Sur cette image, un jeune omble de fontaine est immobile dans le creux d'une ondulation, à l'intérieur d'un ponceau. Au-dessus, l'eau s'écoule rapidement, mais, là où il se trouve, c’est le calme. Une caméra captait les déplacements d’ombles dans le ponceau lorsque j'ai remarqué ce petit poisson prenant une pause. Spontanément, j’ai immergé mon appareil photo pour saisir cette scène sur le vif.
L’histoire
Le mouvement est au cœur de la vie d’un poisson. Celui-ci se déplace continuellement entre différentes parcelles d’habitat afin de combler ses besoins d’alimentation, de croissance et de reproduction. Et si la vie se fait plus difficile (température de l’eau élevée ou bas niveau d’eau pour cause de sécheresse), il lui faut encore se déplacer pour trouver cette fois des zones de refuge. Certaines espèces, comme celles appartenant à la famille des salmonidés, peuvent parcourir des distances allant de quelques centaines de mètres à plusieurs centaines de kilomètres pour retourner à leur lieu de reproduction, remontant les rivières afin d’accéder à de plus petits cours d’eau en amont.
Sur ce chemin déjà parsemé de dangers se dressent des structures d’origine humaine omniprésentes : les routes. Ces dernières enjambent les cours d’eau grâce aux ponts et aux ponceaux. Les ponts ne briment pas la circulation des poissons mais les milliers de ponceaux, si. Ces grands tuyaux de ciment ou de tôle sont un obstacle sérieux au déplacement du peuple à nageoires.
Lorsque l’eau s’engouffre dans le ponceau, la surface de l’écoulement se réduit, car le ponceau est moins large que le lit naturel du cours d’eau. De plus, la pente du ponceau est souvent plus forte que celle du cours d’eau. Ces deux facteurs accélèrent la vitesse de l’eau. Ce phénomène est amplifié par les parois lisses du ponceau et l’absence de roches, de gravier ou de végétation. Dans certains cas, de l’érosion se produit en aval du ponceau, créant une chute. À l’épreuve de nage s’ajoute celle du saut en hauteur…
Lorsqu'apparaît un ponceau, certains poissons font demi-tour tandis que d’autres tentent la traversée à contre-courant. Cela dépend de leur motivation, mais aussi de leur tempérament, certains étant plus explorateurs et mobiles que d’autres. Les salmonidés sont de bons nageurs, mais ils peuvent s’épuiser si la vitesse de l’eau excède leurs capacités. Cela arrive fréquemment lorsque les ponceaux sont très longs. Ces structures constituent un important facteur de fragmentation des habitats aquatiques, divisant les cours d’eau en parcelles, brisant l’interconnexion. La question est d’autant plus préoccupante que ces ponceaux se comptent par dizaines de milliers sur notre territoire. Les ponts n’entravent pas le mouvement des poissons, mais ils sont plus complexes et plus dispendieux. Dans le cas de petits ruisseaux, les ponceaux sont le type de traverse privilégié.
La recherche
Il demeure ardu de prédire avec précision si un poisson donné peut franchir un ponceau. Pour étudier la question, nous avons marqué des ombles de fontaine avec de petites puces électroniques appelées « transpondeurs passifs ». Des antennes ont été installées dans des ponceaux, nous permettant d’enregistrer les tentatives, les passages réussis et même la vitesse de nage des ombles. Une caméra a par ailleurs filmé les déplacements de certains d'entre afin de identifier quelles zones de l’aire d’écoulement sont empruntées. Ces données vont permettre de mieux comprendre la façon dont les ombles abordent cette traversée et d’optimiser la conception des ponceaux afin de les adapter au plus près de leurs mouvements.
Bien que les données issues de ces travaux ne soient pas encore pleinement analysées, nous avons eu la surprise de voir certains juvéniles contrer avec succès des vitesses d’écoulement élevées. Pour compenser leur capacité de nage limitée, ils utiliseraient des zones de repos bien adaptées à leur petite taille : les creux des ondulations des ponceaux de métal, les zones de contre-courant provoquées par la jonction entre deux sections du ponceau ou encore, les abords des parois du tuyau. L’aptitude du poisson à en tirer profit influerait sur son succès de passage.
L’utilisation
Des images comme celles-ci nous permettent d’avoir un regard « au niveau » du poisson, de mieux visualiser, en temps réel, ce qui se passe à l’intérieur du ponceau. Combinées aux techniques de télémétrie, les images ajoutent à la compréhension des phénomènes étudiés.
La vidéo
Ce que vous allez voir ici vous semblera peut-être très anodin, mais observez bien... Remarquez d'abord mon geste, j'y dépose un jeune poisson dans les eaux du ponceau. C'est parti, le nageur doit remonter le courant, et il doit être très motivé. Ouf, réussi! Malin, il remonte en longeant la paroi là où les eaux sont moins puissantes.
De telles images sont pour nous précieuses et relativement rares. Elles permettent d'analyser, par un procédé de traitement de l'image, les positions latérales et verticales du poisson dans l'aire d'écoulement (à gauche, à droite, plutôt au fond ou sous la surface). On peut ainsi déterminer plus précisément les vitesses d'écoulement que le poisson doit affronter en traversant le ponceau.
- Elsa Goerig
INRS - Centre Eau Terre Environnement
Elsa Goerig a obtenu un baccalauréat en géographie de l’Université Laval. Elle s’est intéressée à la question de la fragmentation des habitats aquatiques lors d’un stage à l’Institut national de la recherche scientifique (INRS). Puis, elle a poursuivi ses études au Centre Eau, Terre et Environnement de l’INRS, sous la supervision du professeur Normand Bergeron. Les travaux de recherche de son doctorat, effectués en partenariat avec le ministère des Transports et le ministère de la Faune du Québec, visent à approfondir les connaissances sur la capacité de nage de l’omble de fontaine ainsi que sur son aptitude à franchir les ponceaux sous différentes conditions hydrauliques et environnementales. Le résultats permettront de mieux évaluer la perméabilité des infrastructures routières et d’améliorer les normes de conception et d’installation des ponceaux en lien avec le libre passage du poisson. En d’autres mots, de mieux concilier le développement du réseau routier avec la préservation de l’intégrité des écosystèmes aquatiques.
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