Informations générales
Événement : 91e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 300 - Lettres, arts et sciences humaines
Description :Les marges de nos carnets se peuplent d’idées et de sujets possibles –- ceux que nous ne ferons pas, que nous n’aurons pas le temps de faire —, et qui exercent et exerceront toujours une pression contre : les sujets que l’on ne creuse pas, qui restent à l’état de piste, nous fascinent et nous paraissent d’autant plus désirables que nous travaillons à autre chose.
Dans quelle relation sont l’accompli et l’inaccompli dans la pratique du chercheur en poésie ? En quoi les sujets notés dans nos marges influencent-ils le sujet présent, auquel on travaille, quelle pression exercent-ils ? Cette démarche elle-même, cette pratique de la pensée n’a-t-elle pas un lien intime avec la poésie ?
La pensée libre se déploie souvent par bonds capricieux, qui ne répondent ni aux impératifs ni aux intérêts. Et il se trouve que quiconque pratique cette pensée libre sort de son expertise pour se pencher, comme en aparté, sur des idées, des plans, des projets imprévisibles et informes. La rêverie ne peut-elle pas profiter de cette mise en lumière pour réaffirmer son droit d’exister au premier chef ? Si cette affirmation manque, nous voulons y pallier en lui donnant deux caractères, à la fois distincts et fortement liés : le poétique et le savant. Entre les démarches du savant et du poète un fil infaillible les saisit tous deux dans le même horizon, soit d’explorer et, pour cela, dépasser (sans lui tourner le dos) le monde connu. Le savant et le poète ont un même regard porté vers l’à-venir et, au-delà d’un certain point, n’ont plus besoin d’attendre une confirmation du monde actuel pour que la rêverie s’engage et réponde d’elle-même, dans la phase d’invention où elle cherche ailleurs ce qui peut convenir ici, maintenant. C’est entre autres ce que montrent les travaux de Judith Schlanger, d’Isabelle Stengers et de Jean-Pierre Bertrand.
Dates :
Format : Sur place et en ligne
Responsables :Programme
Épistémologie de la rêverie
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Communication orale
La Pléiade des _Œuvres critiques_ de Bonnefoy que je ne ferai pasNelson Charest (Université d’Ottawa)
Pour qui a lu l’une des préfaces d’Yves Bonnefoy à ses traductions de Shakespeare, il est frappant de voir que sa méthode critique tient essentiellement à un seul aspect : une démarche. Non pas un protocole, non pas des critères, des balises, des exigences, non pas une allégeance à un canon intellectuel mais plutôt une manière de procéder, d’avancer dans le texte shakespearien, de progresser dans sa forêt et de la découvrir. Certes le savoir est requis et convoqué, comme l’exigent les codes de la préface ; autrement, Bonnefoy ne fait qu’assimiler ce savoir, le faire sien, et du même coup, en fait disparaître les mentions. Plus largement, chacun des textes critiques de Bonnefoy raconte l’histoire d’un savoir qui s’avance dans le temps et vient frapper celui qui le reçoit, et qui, en retour, présente l’aventure où il n’est que le passeur sur des planches courbes, avec un enfant qui grandit sur les épaules, jeune et vieux, vieux et jeune et immortel. Or ce texte en devenir n’a pas encore rejoint sa trajectoire naturelle, car une Pléiade de Bonnefoy vient d’être publiée, sans l’inclure, et conserve ainsi un départage qui me semble un parti pris de lecture, où seuls les poèmes apparaissent comme si la critique de Bonnefoy ne faisait pas œuvre. Je tenterai de montrer que la critique de Bonnefoy participe pleinement du corpus littéraire, avec la prémisse que ce dernier, parmi ses possibilités, est en mesure d’intégrer des savoirs exogènes sans perdre sa modalité première.
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Communication orale
L’âme romantique et le rêve : une liaison philosophique critiqueCharles Le Blanc (Université d’Ottawa)
En 1937 paraissait dans Les cahiers du sud l’essai de l’écrivain suisse Albert Béguin L’Âme romantique et le rêve (ouvrage repris maintes fois par la suite par les éditions José Corti).
