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Arianna Merritt, Paniz Tavakoli, Catherine Guo et Cindy Tao, Agence de la santé publique du Canada (ASPC)

Quels liens entre les sciences comportementales et la didactique des sciences et de la technologie? Beaucoup plus qu'on ne le croit, et c'est ce que fait ressortir cet article où les auteures réfléchissent aux manières de transmettre des savoirs développés en santé publique. Elles mentionnent, par exemple, qu’une des visées de l'Agence de la santé publique du Canada est de « traduire » des savoirs scientifiques au profit du public et de la décision politique. La didactique étudie aussi la « traduction » des savoirs scientifiques, pour sa part en savoirs à enseigner, en savoirs enseignés et en savoirs appris.  Bref, la bonne communication des savoirs traverse ces deux champs disciplinaires... et le présent entretien.

Schéma sur la santé publique
L’Agence de la santé publique du Canada reconnaît que les sciences comportementales soutiennent son mandat de promotion et de protection de la santé des personnes au Canada.

Les sciences comportementales, par leur approche multidisciplinaire, combinent des données probantes et des méthodes scientifiques issues de la psychologie, des neurosciences et de diverses sciences sociales. Elles peuvent tout autant contribuer à la compréhension du traitement de l'information par les individus et à l'identification des facteurs entravant certains comportements souhaités qu'à éclairage de la prise de décision. Leur apport est tout particulièrement apprécié quand il est question d’améliorer l’état de santé des personnes.

Magazine de l’Acfas (MA):  Vous êtes une équipe de santé publique spécialisée dans les sciences comportementales. Dans votre travail, vous collaborez avec des spécialistes en l’éducation ou en communication scientifique. Pouvez-vous nous en parler?

Agence de la santé publique du Canada (ASPC) : La compréhension du comportement humain, ainsi que les obstacles et les facilitateurs qui contribuent à modifier ce comportement, sont au cœur de notre mandat qui vise à promouvoir et à protéger la santé des Canadiennes et des Canadiens.

Les sciences comportementales, par leur approche multidisciplinaire, combinent des données probantes et des méthodes scientifiques issues de la psychologie, des neurosciences et de diverses sciences sociales. Elles peuvent tout autant contribuer à la compréhension du traitement de l'information par les individus, à l'identification des facteurs entravant certains comportements souhaités, qu'à éclairage de la prise de décision. Leur apport est tout particulièrement apprécié quand il est question d’améliorer l’état de santé des personnes.

Cependant, pour bien communiquer tous ces savoirs d'autres experts, il est porteur d'y joindre des spécialistes en éducation et en communication scientifique.

Le Bureau des sciences comportementales (BSC) de l’ASPC, créé en 2021, rassemble l’expertise de chercheurs quantitatifs et qualitatifs, ainsi que des personnes ayant de l’expérience en matière de communication scientifique, de mobilisation des connaissances, de sciences de l’éducation et de mise en récit. Nous recrutons également des chercheurs dans le cadre du Programme de Fellowship de recherche en sciences du comportement d’Impact Canada qui travaillent sur des projets de recherche en santé publique. Grâce à la collaboration de toutes ces personnes, nous pouvons fournir des conseils rapides, ainsi que des données détaillées, qui contribueront aux politiques et aux programmes visant à améliorer les résultats en matière de santé publique.

Des spécialistes de la communication scientifique sont présents tout au long du processus de recherche pour contribuer à « traduire » la science en politiques. Ces spécialistes collaborent de près avec l’équipe de recherche à la présentation des résultats scientifiques. Leur travail facilite donc le partage de l’information basée sur des données probantes relatives aux comportements, et ce, tant auprès des décideurs que du public.

Notre équipe se concentre ainsi sur la narration afin de présenter les résultats clés dans des récits cohérents et percutants, qui seront partagés aux publics concernés en temps opportun. Toute cette étroite collaboration permet de servir un objectif commun : comprendre le comportement humain.

