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Guy Drouin, Université d'Ottawa
Les animaux et les plantes que nous avons domestiqués possédaient au départ les caractéristiques nécessaires à cette forme de soumission. Puis, sous notre gardiennage, ils ont poursuivi leur évolution. Aujourd’hui, plusieurs seraient incapables de vivre sans nous!

La domestication des animaux et des plantes a débuté il y a environ 10 000 ans au Proche et Moyen-Orient. La seule exception serait les loups, dont la domestication, selon l’horloge moléculaire, aurait commencé il y a quelque 100 000 ans parce qu’ils se révélèrent alors utiles à la chasse et à la protection contre des étrangers hostiles. 

Parmi les mammifères herbivores ou omnivores de plus de 45 kg, nous n’avons domestiqué que 14 des 148 espèces répertoriées jusqu’ici. Seule une centaine des dizaines de milliers de plantes existantes ont été domestiquées et 80 % de la production végétale de masse se résume à 12 espèces.  

Les qualités d’un « domestique »

Pourquoi le cheval, mais pas le zèbre? Pourquoi la chèvre, mais pas la chèvre de montagne? Pour des raisons d’utilité et de faisabilité. Les animaux, pour être  domesticables, doivent servir à quelque chose, fournir quelque chose : de la viande, du lait, de l’engrais, de la laine, ou encore, de la force musculaire. Ils doivent être dociles (oublions les zèbres), faciles à nourrir (les pandas ne mangent que du bambou), croître rapidement (les éléphants mâles commencent à se reproduire à 30 ans), se reproduire facilement en captivité (le taux de reproduction des guépards dans les zoos est quasi nul), accepter de vivre en troupeaux (les orignaux n'en font qu'à leur grosse tête), d’être dominés et de suivre un leader (un tigre n’est pas un chien) ou de vivre dans des enclos (les chèvres de montagne sauteraient toutes les clôtures). 

Très peu d’animaux satisfont ces exigences. Chevaux, vaches, moutons, chèvres, lamas et cochons sont les six espèces de mammifères répondant le mieux à tous ces critères. Par conséquent, elles ont toutes été domestiquées à plusieurs reprises, dans plusieurs lieux et par diverses populations. Par exemple, les vaches ont été domestiquées à deux reprises à partir des aurochs (le dernier auroch sauvage est mort en 1627 en Pologne) pour donner Bos taurus en Occident et Bos indicus (les vaches sacrées avec une bosse sur la nuque) en Inde. L’espèce occidentale s’est par la suite divisée en trois groupes : les vaches africaines, celles du Proche-Orient et celles de l’Europe –  la variété européenne ayant son origine au Proche-Orient. 

Contribuer à l’évolution

La domestication transforme par sélection artificielle l’évolution des animaux en haussant leur production (de viande ou de lait), en diminuant leur agressivité, leur taille, en modifiant leur couleur, en augmentant leur résistance aux maladies, en améliorant la qualité de la laine produite, etc. 

Les cochons domestiques (Sus scrofa domesticus) ont été « disciplinés » à plusieurs reprises à partir du sanglier (Sus scrofa) en Europe, au Proche-Orient et en Asie. Chaque fois, on sélectionnait les individus pour optimiser la quantité et la qualité de leur viande, leur comportement et leur apparence. Par exemple, la sélection pour des versions mutantes du gène NR6A1 a permis d’augmenter le nombre de vertèbres de 19 chez les sangliers à 21-23 chez les cochons européens, et donc d'obtenir un animal de plus grande taille. De plus, les animaux domestiques sont souvent moins intelligents que leurs ancêtres sauvages, ont des sens moins aiguisés et la forme de leur crâne est souvent sélectionnée pour conserver ses caractères juvéniles chez les adultes (pour être plus « jolie »). 

Les chats, ces indépendants, sont devenus domestiques par leur propre volonté.