Cet essai classique des études germaniques explorait la nature du romantisme à travers ses manifestations dans la poésie, la musique et, plus généralement, la pensée esthétique. Béguin parcourait les principes fondamentaux du romantisme, notamment l’importance de l’imagination, de l’émotion et de la subjectivité dans l’art et la vie. Il touchait particulièrement la notion de rêve comme élément central de la conscience romantique, tout en soulignant son rôle dans la création artistique et la quête de sens, à travers des études circonstanciées sur Lichtenberg et Jean Paul.
Notre présentation entend reprendre les grands axes de l’essai de Béguin afin de montrer en quoi le thème romantique du rêve dans le premier romantisme allemand est tributaire d’une réflexion philosophique fondamentale qui entend apporter une solution concrète à certains problèmes du kantisme.
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Communication orale
Le goût de la rêverie. Une revendication d’authenticité philosophique chez Jean-Jacques RousseauPaula Marso (Université Concordia)
Dans le « Troisième Dialogue » de Rousseau, juge de Jean-Jacques, « Rousseau » désigne « J. J. » comme un « rebelle aux nouveaux oracles » ; dans ce même « Troisième Dialogue », le « Français », pour accabler définitivement le prévenu, présente à « Rousseau » les livres de « J. J. », l’auteur « rebelle » inculpé pour ce qu’il pense, dit et écrit.
Voici un auteur qui désobéit au discours de la violence dicté par la raison et qui « a fait des livres, mais jamais ne fu[t] un livrier[1] ». « Le Deuxième Dialogue » évoque les choses simples de la vie de « l’auteur Rousseau », mais aussi ses pensées. La paresse intellectuelle a marqué de son empreinte la genèse et la formation de ses idées. Cette oisiveté institue le droit de penser avec lenteur, à son gré, suivant les parcours vagabonds de ses réflexions.
Dans cette démarche aussi libre qu’autonome, les lacunes, résultats des zones d’ombres engendrées par son esprit errant, deviennent légitimes et appréciées ; cette méthode sans rigueur ni contrainte cristallise d’autres formes de connaissance : comme celui-ci de la rêverie poétique et savante.
[1] Rousseau, Deuxième Dialogue, op. cit., p. 840.
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Communication orale
La rêverie poétique comme support de réflexion philosophique chez Gaston Bachelard et María ZambranoJoy Courret (Université Bordeaux Montaigne)
Dans la philosophie contemporaine, certains penseurs revendiquent la rêverie comme moyen d’atteindre une réflexion philosophique plus aboutie et plus sensible. C’est le cas du Français Gaston Bachelard et de l’Espagnole María Zambrano. Le premier poétise ses écrits comme c’est le cas dans La poétique de l’espace ou La poétique du feu, il va même jusqu’à affirmer que la philosophie serait meilleure si les philosophes lisaient des poètes dans La poétique de la rêverie. En ce sens, il conjugue parfaitement approche philosophique et songe poétique, et la rêverie devient alors un véritable support de réflexion. Nous constatons que la rêverie tient également une place importante dans Les clairières du bois de Zambrano où la philosophe cristallise son concept de « raison poétique », qui unit rêverie poétique et philosophie. La philosophe réalise cette jonction entre pensée savante et rêverie poétique dans son œuvre et sa pensée. Nous étudierons comment la rêverie devient un instrument pour philosopher chez ces deux penseurs. Nous tâcherons de comprendre en quoi cette évasion lyrique facilite et encourage la réflexion chez nos philosophes mais aussi chez les chercheurs en poésie d’une manière générale. La rêverie devient, semble-il, un moyen d’habiter poétiquement le monde et d’avancer dans la pensée philosophique.