MA :  Quels liens établissez-vous entre votre travail, d’une part, et l’éducation ou la communication scientifique, d’autre part?

ASPC : Le partage efficace de la recherche, en temps opportun et de manière transparente, contribue à instaurer la confiance et à soutenir l’engagement du gouvernement du Canada à l’égard de la science ouverte. Cependant, les conclusions complexes tirées des données sont souvent difficiles à décrire pour un public non spécialisé. Par conséquent, l’application des principes issus des sciences comportementales peut jouer un rôle très important dans la communication des savoirs scientifiques à un large éventail de personnes.

Les spécialistes des sciences comportementales prennent en compte des facteurs comme les biais cognitifs; ces schémas de pensée trompeurs et faussement logiques qui se produisent lorsque nous traitons l’information. Par exemple, nous croyons plus facilement les informations erronées lorsqu’elles sont répétées plusieurs fois, ce qu'on appelle l'effet de vérité illusoire. Nous pouvons être sceptiques à l’égard d’une fausse affirmation la première fois, mais plus nous y sommes exposés, plus elle semble vraie1. Les sciences comportementales aident à surmonter ce type de biais, notamment par l’éducation. La recherche a démontré que l’adoption d’une vision plus large d’un sujet ainsi que la recherche active d’informations avec des références à l’appui sont des stratégies bénéfiques pour lutter, par exemple, contre l’effet de vérité illusoire2. À cette fin, l’éducation scientifique en matière de santé publique donne des ressources aux gens et contribue à la lutte contre la désinformation.

Pendant la pandémie de COVID-19, les données de recherche évoluaient rapidement, souvent au jour le jour. Nous avons donc été témoins en direct de la montée de la désinformation en réponse aux recommandations communiquées par le gouvernement. Nous avons alors réalisé que la manière de communiquer était tout aussi importante que le message transmis. Nous avons alors formulé des recommandations fondées sur les sciences comportementales afin de transmettre plus efficacement nos messages.

Le BSC recueille et génère des données probantes sur la manière dont la communication en matière de santé publique peut être encadrée et mise en œuvre pour améliorer l’adoption et le maintien de comportements favorables au bien-être. L’un des moyens est de mener des projets de recherche approfondis qui testent de manière empirique les meilleures techniques et les meilleurs canaux de diffusion d’information. Les résultats de ces projets éclaireront les futures stratégies de communication en matière de santé publique de l’ASPC.

Pendant la pandémie de COVID-19, les données de recherche évoluaient rapidement, souvent au jour le jour. Nous avons donc été témoins en direct de la montée de la désinformation en réponse aux recommandations communiquées par le gouvernement. Nous avons alors réalisé que la manière de communiquer était tout aussi importante que le message transmis. Nous avons alors formulé des recommandations fondées sur les sciences comportementales afin de transmettre plus efficacement nos messages.

MA :  Comment avez-vous utilisé les données scientifiques pour prendre des décisions pendant la pandémie, par exemple, quant au choix des mesures à adopter?

ASPC : Au cours de la pandémie de COVID-19, des données ont démontré le rôle des comportements individuels et collectifs des Canadiens dans la réduction de la propagation des infections virales.

Les mesures de protection individuelle, dont le masque, mises en œuvre pour ralentir la transmission de la maladie, ont amené les gens à adopter de nouvelles habitudes. Aussi, on leur a demandé d’augmenter la fréquence de comportements connus (p. ex., se laver et se désinfecter les mains), et de prendre de nouvelles mesures (p. ex., porter un masque, prendre des distances physiques, recevoir un nouveau vaccin).

Des épidémiologistes et des experts ont recueilli des données sur la propagation de la maladie, la vaccination et l’efficacité du port du masque, afin d’élaborer des recommandations fondées sur des données probantes. Les sciences comportementales ont ensuite contribué :

  • à éclairer ce qui faisait obstacle à l’adoption de ces recommandations;
  • à établir les relations entre les perceptions, les attitudes et les comportements;
  • et, enfin, à proposer de nouvelles approches de promotion menant à de meilleurs résultats en matière de santé.

