corpus littéraire et cinématographique qui illustrera l'analyse, nous montrerons en quoi les cyberamants ont souvent un bénéfice secondaire à compenser et sublimer l'absence d'un(e) inconnu(e) intime), grâce aux ressources du dispositif technique, des mots, des images et de l'imaginaire.

Nous vivons dans une époque où la mobilité internationale est une pratique très courante ; les gens voyagent pour une foule de raisons, allant de l'émigration, aux voyages de vacances. Ainsi, familles, amis, et de plus en plus de partenaires doivent maintenir leurs relations à distance. Le phénomène va de pair avec le développement des nouvelles technologies, qui introduisent de nouvelles formes et de pratiques pour maintenir l'intimité. Cela soulève des questions sur la façon dont les relations intimes sont mises au défi, et sur les autres implications interpersonnelles, sociales, culturelles, ou politiques dans ces relations internationales. Je propose d'explorer comment les femmes dans des relations amoureuses à distance utilisent divers modes d'expression (visuels, textuels, oraux et tactiles) à travers de multiples technologies mobiles, qui lui permettent de reconstruire la présence et l'intimité avec l'autre. La littérature connue comme mobile intimacy (Hjorth & Lim, 2012) inclut plusieurs questions sur « les émotions, la co-présence, la diaspora, les technologies personnelles et des formes émergentes de travail affectif, social et émotionnel » (p.478). Je propose une présentation qui remet en question une conception normative de l'intimité (Berlant, 1998) avec des données venant d'entrevues semi-dirigées, de l'autoethnographie et de journaux de bord multimédias afin de comprendre les mobile intimacies impliqués dans les relations de couple à distance.

Les changements technologiques récents (nomadisme des appareils connectés, accès à la 3G/4G) ont un impact sur la communication conjugale. Dans ce travail, nous tenterons de comprendre en quoi les TIC mobiles, en tant qu'objets médiateurs entre les acteurs sociaux, réinterrogent les relations sociales et participent à leur dynamique. L'étude des TIC mobiles en tant qu'objets n'est pas ici une fin en soi, mais plutôt un moyen de montrer que ces objets questionnent les relations sociales et de tenter de comprendre comment ils le font. Ainsi les TIC seront ici envisagées comme objets banals et quotidiens permettant d'analyser divers aspects de la réalité sociale. Nous essaierons de comprendre de quelle manière ces nouveaux objets connectés communicants ont fait apparaître de nouveaux contextes communicationnels dans le couple (déclaration d'amour hors contexte, planification de la vie domestique) et ont instauré de nouvelles normes en matière de communication. Ce sera l'occasion de constater la nouvelle place de l'écrit dans le couple. Nous dresserons une typologie des écrits électroniques dans le couple et constaterons que tous les couples n'utilisent pas ces outils de la même manière. Notre approche qualitative fondée sur une méthodologie croisée (questionnaire en ligne, observations netnographiques, entretiens semi-directifs) permet de dégager des spécificités en fonction du type de couple et plus particulièrement en fonction du degré d'individualisation des couples.

Ce colloque nous donne l'opportunité de revenir sur la question de la rencontre à l'heure des Smartphones et de la photographie mobile. La photographie mobile est aujourd'hui présente dans tous les espaces de l'intimité et sous différentes formes. Loin d'être clairement définie, il semble qu'elle soit aujourd'hui essentielle dans les nouvelles techniques de soi (Foucault) et qu'elle entraine, à travers l'application Grindr, une certaine reconfiguration de l'intimité. En effet, cette application s'adresse aux homosexuels du monde entier. Elle permet de choisir parmi les hommes géographiquement les plus proches celui ou ceux avec qui la personne souhaite entrer en contact. La sélection se fait alors rapidement via une photographie soigneusement travaillée et capturée. Une photographie mobile d'un portrait de soi qui met en image ce que nous voulons donner à voir. Autant de selfies que de corps à moitié dénudés qui montrent une intimité déjà dévoilée. On est bien là au-delà des limites de la rencontre originale ou des sites de rencontres. Ainsi, nous nous interrogerons sur les caractéristiques de cette application à travers le rôle de l'image de profil et nous tenterons de comprendre ce qui se joue de cette relation possible ou non en un clic ? Notre regard s'inscrit dans le domaine de la communication et a pour ambition de rendre compte de l'enjeu des technologies du numérique en termes de culture communicationnelle contemporaine.