Dîner
L'écosystème de la pensée
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Communication orale
La savante habite-t-elle le même monde que la poète ?Maxime Fecteau (UQAM - Université du Québec à Montréal)
Dans son essai Finding the Mother Tree (2022), l’écologiste canadienne Suzanne Simard raconte comment elle s’est attachée au milieu forestier qu’elle étudie. Ce terme, venant d’une scientifique, n’est pas banal. Dans le langage courant, l’attachement est souvent filial, sentimental, lié à des valeurs ou à des principes. « Être attaché·e » signifie ressentir de l’affection ou un sentiment d’appartenance envers quelqu’un. Cela implique de se soucier de l’autre, en pensée et en action. C’est pourquoi elle a osé s’imaginer que ses objets d’étude, les arbres d’une forêt, pourraient être perçus comme un ensemble de sujets liés les uns aux autres, qui, comme nous, valorisent certaines manières de coexister dans le monde. Autrefois, seul·es les poètes pouvaient rêver une telle « forêt enchantée ». Mais aujourd’hui, grâce aux découvertes auxquelles elle a contribué, l’écologiste a vécu une prise de conscience aussi savante que lyrique : « Il est impossible d’ignorer les preuves scientifiques, écrit-elle : la forêt est dotée de sagesse, de sensibilité et d’une capacité de guérison. »
Cette communication sera l’occasion d’explorer, en dialogue avec certains passages de l’essai de Simard, ce que je nomme l’écoanalogie : une approche esthétique et conceptuelle de l’essayistique environnementale contemporaine. Cette approche met de l’avant une perspective à la fois scientifique et animiste du vivant, qui se manifeste de manière résolument métaphorique dans son expression littéraire.
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Communication orale
« Bêtes de songe » rimbaldiennes : sur « Bottom »Mendel Péladeau-Houle (St Francis Xavier University)
Sur le manuscrit de la collection Pierre Berès, « Métamorphoses » est barré, surmonté de « Bottom ». Dans la critique rimbaldienne, le rêve et l’animalité qui s’y entremêlent semblent avoir été occultés par l’étude intertextuelle d’Ovide et de Shakespeare, essentiellement considérés des sources en raison des titres. Leur enlacement apparaît pourtant à travers quelques poèmes de Les Illuminations, dans les « tendresses bestiales » et « le goût du mauvais rêve » de « Parade » ou les « bêtes de songe » de « Nocturne vulgaire » par exemple. Dans « Bottom », l’expérience d’une désillusion amoureuse est racontée à partir d’une série d’avatars animaux. Le poème brasse formidablement le topos de la bestialité du désir et les poétiques anthropomorphiques de ses prédécesseurs. Mais, davantage, c’est une auto-zoo-graphie amoureuse qu’il déploie, dont la considération pour les formes de vie animales annonce l’éthologie naissante. Cette présentation propose une micro-lecture de « Bottom », inclusive des contextes littéraires voire discursifs qui permettent de mieux penser son onirisme animal.
Le corps de la rêverie
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Communication orale
« Le signe saigne » – ce qui reste à chanter chez Paul CelanGuillaume Surin (ENS Ulm)
Un dessin revient souvent en marge de mes carnets, qui n’en est pas un : le mot signe est repassé à l’encre jusqu’à un certain débordement, et coule de bavures, de sécrétions de l’encre qui débordent le corps du mot : un signe suant, un signe saignant. Ce mot-trace est souvent associé, dans les mêmes marges, à Paul Celan, et plus particulièrement à deux extraits de poèmes. Le premier : Es liegen die Erze bloß, die Kristalle, die Drusen. Ungeschriebenes, zu Sprache verhärtet, legt einen Himmel frei.(Les couches de minerai sont à nus, les cristaux, les druses. Du non-écrit, durci en langue, libère un ciel). Le second : Deine Frage – deine Antwort./Dein gesang, was weiss er ? / Tiefimschnee/ Iefimnee/ I – I – e. (Ta question – ta réponse. / Ton chant, qu’est-ce qu’il sait ? / Dans la neige, enfoui,/ Eige-en-oui/ E-e-i). Ces deux pôles dessinent un diagramme qui a dirigé de nombreuses rêveries, cherchant à dessiner et habiter le plan, le territoire ainsi dessiné. Par le même mouvement, le projet d’étude rêvé n’était accessible lui-même que par une forme de rêverie, au sens de la capacité négative telle que formulée par John Keats : l’espace ouvert par la formule « le signe saigne » et par les vers de Celan nécessite d’installer l’espace de l’écriture dans sa matière même, idée qui ne peut-être qu’approchée que dans une forme de rêverie. C’est ce que souhaite cette contribution : s’approcher de cet impensé de l’œuvre de Paul Celan, qui ne semble accessible qu’en tant que chant.