Au cours de ce processus, il est devenu évident que les sciences comportementales peuvent jouer un rôle clé dans les réponses aux situations d’urgence de santé publique. Notamment, pour déterminer les moyens les plus efficaces de rendre les informations compréhensibles et utiles pour des personnes issues de milieux sociodémographiques différents.

Ce processus comprend deux étapes :

  1. Déterminer précisément les comportements en cause et le contexte dans lequel ils se produisent;
  2. Veiller à ce que les personnes aient la capacité, la possibilité et la motivation de mettre en œuvre les comportements.

Si l’un ou l’autre de ces deux éléments fait défaut, une personne peut être moins encline à adopter un comportement3. Par exemple, si une personne pense que les masques ne sont pas efficaces pour réduire la transmission de la COVID-19, elle sera moins motivée d’en porter un.

Depuis le début de la pandémie, les spécialistes en sciences comportementales appliquées ont produit beaucoup de données sur les capacités, les possibilités et les motivations des personnes quant à la COVID-19. Ce savoir est utilisé pour développer des ressources et des messages de santé publique qui permettent de contrer ce qui pourrait nuire à l’action (p. ex., la perception d'une efficacité faible des masques); le rendement peut ensuite être testé de manière empirique. Par exemple, certains messages soulignent l’importance de notre responsabilité collective dans la protection des personnes vulnérables.

MA : Et que dit la recherche quant aux manières d'expliquer les savoirs validés aux divers publics?

ASPC : D’une manière générale, les travaux sur les sciences comportementales soulignent qu'une communication efficace doit :

  1. Être diffusée largement et rapidement afin de rejoindre le public;
  2. Utiliser des sources et des réseaux de confiance pour diffuser des messages personnalisés;
  3. Faire participer les publics cibles à la conception des messages à communiquer;
  4. Mettre l’accent sur l’efficacité collective;
  5. Utiliser des messages clairs, concis, cohérents et fréquemment répétés;
  6. Veiller à ce que tous les groupes de populations soient touchés par des messages personnalisés;
  7. Faire preuve de transparence en ce qui concerne l’incertitude et l’échec.

Tout en gardant ces principes à l’esprit, lors de la pandémie de COVID-19, l’approche des sciences comportementales a consisté à faire usage des preuves scientifiques existantes et des méthodes établies de recherche empirique pour concevoir et tester des stratégies de communication efficace des informations et des conseils pertinents. Par exemple, les obstacles au port du masque (se conformer aux normes sociales, oublier d’avoir des masques à portée de main) ont été abordés par l’entremise de diverses stratégies de communication afin de déterminer celles qui favoriseraient la prise de décision en matière de port du masque.

La recherche en sciences comportementales se soucie aussi d’équité. Les défis particuliers auxquels sont confrontées les populations sous-représentées démographiquement ont donc été pris en compte. Des informations ont été fournies dans les langues des communautés, et dans le respect des sensibilités culturelles. Les messages et les interventions sanitaires élaborés en collaboration avec les membres des communautés pour leur communauté sont particulièrement susceptibles d’avoir un meilleur impact sur le changement de comportement.

Aussi, on a pris en compte cet outil puissant et persuasif qu'est une bonne narration ou mise en récit. C'est un moyen de communication efficace des informations sensibles ou complexes, tout en rendant les conclusions de recherche plus claires et plus accessibles aux décideurs et au grand public. L’intégration des données de recherche dans une narration, ou un storytelling, permet de mettre les données en contexte, ce qui rend les résultats plus facilement mémorisables.

Aussi, on a pris en compte cet outil puissant et persuasif qu'est une bonne narration ou mise en récit. C'est un moyen de communication efficace des informations sensibles ou complexes, tout en rendant les conclusions de recherche plus claires et plus accessibles aux décideurs et au grand public. L’intégration des données de recherche dans une narration, ou un storytelling, permet de mettre les données en contexte, ce qui rend les résultats plus facilement mémorisables.