Les chats, ces indépendants, ne seraient pas devenus domestiques par sélection « artificielle ». Selon les deux études de Carlos A. Driscoll (voir Sources, ci-après), la domestication a eu lieu au Proche-Orient. Les chats sauvages (Felis silvestris silvestris), attirés par les rongeurs infestant les greniers à blé, auraient été tolérés par les agriculteurs, pour devenir par la suite moins agressifs. Ceci expliquerait pourquoi nos Felis silvestris catus, généralement solitaires, n'obéissent pas et sont souvent plus attachés à leur territoire qu’à leurs « maîtres ». De plus, si les agriculteurs avaient voulu domestiquer des animaux pour éliminer les rongeurs de leurs réserves de nourriture, ils auraient probablement choisi des furets ou des chiens terriers, et non pas des chats sauvages qui n'en font qu'à leur tête.

Côté végétal

Les plantes domesticables avaient aussi des qualités particulières. Elles produisaient des graines, fruits ou tubercules de bonne taille. D’un temps de génération court (annuelles), elles étaient faciles à récolter et à emmagasiner.

Du côté génétique, elles s’autofécondaient et leurs caractéristiques d’intérêt étaient sous le contrôle d’un seul gène. Quand les grains sont mûrs, ils tombent au sol de façon à assurer la prochaine génération. Pour les agriculteurs, cela les rend impossibles à récolter. On a donc sélectionné des plantes ayant des mutations qui diminuaient la perte des grains des épis. Cette sélection fut rapidement efficace parce que chez le blé et l’orge, ce caractère est contrôlé par un petit nombre de gènes; et comme ces plantes s’autofécondent, cela permet de sélectionner des plants n’ayant que des gènes mutants. Par contre, ce processus a quand même pris environ 3 000 ans, débutant il y a 11 500, environ. Pour les plantes, ces mutations sont létales, car leurs graines sont peu ou pas dispersées. Donc, pas de survie sans l’action des agriculteurs. 

L'huile de canola, les amandes, les fèves de Lima, les melons d'eau, les pommes de terre, les aubergines et les choux sont toxiques à l'état sauvage.

Les autres caractéristiques sélectionnées ont mené à des glumes (enveloppe du grain) faciles à déloger, à une augmentation de la grosseur des graines/fruits/tubercules, à une diminution de la toxicité – l’huile de canola, les amandes, les fèves de Lima, les melons d’eau, les pommes de terre, les aubergines et les choux sont toxiques à l’état sauvage –, à une augmentation du contenu en huile (canola, olive, tournesol), à un accroissement de la quantité de fibres (coton, fibres de graines; chanvre, fibres de tiges) et à une diminution de la concentration des inhibiteurs de germination (étant donné les aléas du climat, les graines d’une plante sauvage ne germent jamais toutes la même année). 

Cette sélection a parfois eu des effets irréversibles. Des études récentes ont permis de déterminer que le maïs provenait de la téosinte de la région de la rivière Balsas (au Mexique), qu’il a divergé de la téosinte il y a 9 200 ans et que des mutations dans seulement cinq gènes seraient nécessaires pour transformer la téosinte (à gauche dans la photographie) en maïs (à droite). Ici encore, le maïs moderne n’est pas viable sans l’action des agriculteurs parce que non seulement ses grains restent attachées à l’épi, mais elles sont prisonnières des feuilles qui couvrent les épis. Oui, on a créé un monstre!

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Sources :

  • 1. DIAMOND, J. (2002). « Evolution, consequences and future of plant and animal domestication », Nature 418: 700-707.
  • 2. DRISCOLL et coll. (2007). « The Near Eastern Origin of Cat Domestication », Science 317: 519-523.
  • 3. DRISCOLL et coll. (2009). « From wild animals to domestic pets, an evolutionary view of domestication », PNAS 106: 9971-9978.
  • 4. MIKAWA et coll. (2007). « Fine mapping of a swine quantitative trait locus for number of vertebrae and analysis of an orphan nuclear receptor, germ cell nuclear factor (NR6A1) », Genome Research 17: 586-593.

  • Guy Drouin
    Université d'Ottawa

    Guy Drouin est professeur titulaire à l’Université d’Ottawa depuis 1990. Il détient un doctorat en génétique de l’Université de Cambridge, et il a poursuivi ses études postdoctorales à l’Université Harvard. Ses recherches portent sur l’évolution des gènes et des génomes. Il enseigne la génétique, l’évolution moléculaire et la génétique évolutive des humains. Il s’intéresse aussi à l’enseignement des sciences en milieu minoritaire.

     

    Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n'engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

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