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Communication orale
Le retour (inaperçu) d’Alfred DesRochersThomas Mainguy (Collégial international Sainte-Anne)
L’expression « génération perdue » employée par Alfred DesRochers pour parler de sa propre génération d’écrivains me fascine. Elle suggère à mon esprit une disparition mystérieuse, un étrange sacrifice. Cela dit, DesRochers est bien installé dans l’histoire littéraire québécoise. Or sa notoriété repose sur trois livres seulement, tous publiés au tournant des années 1930 (L’offrande aux vierges folles, 1928; À l’ombre de l’Orford, 1930; Paragraphes, 1931). De ses deux recueils ultérieurs – Le retour de Titus (1963), Élégie pour l’épouse en-allée (1968) –, on ne parle à toute fin pratique jamais. Et pourtant, Le retour de Titus est une œuvre étonnante, d’autant plus qu’elle met fin à un silence long de plus de trente ans. Cet important hiatus symbolise, oui, une phase de perdition de laquelle DesRochers est passé proche de ne jamais sortir. En un sens, Le retour de Titus raconte sa remontée hors de l’abîme, mais pour déboucher dans un monde désormais étranger à « l’ancien jeu des vers » (Apollinaire). La solidité formelle de sa poésie, toute fidèle à la prosodie classique, paraît la rendre invisible, voire illisible en ce début des années 1960 (et encore aujourd’hui ?). Avec la « génération perdue », je me demande si ce n’est pas la tradition même du vers qui a été sacrifiée… une tradition qui, au Québec, n’était peut-être pas encore tout à fait inventée du reste. Voilà, en somme, l’horizon que j’essaierai d’élargir à travers ma rêverie critique.
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Communication orale
Suivre la pente de la rêverie, de la bouche d’ombre hugolienne à la « strophe du silence » de VignyMaxime Prévost (Université d’Ottawa)
Les livres des révélations hugoliens que sont Châtiments et surtout Les Contemplations débouchent à la fois sur un syncrétisme fécond, fait d’ouverture au mystère (rappelant à la fois Lamartine, le jeune Vigny et Nerval) et sur une abondance poétique dont le trop-plein confine au silence : est-ce que tout dire, tout montrer, tout intuitionner ne mène pas à une forme de cécité volontaire?
Cette cécité désirée sera au cœur des Destinées, recueil testamentaire (1864) par lequel Alfred de Vigny tente de compléter le triumvirat romantique amorcé par le Lamartine des Méditations poétiques et poursuivi par le Hugo des Contemplations. Derniers vers écrits par le poète, la « strophe du silence » complétant le poème Le Mont des Oliviers, d’inspiration bouddhiste, affirme cette vocation au silence qui est celle de Vigny, tout en reconduisant le syncrétisme qui était déjà perceptible dans les Poèmes antiques et modernes de 1826 : la rêverie qui chez Hugo explose en un foisonnement de contemplations se résume chez Vigny en un abandon de la poésie comme de la foi. Nous tenterons de montrer que l’explosion poétique du Hugo et le silence de Vigny sont moins incompatibles qu’il n’y paraît de prime abord, les deux poètes explorant une vision syncrétique du cosmos qui, chez l’un, englobe la possibilité de l’athéisme, mais chez l’autre la nie.
Que voit le poète le nez en l’air ?
