Informations générales
Événement : 87e Congrès de l'Acfas
Type : Colloque
Section : Section 400 - Sciences sociales
Description :Dans de nombreuses sociétés démocratiques, les personnes LGBTQI ont obtenu ces dernières décennies des droits inédits : contrat d’union civile, mariage, adoption, accès aux PMA, changement d’identité de genre, etc. Ces nouveaux droits sont à la fois le reflet et le résultat de transformations sociales et familiales qui viennent remettre en question des principes juridiques qu’on avait pourtant cru immuables et dont l’état civil était le garant. Ce dernier, en effet, en tant qu’ensemble d’actes permettant d’identifier administrativement les individus et soumis au principe d’immutabilité, a longtemps constitué un lieu « conservatoire » de l’identité personnelle et de recensement des engagements hétéronormés des individus, que ce soit sur le plan de la conjugalité ou de la parentalité. Dans les sociétés contemporaines, en revanche, les mobilisations des minorités sexuelles et sexuées et les politiques d’égalité ont fait de l’état civil un espace d’interrogation et d’innovation passionnant où se jouent les tensions entre, d’une part, les intérêts de l’État et, d’autre part, les revendications des individus autour de leur identité. L’accès des couples de même sexe au mariage et à la filiation ainsi que la prise en charge relativement récente du changement de sexe ou de genre conduisent les officiers d’état civil à rédiger des actes de mariage entre deux personnes de même sexe, à inscrire un enfant dans la filiation de deux hommes ou de deux femmes ou encore à modifier la mention de sexe sur l’acte de naissance d’une personne trans ou intersexe. Ces changements dans les pratiques renvoient à des changements plus profonds quant à la nature de la mission de l’état civil qui n’a plus seulement pour vocation de fixer l’identité d’une personne une fois pour toutes à des fins policières, mais se voit investi aussi de la mission de reconnaître les personnes telles qu’elles se perçoivent et se définissent.
Des réformes ont déjà été menées dans le domaine du droit de la famille et de la gestion de l’état civil des personnes. D’autres font encore – et vont de nouveau faire – l’objet de discussions. Ce colloque souhaite explorer, de façon comparative et interdisciplinaire (droit, sciences humaines et sociales, études de genre), la façon dont les revendications LGBTQI « troublent » l’état civil et contribuent à transformer ses missions, ainsi que la place et le rôle des savoirs juridiques et de leur partage transnational dans les innovations de l’état civil contemporain.
Autour de ces différentes lignes d’interrogation, ce colloque est l’occasion de faire un bilan des évolutions récentes et de favoriser une discussion véritablement pluridisciplinaire. Les savoirs constitués grâce aux différentes recherches menées sur le sujet sont à la fois une ressource importante et un espace de dialogue primordial pour les chercheurs et chercheuses, les professionnel·le·s de l’état civil, les juristes et les citoyen·ne·s.
Date :- Jerome Courduries (Université Toulouse Jean Jaurès)
- Laurence Herault (Aix-Marseille Université)
- Michelle Giroux (Université d’Ottawa)
Programme
Accueil, par Jérôme Courduriès (Université Toulouse Jean Jaurès), Michelle Giroux (Université d’Ottawa) et Laurence Hérault (Aix-Marseille Université)
Familles LGBTQI+ et état civil au Québec et en France
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Communication orale
Familles LGBTQ : des acquis et des défisMona Greenbaum (Coalition des familles LGBT)
En 2002, à l’Assemblée nationale du Québec, la Loi instituant l’union civile et de nouvelles règles de filiation a été adoptée. Cette loi donnait une égalité juridique aux couples homosexuels et aux familles homoparentales au Québec. Le Québec s’est imposé comme un pionnier dans la reconnaissance des droits des personnes LGBT et des familles homoparentales. Ces avancées ont été le fruit de la concertation de nombreux groupes LGBT et de la société civile. Cependant il y a toujours des individus et des constellations familiales qui ne sont pas encore reconnus par nos lois.
Dans cet atelier Mona Greenbaum, directrice générale de la Coalition des familles LGBT (seul organisme de défense des droits pour les familles LGBT au Québec) regardera l’avancée des droits au Québec, ainsi que les lacunes juridiques toujours présentes pour la communauté trans, les familles pluri- et polyparentales et dans le droit familial en général. Elle parlera aussi de l’omniprésence de l’hétéro- et cis-normativité dans plusieurs secteurs et en particulier dans le domaine de la santé et des services sociales.
Objectifs de la communication
• Faire le point sur la situation des personnes LGBT au Québec;
• Reconnaître nos succès et souligner le chemin qui reste à parcourir;
• Mettre en évidence l’hétéro- et le cis-normativité de nos institutions.