MA : Quelles difficultés avez-vous rencontrées?

ASPC : La manière de communiquer l’importance des mesures de protection individuelle a radicalement changé au cours de la pandémie. En raison de l’évolution rapide du contexte, les gens devaient adapter régulièrement leurs comportements, et plusieurs étaient probablement confrontés à de nombreux obstacles qui ne facilitaient pas cette adaptation (p. ex., des connaissances limitées du comportement adéquat, un manque d’occasions de le mettre en œuvre). Ce contexte changeant a obligé le BSC, en tant que composant de l’ASPC et du gouvernement du Canada, à travailler très rapidement pour collecter des données et fournir des informations fondées sur des données probantes afin d’informer les décideurs en temps opportun.

Pour ce faire, l’ASPC s’est associée à l’Unité d’impact et d’innovation du Bureau du Conseil privé afin de poursuivre l’Étude de surveillance instantanée COVID-19 (SICO Canada). SICO a cherché à intégrer des idées et des recommandations comportementales fondées sur des savoirs validés, dans les documents de communication publique; soit dans les documents relatifs aux considérations relatives aux politiques et aux programmes, et dans la prise de décision à l’échelle du gouvernement afin de réduire la propagation de la COVID-19 au Canada. Cette étude longitudinale a permis d’évaluer les connaissances du public, les perceptions du risque et les comportements liés à la COVID-19 afin d’éclairer la réponse à la pandémie.

MA :  Hormis la pandémie, quels autres thèmes de votre travail impliquent des activités liées à l’information ou à la communication scientifique?

ASPC : Alors que les principaux enseignements de la pandémie de COVID-19 continuent d’être partagés, le BSC étend ses efforts et ses travaux à d’autres domaines de la santé publique, notamment la santé mentale et le bien-être, la résistance aux antimicrobiens et l’impact du changement climatique. En outre, nos travaux s’appuient sur des méthodes mixtes issues des sciences comportementales, soit sur la manière d’appliquer des recommandations fondées sur des données probantes en vue d’améliorer la communication en matière de santé publique. Pensons ici à la lutte contre la désinformation et l’information erronée, et à la communication sur les risques dans un contexte d’incertitude.

La nature imprévisible de certaines urgences de santé publique nécessite des efforts de prévention et de préparation qui promeuvent et protègent la santé et le bien-être de la population partout au Canada. Le renforcement de la confiance du public dans la science ainsi que la lutte à la désinformation en matière de santé sont donc devenus des priorités pour le gouvernement du Canada. La communication sur les risques s’applique à un éventail de sujets allant des dangers pour la santé publique (p. ex., la consommation de substances, les faibles taux de vaccination pour les maladies transmissibles) aux urgences de santé publique (p. ex., la crise des opioïdes, la pandémie de COVID-19). Aussi, cette communication vise à fournir des informations opportunes aux divers publics afin qu'ils puissent contribuer à réduire les risques qui les concernent. Le BSC travaille donc activement à l’étude des meilleures pratiques pour fournir à la population canadienne des informations fondées sur des données probantes qui soient adaptées, fiables, claires et transparentes.

Références
  • Brashier, N. M., Eliseev, E. D., et Marsh, E. J. (2020). An initial accuracy focus prevents illusory truth. Cognition, 194, 104054.
  • Michie, S., Van Stralen, M. M. et West, R. (2011). The behaviour change wheel: a new method for characterising and designing behaviour change interventions. Implementation science, 6(1), 1-12.
  • Pennycook, G., Cannon, T. D., et Rand, D. G. (2018). Prior exposure increases perceived accuracy of fake news. Journal of Experimental Psychology: General, 147(12), 1865–1880. https://doi.org/10.1037/xge0000465
  • 1Pennycook et coll., 2018
  • 2Brashier et coll., 2020
  • 3Michie et coll., 2011

  • Arianna Merritt, Paniz Tavakoli, Catherine Guo et Cindy Tao
    Agence de la santé publique du Canada (ASPC)

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