Projections savantes
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Communication orale
Rêve ou autre modalité de la mémoire involontaire dans le roman proustienYaejin Yoo (Yonsei University)
Les récits de rêve dans À la recherche du temps perdu ont fait l’objet de nombreuses recherches dont l’approche va de la critique psychanalytique à celle de la philosophie, en passant par une dimension proprement narratologique. À travers cette étude nous voudrons ajouter une autre touche dans ce vaste chantier d’analyse des rêves proustiens en essayant d’y relever un parallèle avec le mécanisme de la mémoire involontaire. Nous pensons que les éléments constitutifs et le processus du fonctionnement de la mémoire involontaire se trouvent transposés dans certains rêves dans la Recherche. Mise en avant par l’auteur comme ayant seule « la griffe d’authenticité », la mémoire involontaire est caractérisée par un phénomène anti-intelligent, la modification de l’habitude, la sensation d’un passé retrouvé dans une circonstance toute autre, enfin le sentiment d’une « essence précieuse ». Or ces éléments propres à la mémoire involontaire sont observables en particulier dans le tout premier récit du roman. Le bouleversement de la temporalité ressenti par dilatation ou au contraire par abolition de la durée, la confusion de la spatialité, enfin un plaisir profond sans causalité apparente se rejoignent tous pour tracer des liens parallèles entre ce rêve au seuil du roman et la mémoire involontaire. Cela nous ramène à considérer l’une des fonctions du rêve dans la Recherche comme une autre modalité de la mémoire involontaire si chère à Proust.
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Communication orale
Éloge de la rêverie. Dialogue avec Anne DufourmantelleMarie Denieuil-Hovanessian (Université de Caen-Normandie)
Et si la rêverie était précisément ce sur quoi il fallait s’attarder ? Ce lieu marginal et insaisissable où la pensée, à l’état de glaise, se formait ? Et où l’individu, partout ailleurs contraint de poursuivre des objectifs rhétoriques par une communication structurée et efficace (remporter l’adhésion, susciter l’attention), se libérait enfin des carcans sociaux pour saisir l’épaisseur de sa propre vie, la densité fugace de sa propre existence ? Notre contribution propose, à partir de l’essai d’Anne Dufourmantelle sur L’intelligence du rêve (Payot, Paris, 2012), d’interroger cette notion de rêverie au prisme de trois axes : le désir, les formes marginales que celle-ci emprunte et qui laissent apparaître une poétique de l’inaccompli, et l’ouverture à la vie et à la transformation de soi auxquelles celle-ci invite.
En prenant soin de distinguer la rêverie de l’inaction, nous comprenons que la poétique de l’inaccompli n’est rien d’autre qu’une manière pour la vie de préparer souterrainement, au cœur d’un être vivant, le moment de son prochain accueil. Le rêve en marge, en s’inscrivant dans le champ des possibles, donne le droit d’aimer le monde, de lire le réel pour mieux le transformer et se transformer soi-même. Ne rêve-t-on pas toujours, dans notre pensée ou dans nos carnets, dans nos marges ou dans nos brouillons, pour retrouver la vie qui s’est dissimulée en nous ? Et si le but de la rêverie n’était pas tant d’accomplir que de maintenir en vie, dans une pleine vie ?
Les lieux de la rêverie
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Communication orale
Poésie, savoir et ignorance chez Louise Ackermann et Philippe JaccottetJoseph Acquisto (Université du Vermont)
Que sait la poésie si la quête de sa propre signification ou de sa propre définition est souvent au cœur de son entreprise explicite ou implicite ? L’impossibilité d’une réponse définitive à la question de la définition de la poésie, loin d’entraîner l’échec du projet poétique, le pousse à s’interroger sur le rapport constamment changeant de la poésie au monde d’où elle émerge et qu’elle refait à son image. Je me propose d’analyser deux poètes séparés par un siècle mais unis par une mise en question du rapport poésie-savoir. Les Poésies philosophiques de Louise Ackermann mettent en scène ce que l’on pourrait appeler une crise du savoir, à la fois épistémologique et affective. Nous y voyons les conséquences d’un savoir scientifique qui remplace les réponses religieuses traditionnelles mais qui en même temps refait et réoriente les questions elles-mêmes. L’ignorance, au sens neutre du terme, devient le moteur d’une nouvelle poétique et d’un nouveau savoir. Je mettrai Ackermann en dialogue avec Philippe Jaccottet, donc L’ignorant explore le lien entre la poésie, le savoir et la subjectivité en repensant le sujet lyrique comme à la fois pris dans un rapport au monde qui le dépasse et conscient de la capacité de la poésie de refaire le monde en réorientant la réflexion et la rêverie autour du point d’interrogation auquel ces deux poètes nous reconduisent.