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Communication orale
Analyse comparée franco-québécoise du droit applicable aux couples de parents de même sexe à la lumière de données qualitatives recueillies auprès de familles françaises vivant au QuébecLaurence Brunet (Universté Paris 1 Panthéon Sorbonne), Michelle Giroux (Université d'Ottawa), Martine Gross (Centre national de la recherche scientifique)
Une série d’entretiens a été effectuée auprès d’un petit corpus d’une dizaine de familles lesboparentales françaises ou bi nationales (c’est à dire dont l’un des membres du couple est français), installées au Québec et ayant eu recours à la procréation médicalement assistée pour réaliser leur projet parental.
Ces entretiens ont permis de réaliser les difficultés et enjeux liés pour ces couples au fait de se retrouver entre deux systèmes juridiques. Alors qu’au Québec, les deux membres du couple à l’origine du projet d’enfant sont tout simplement inscrits comme parents à l'acte de naissance, il faudrait, pour qu’il en soit également ainsi à l’état civil français, que le couple soit marié et que le parent non biologique sollicite l’adoption dite de l’enfant de son conjoint. Au delà du simple constat qu’un certain nombre de couples ne veulent pas de cette solution, ces discordances juridiques soulèvent des enjeux importants. Des approches variées sont retenues par ces couples qui vivent différemment la réalité des effets distincts des droits nationaux. Du point de vue des parents eux-mêmes, le fait que l’état civil français ne puisse pas transcrire en l’état les actes de naissance des enfants et leur offre de recourir à l’adoption de l’enfant du conjoint, revient à nier tout à fait le rôle et la place, dans la généalogie de l’enfant, du parent non biologique.
La prise en compte du genre à l’état civil en France et au Québec
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Communication orale
État civil : sexe ou genre ?Benjamin Moron-Puech (Université Panthéon-Assas)
Cette communication s’interroger sur la nature de la mention « masculin », « féminin » ou « autre » inscrite sur les documents d’état civil (lato sensu). Initialement construite comme une mention renvoyant à la biologie de l’individu et ayant une faible importance pratique, cette mention a pris une importance considérable avec l’apparition des titres d’identités au début du XXes. D’où d’importantes difficultés pour deux minorités : les personnes transgenres et intersexuées. Les luttes politiques et juridiques menées par ces minorités ont conduit à partir de la fin du XXes. à une évolution des règles régissant cette mention, au point semble-t-il d’en changer la nature. Dans nombre de pays, en effet, l’on constate que cette mention tend à se détacher de toute référence au sexe de l’individu pour renvoyer à son genre.
Ces interrogations sur la nature de la mention sont essentielles si l’on veut se doter de titres d’identités en mesure de remplir efficacement leur fonction identificatoire, mais aussi si l’on souhaite résoudre les problèmes pratiques que posent aujourd’hui ces mentions dans les normes qui en dépendent. Qu’on songe en particulier aux difficultés juridiques relatives à l’accès au toilettes ou aux modes d’établissement de la filiation pour les personnes transgenres, à la séparation des individus dans les compétition sportives ou dans les organismes représentatifs respectant la parité homme/femme, ou encore à l’usage de pronoms personnels non binaires.
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Communication orale
L’état civil contemporain face aux revendications LGBTQI : savoirs académiques et innovations socialesMichelle Giroux (Université d’Ottawa), Louise Langevin (Université Laval)
Le Québec a ajouté l’identité et l’expression de genre comme motif illicite de discrimination à sa Charte des droits et libertés. Le droit à l’égalité des personnes trans s’interprète avec le droit de chacun et chacune de définir sa propre identité, décision qui relève du droit à la vie privée (article 7 Charte canadienne). Les tribunaux auront à déterminer la portée de ces nouveaux motifs illicites, qui s’inscrivent dans le courant d’une dépathologisation de la transidentité, et à faire la distinction entre les différentes notions juridiques en cause: sexe, genre, identité de genre et expression de genre.
L’autodétermination de l’identité de genre se répercute sur le droit civil. Avec le mariage et l’adoption pour tous, la désexualisation du droit civil se poursuit au registre de l’état civil et en droit de la famille. Même si le sexe/l’identité de genre des personnes devient de moins en moins pertinent en droit de la famille, la binarité sexuée est cependant maintenue. Le droit de la famille devra être révisé pour refléter les nouvelles réalités familiales. Dans le cadre de cet exercice, une contradiction se dessine : les personnes trans veulent exercer leur autonomie décisionnelle, décision qui doit être respectée par l’État. Dans certains cas, elles reproduisent des stéréotypes; dans d’autres, elles rejettent la binarité sexuée. Mais elles veulent que leur décision soit entérinée par l’État dans les documents officiels d’identification.
