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Camille Ouellet Dallaire, Université McGill
L’Université McGill, en collaboration avec le World Wild life Fund a développé une classification géophysique des segments de rivières à partir de données géospatiales, souvent disponibles "à portée de souris".

En 2004, l’ichtyologiste Kittipong Jaruthanin aperçut une raie d’eau douce de 5 m de long dans une rivière s’écoulant de l’Himalaya vers la mer de Chine. Une première. Cette géante des rivières, Himantura kittipongi, nommée plus tard en l’honneur du Thailandais, avait jusque-là échappé au regard de tous. Si un tel spécimen n'avait pas été remarqué durant des millénaires, c'est que l’on connaissait bien peu la Région du Grand Mékong (RGM).

Et on la connaît encore bien peu alors même que le développement anthropique, la construction de barrages au premier chef, sous-tend une avancée fulgurante des infrastructures.Pour réaliser ce développement de manière durable, on doit trouver plus d’information sur les écosystèmes en cause. Et vite. L’une des solutions est la classification des segments de rivières à l’aide des systèmes d’information géographique (SIG). En effet, en bougeant à peine de Montréal, cette approche de distribution géophysique peut rendre utiles les masses de données déjà existantes concernant plus de 777 000 km de rivières.

La région

La RGM1 s’étend sur les bassins versants de cinq fleuves majeurs (FIGURE 1) : Irrawaddy, Salween, Chao Phraya, Mékong, fleuve Rouge.  Plus de 225 millions de personnes de six pays vivent sur ce territoire de plus de 22 000 km2.

Le Mékong est le quatrième cours d’eau en termes de longueur, et le dixième pour le débit. Or, il est aussi l’un des rares à s’écouler librement sans heurter des barrages sur son segment principal, un segment primordial pour la migration des espèces diadromes – celles qui vivent en partie en eau douce et en partie en eau salée.

Afin d’évaluer les impacts possibles des barrages sur les écosystèmes, les gouvernements et les ONG locaux ont recours à des évaluations environnementales, lesquelles nécessitent des données écologiques. Toutefois, ce type de données est souvent inexistant pour les régions reculées. C’est tout particulièrement dans ces cas que les classifications de rivières à partir des SIG viennent à la rescousse des scientifiques responsables des évaluations.

Les données venues du ciel...

L’Université McGill, en collaboration avec le World Wild life Fund, section RGM, a développé une classification géophysique des segments de rivières à partir de données géospatiales, souvent disponibles « à portée de souris ». Ces données géophysiques sont dérivées d’images satellitaires et disponibles à une résolution rendant possible l'analyse de questions de nature écologique.

Grâce au développement récent et rapide de la télédétection, une multitude de bases de données géospatiales, créées à l’échelle globale, répertorient des éléments clés du paysage tels que la topographie et les réseaux hydriques. Le présent projet s’appuie plus particulièrement sur la base de données HydroSHEDS2, une suite de bases géospatiales pertinentes pour les recherches hydrologiques.

...qui retombent vers les utilisateurs

L’un des buts de ce projet était de créer une classification des rivières utilisable par les gouvernements, les ONG et les chercheurs. L’équipe de consultants de McGill s’est donc envolée vers Vientiane, la capitale du Laos, pour participer à un séminaire regroupant des spécialistes représentant chacun des pays de la RGM : experts régionaux des forêts, des poissons, des amphibiens, de la géomorphologie et de l’hydrologie. La classification serait réalisée en collaboration avec eux3.

Classer les cours d’eau pour comprendre

Notre classification résulte de la fusion de trois sous-classifications : hydrologique, physioclimatique et géomorphologique. Cette hiérarchie rend possible l'identification de patrons spatiaux souvent masqués par les analyses statistiques utilisant des variables de plusieurs disciplines. On peut ainsi reconnaître chaque caractéristique d’une rivière plus facilement. Par exemple, est-ce que cette rivière se distingue par des inondations saisonnières ou par un climat frais de montagne? par des intrusions d’eau salée lors des marées ou par la présence de multiples îles et chenaux? par une composition chimique liée à un écoulement en terrain karstique ou par un débit gargantuesque?

Ces sous-classifications aident les gouvernements locaux ou les ONG à choisir les combinaisons convenant à leurs besoins. Par exemple, si une organisation s'occupe de gestion des sédiments dans un bassin, elle ne consultera que les sous-classifications hydrologique et géomorphologique pour repérer les attributs recherchés : débit, pente, présence de plaines inondable, etc.

Une autre première

J'ai utilisé ce cadre conceptuel dans ma thèse de maîtrise pour établir une classification globale, la première de ce genre à haute résolution spatiale. Je m'en servirai aussi pour les rivières du Canada, en collaboration avec le  Réseau canadien du CRSNG sur les services des écosystèmes aquatiques4, lors de mon doctorat. Cette application de GloRiC aura pour but d’identifier les «  services environnementaux » fournis aux Canadiens par leurs 3 millions de kilomètres de rivières, une distance équivalente à quatre aller-retour entre la Terre et la Lune.

Classer pour gérer

Les classifications de rivières peuvent s’avérer un outil puissant au service des chercheurs comme des gestionnaires des ressources d’eau douce. D’un côté, elles qualifient chaque rivière, et de l’autre, elles offrent une vision globale d’une région. Ainsi, avec la technologie numérique, on a pu commencer l’étude des bassins versants à l’échelle macro et la compilation de bases de données géospatiales assez précises pour être d’intérêt écologique.

Partout sur la planète, les prochaines années se révéleront critiques pour plusieurs rivières qui seront possiblement endiguées pour l’hydro-électricité et l’irrigation. Toutefois, les scientifiques et les gestionnaires seront de mieux en mieux outillés.

 

  • 1LEHNER, B., et C.O. DALLAIRE (2013). River reach classification for the Greater Mekong region. Report for WWF Greater Mekong, Vientiane (Lao PDR).
  • 2LEHNER, B., K. VERDIN et A. JARVIS (2008). « New global hydrography derived from space borne elevation data », Eos, Transactions, 89(10), p. 93-94.
  • 3DALLAIRE, C.O. (2012). Development and evaluation of a global river classification at high spatial resolution, M.Sc. Thesis, McGill University, Montreal, Canada.
  • 4Pour plus d’information sur les projets du réseau, visitez www.cnaes.ca

  • Camille Ouellet Dallaire
    Université McGill

    Camille Ouellet Dallaire est étudiante au doctorat sous la supervision de Bernhard Lehner à l’Université McGill. Géographe de formation (B. Sc. Laval, M.Sc. McGill), elle se spécialise dans les systèmes d’information géographique. Sa passion pour son métier se reflète dans son intérêt pour les questions touchant l’interaction entre nos sociétés et les rivières, tels les services environnementaux et le développement durable.

    Site Web : http://wp.geog.mcgill.ca/hydrolab/people/camille-ouellet-dallaire/

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