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Communication orale
Entre espace rêvé et espace vécu : Francis Catalano à la lumière du métamodernismeMaxime Batiot (University of Waterloo)
Cette communication vise à révéler certaines manifestations la sensibilité contemporaine telle qu’elle s’exprime dans le recueil de poèmes Qu’une lueur des lieux de Francis Catalano (2010), à travers un éclairage théorique innovant : le métamodernisme (Vermeulen et van den Akker 2010). J’examinerai d’abord comment Catalano reconstruit l’expérience de l’espace, symbolisant ainsi l’effondrement des distances modernes. Cette reconstruction offre une perspective unique sur la manière dont l’espace vécu influence et est influencé par la poésie, révélant un dialogue entre l’accompli et l’espace réel, avec l’inaccompli et les espaces rêvés. L’analyse portera ensuite sur le brouillage du sens qui reflète la tension entre les objets des poèmes et les émotions qu’ils procurent. Cette tension met en lumière la manière dont les idées non développées rendent l’œuvre difficile à élucider. Enfin, l’étude se concentrera sur l’inachèvement et la quête de soi dans la poésie de Catalano, explorant comment cette quête représente à la fois un accomplissement et un inaccompli dans la pratique poétique. Cette dimension reflète la dynamique entre les sujets notés dans les marges et ceux activement explorés, et comment cette interaction façonne la pensée libre et inventive du poète. L’inachèvement constaté dans le recueil signifie la difficulté à accéder au sens notée dans la partie précédente, mais aussi, offre alors une grande liberté créatrice au lecteur.
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Communication orale
Du rêve à la rêverie. Lecture des proses poétiques de Philippe JaccottetAntoine Boisclair (Collège Jean-de-Brébeuf)
« Comment passer de certaines notes poétiques au poème ? », se demande Philippe Jaccottet dans son premier carnet de La Semaison (1954-1967). Une part importante de son œuvre invite en effet les lecteurs à voyager du calepin au poème ou, inversement, du poème au calepin : qu’il s’agisse d’une remarque sur un paysage, d’une brève réflexion sur un effet de lumière ou sur le parfum d’une fleur, la frontière entre l’aspect inachevé qu’on associe à l’esthétique du carnet et le caractère définitif qu’on impose – à tort ou à raison – au poème n’est jamais clairement tracée. Aussi les proses poétiques prennent-elles la plupart du temps la forme de flâneries, de rêveries qui, derrière l’apparente légèreté que cet état d’esprit évoque, doivent être prises au sérieux dans la mesure où elles logent au cœur de la démarche du poète. Mais que faut-il entendre par « rêverie » ? Et comment distinguer la « rêverie » du « rêve », qui occupe également une place significative dans cette œuvre ? À partir d’une lecture des carnets de la Semaison et d’autres textes (À travers un verger, Paysages avec figures absentes, notamment), cette communication propose de répondre en partie à ces questions.