Du rôle de la médecine dans l’établissement de la mention de sexe à l’état civil : les exemples du Québec et de la France
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Communication orale
Les personnes intersexuées et l’état civil : de la fascination du troisième sexe à la matérialité des interventions médicales non consentiesJanik Bastien Charlebois (UQAM - Université du Québec à Montréal)
En 2013, les grands quotidiens relayaient une décision du gouvernement fédéral allemand de ne pas faire inscrire de sexe à l’état civil dans le cas des bésbés intersexués. Elle fut annoncée comme une reconnaissance d’un « troisième sexe » et interprétée par plusieurs comme une victoire pour les personnes intersexuées. Il en fut de même pour les reconnaissances subséquentes survenues aux États-Unis, en Australie et en France – temporairement – ou pour une nouvelle décision juridique allemande tombée en novembre 2017 et incluant cette fois des personnes adultes intersexuées. Or, ces démarches suscitent des réactions ambivalentes au sein des communautés intersexes, qui ont comme objectif premier de faire cesser les interventions non consenties et non cruciales pour la santé pratiquées par la médecine sur les enfants intersexués. À partir d’un cadre d’analyse butlérien de la matrice hétérosexuelle (2006), de repères définitionnels de l’intersexuation, ainsi que de positions intersexes divergentes, cette présentation examine les conditions de reconnaissance formulées par les décisions juridiques australienne (2014) et allemande (2013, 2017). Elle met en lumière la diversité des déclinaisons possibles de telles décisions et le rôle central que jouent les conceptualisations des sexes et des genres sur lesquelles elles s’appuient. Ces formulations ont le pouvoir d’ébranler ou de conforter les logiques médicales de modifications non consenties des corps.
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Communication orale
Etat civil, médecine et transidentité.Christine Dourlens (Laboratoire Triangle, ENS-Lyon)
En France, jusqu’en novembre 2016, le changement d’état civil pour les personnes trans’ était subordonnée à un certain nombre de conditions médicales. Désormais, le changement d’état civil est déconnecté de l’intervention médicale. C’est à la manière dont les médecins ont pris part à cette progressive déconnexion que notre intervention sera consacrée. Il s’agira de décrire comment les médecins ont pu participer ou, au contraire, ont freiné le mouvement actuel d’autonomisation de la procédure judiciaire vis à vis du médical.
A l’époque où le processus judiciaire et le traitement médical de réassignation étaient encore juridiquement associés, certains médecins ont noué des relations étroites avec le monde judiciaire, pour parer notamment à une situation d’insécurité juridique. S’est alors installée l’évidence d’un continuité entre processus médical de transition et changement d’état-civil. La proximité relationnelle entre équipes médicales et tribunaux a favorisé un partage de leurs références et de leurs catégories de pensée. C’est notamment au travers du partage d’un certain nombre de notions comme celle d’indisponibilité de l’état de la personne ou d’irréversibilité que s’est opéré l’étayage réciproque du travail médical et du travail judiciaire.
Pourtant l’on observe depuis plusieurs années, des signes témoignant d’une prise de distance de médecins vis-à-vis de leur mode d’implication dans la question du changement d’état civil des personnes trans’.
La dimension relationnelle du genre à l’état civil français
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Communication orale
La filiation, le genre et les juges français. Ce que dit l’état civil de l’histoire de la personneJerome Courduries (Université Toulouse Jean Jaurès)
L’état civil en France se caractérise, selon la plupart des juristes, par son immutabilité; il s'agit principe général qui opère comme un objectif à atteindre plutôt qu’une règle qui s’opposerait dans les faits à toute idée de changement. Ces dernières années, j’ai rencontré des juges qui, au sein des tribunaux français de grande instance, statuent sur les demandes de parents gays ou lesbiennes qui souhaitent adopter l’enfant « dit » de leur conjoint·e et sur des demandes de personnes trans’ qui veulent que soit modifiée la mention de leur sexe. La plupart des juges rencontré·es considèrent que nous sommes entrés dans une période où les changements opérés sur l’état civil sont de plus en plus nombreux depuis quelques années. Cette évolution, qui serait relativement récente, pourrait s’expliquer en particulier par l’émergence, dans les sphères juridiques et législatives, d’une attention bienveillante aux souhaits énoncés par les personnes de se voir reconnaître en tant que personne ayant ses propres propriétés et de voir leur acte de naissance et leurs papiers d’identité -qui sont établis à partir de l’acte de naissance- refléter ce qu’elles sont de leur point de vue.
Une des clés d’explication de ces décisions judiciaires pourrait résider dans une prise en compte croissante du fait que l’identité civile d’une personne est le résultat d’un parcours biographique et des relations qu’elles a nouées et qui contribuent à la définir.
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Communication orale
Genre et état civil : de l’identité à la relationLaurence Herault (Aix-Marseille Université)
L’état civil est une institution sociale complexe : généralement compris comme un outil d’identification des individus dans une perspective de police sociale, il constitue cependant aussi une instance d’affiliation des personnes à la société dans une perspective plus anthropologique. A partir des travaux sur la personne relationnelle (M. Strathern, I. Théry), je voudrais montrer que l’état civil est sans doute plus relationnel que nous le pensons et que loin d’être seulement un lieu conservatoire de l’identité personnelle il apparait également comme un moment mémoriel des engagements relationnels. En s’attachant à la dimension scripturaire de l’état civil, et notamment à la manière dont la mention de sexe est rédigée dans les actes, on essaiera de montrer que les « propriétés » des personnes sont éminemment relationnelles.