Dîner
Critique de la rêverie
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Communication orale
L' Incisuel et la joie : ingrédients pour un art agentif, corrosif et géo-transgressifMarie Julie (Secteur des arts)
À partir d’un corpus d'œuvres littéraires et l’étude de praxis artistiques, nous interrogeons les espaces rêvés dans des modes opératoires littéraires et artistiques qui questionnent les notions de temps et d’espaces comme une poétique des territoires en devenir. Ces opérations créent de nouveaux langages. Dans ce socle commun, à la fois dans les modalités participatives de Wos Agence des hypothèses, les praxis artistiques et philosophiques de Saint-Thomas l’imposteur, les openings activations de Cécile Mainardi, la curaction d’ Alexandra Péron-Diop, l’art sans oeuvres, sans auteurs et sans spectateurs de Stephen Wright, l’art dans l’indifférence de l’art de Jean-Claude Moineau et les modes d’emplois de Jean-Baptiste Farkas qui toutes et tous sculptent un art agentif qui repousse les limites attendus du simulacre et de l’authenticité vers du rêve qui peut virer au cauchemar. C’est le rêve d’un art ni visuel, ni invisuel mais incisuel ! Ces langages deviennent des récits pour des imaginaires d’un réel en attente. Ce corpus littéraire et artistique et ces usages du temps et de l’espace sont matières et matériaux à s’interroger. De quelle manière s’écrivent et se disent les futurs dans leurs partitions ?
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Communication orale
"Au-dessus du tonnerre" : la retraite poétique dans l’_Eurymédon_ de Paul Pellisson-FontanierKathryn Montminy (UWO - University of Western Ontario)
En confinement solitaire à la Bastille pour son rôle dans l’affaire Fouquet, Pellisson-Fontanier – épistolier, légiste, rhéteur à l’antique – s’était tâché de produire une épopée inédite, tant Ancienne que Moderne, qui incarnera sa propre condition d’homme galant à tout prix, comme autant de Kalos kagathos de l’antiquité[1]. L’Eurymédon se fait un récit édifiant sur l’amour, et, tout comme le Discours au Roy avant lui, prend pour préoccupation principale la postérité non seulement de son créateur, mais de l’oppresseur de celui-ci : Louis XIV.
Si Pellisson-Fontanier se réalise en vers au cours de sa longue prison, ce labeur a failli demeurer à jamais dans ses rêves : au moment où il allait brûler le manuscrit, on dit qu’un confident est passé le sauver [2]. Propre ni à son temps, ni à une classification traditionnelle, l’Eurymédon est, on dirait de nos jours, un exercice de postcritique [3] : une réflexion comme a posteriori sur l’héritage autoritaire redoutable de la France, par le biais d’une poétique aussi convenue que subversive.
[1] cf. Alain Viala. La France galante: Essai historique sur une catégorie culturelle, de ses origines jusqu'à la Révolution. Presses Universitaires De France, 2008, p. 63.
[2] Jean-Baptiste Souchay. « Préface ». Œuvres diverses de Monsieur Pellisson. Paris, Didot, T. I, 1735, p. xx.
[3] Cf. Armen Avanessian. « Pour une accélération ». Laurent de Sutter (Dir.), Postcritique, Paris, PUF, 2019, pp. 9‐39.
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Communication orale
La rêverie poétique de spiritualité et de co-naissance chez Paul ClaudelSowou Avougna (Université d’Ottawa)
Claudel, poète et dramaturge français du début du XXe siècle, est connu pour son exploration profonde de la foi et de la transcendance dans ses écrits. Sa poésie, imprégnée de mysticisme et d'une profonde sensibilité spirituelle, offre une méditation sur les thèmes de la vie, de la mort, de l'amour et de la relation entre l'homme et le divin. À travers ses versets, Claudel exprime une vision du monde où la spiritualité est au coeur de l'existence humaine, offrant des moments de réflexion et d'élévation de l'âme. Sa poésie est imprégnée de symboles, invitant le lecteur à une exploration métaphysique et à une introspection profonde.La "co-naissance" chez Claudel se réfère à la notion de connaissance qui émerge de l'union de l'homme avec le divin, où la contemplation et la méditation mènent à une compréhension plus profonde de l'existence et de la vérité universelle. Cette quête de co-naissance est souvent représentée dans ses oeuvres par des moments de révélation et d'illumination où l'âme humaine se connecte à la source de toute création. En somme, l'oeuvre de Paul Claudel se présente comme une exploration poétique de la spiritualité et de la co-naissance, offrant une expérience profonde et enrichissante de la relation entre l'homme et le divin.
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Communication orale
Monsieur Teste dans mes marges -- promenade le matin, près d'onze heuresAnne-Marie Fortier (Université Laval)