Nous avons développé un outil d’imagerie en temps réel permettant de suivre la télomérase dans des cellules vivantes, en continu, pendant tout le cycle cellulaire. Ces images en mouvement sont une première.
Les acteurs : les télomères
À la fin des années 1930, le généticien Herman J. Muller1 observe des structures bien particulières tout au bout des chromosomes de ses drosophiles. Il les nomme télomères, du grec « telos » signifiant fin, et « meros », une partie.
Dès 1939, Barbara McClintock2 confirme la théorie de Muller en démontrant que ces parties terminales sont stables et exemptes de fusions lorsque les chromosomes subissent des cassures double brin. La recherche sur les télomères et sur leurs rôles dans la protection des chromosomes est désormais lancée.
Aujourd’hui, les télomères sont considérés comme des structures nucléoprotéiques qui forment un capuchon protecteur essentiel au maintien de l’intégrité des chromosomes eucaryotes. Des études moléculaires3 ont démontré que leur ADN est composé de courtes séquences répétitives conservées chez tous les eucaryotes et liées par différentes protéines. Chaque duplication de chromosome entraîne la perte de séquences télomériques aux extrémités. Cette perte, au fil des générations, mène à une diminution des fonctions des télomères et à une instabilité génomique. S’il y a perte complète de ces fonctions, la mort cellulaire s’ensuit. C’est ainsi que la plupart des cellules somatiques humaines ont une durée de vie limitée, ce qui a pour effet de restreindre la longévité de nos organes. Le vieillissement serait donc inévitable!
L'actrice : la télomérase
Une enzyme particulière découverte par Carol W. Greider et Elizabeth H. Blackburn en 1985, nommée télomérase, permet de synthétiser ces séquences télomériques4. C’est une enzyme complexe qui ajoute des séquences télomériques via une activité de transcriptase inverse. Elle a donc la capacité d’allonger les télomères devenus extrêmement courts et qui sont en danger de perte de fonction. Ainsi, la télomérase permet, par le fait même, le maintien du capuchon télomérique. Curieusement, chez l’humain, la télomérase est inactive dans la plupart des cellules somatiques normales, mais, en revanche, elle est présente et activée dans les cellules germinales et dans la majorité des cellules cancéreuses, leur procurant ainsi un pouvoir réplicatif infini.
Le scénario : la télomérase "manipule" les télomères
Afin de bien orchestrer la réplication de l’ADN et l’activité de la télomérase, il existe des mécanismes biochimiques régulant l’élongation des télomères. Ainsi, les cellules en division, dont l’ADN est en réplication, « dé-protègent » l’extrémité de leurs chromosomes pour un instant afin de permettre à toute la machinerie de dupliquer l’ADN jusqu’aux télomères. Ensuite, la télomérase est recrutée et s’occupe de la réplication complète des extrémités. Une fois cette activité terminée, le capuchon télomérique est reformé et les extrémités chromosomiques sont protégées à nouveau.
Les mécanismes expliquant tout ce processus reposent sur des analyses biochimiques et génétiques, mais ne sont en fait que des « clichés » pris à différents moments du cycle cellulaire. Il n’est donc pas possible de déterminer exactement tout le chemin parcouru par la télomérase avant d’atteindre son substrat et d’être activée. C’est pourquoi nous avons développé un outil d’imagerie en temps réel permettant de suivre la télomérase dans des cellules vivantes, en continu, pendant tout le cycle cellulaire.
Ainsi, il nous est maintenant possible de visualiser la régulation et l’activité de la télomérase à travers les phases du cycle cellulaire. Pour ce faire, nous avons utilisé le système de fluorescence GFP (Green Fluorescent Protein). Ce système a été mis au point chez la levure bourgeonnante Saccharomyces cerevisiae, modèle d’étude très populaire pour sa simplicité, sa versatilité et… sa similarité avec les eucaryotes supérieurs, dont l’humain.
Action!
Vidéo 1 : Télomérase en phase G2 du cycle cellulaire
Cette vidéo présente une cellule de levure en phase G2 du cycle cellulaire filmée à cinq images par seconde, pendant 20 s. La phase G2 est le moment où, juste après la duplication de l’ADN, la cellule se prépare à se diviser. On peut y déceler des points verts brillants (foci) qui circulent librement dans la cellule, plus particulièrement dans le noyau. Ces points représentent des molécules de télomérase liées à la protéine GFP. Le suivi de ces particules démontre qu’elles bougent à une vitesse moyenne de 500 nm/s. Il est donc évident que la télomérase est en mouvement constant au cours de cette phase, mais aussi en phase G1 (non montrée ici).
Vidéo 2 : Télomères en phase G2 du cycle cellulaire
Cette vidéo présente plusieurs cellules de levure en phase G2, filmées à cinq images par seconde, pendant 17 s. Les points verts très brillants, cette fois, représentent les télomères marqués à la GFP. On peut rapidement constater que ceux-ci sont très statiques au cours de cette phase du cycle cellulaire; leur comportement demeure le même tout le long du cycle. Le suivi de ces télomères démontre que, contrairement à la télomérase en phase G2, les télomères bougent ici très lentement dans la cellule, soit à des vitesses moyennes de 293 nm/s. Une particularité de cette vidéo est qu’on peut y voir une cellule en train de se diviser (en haut, à droite). On voit très bien la duplication du télomère (et donc de l’ADN), juste avant la division de la cellule.
Vidéo 3 : Télomérase en phase S du cycle cellulaire
Comme dans la vidéo I, on aperçoit la télomérase mais ici en phase S du cycle cellulaire, soit la phase de réplication des télomères. Contrairement à la vidéo I, les molécules fluorescentes sont beaucoup plus statiques et plus brillantes. Ces molécules, baptisées « T-Recs » (Telomerase Recruitment Clusters), représentent un regroupement de particules actives de télomérases liées aux télomères seulement au moment de la phase S. Le suivi des T-Recs a permis de constater qu’en fin de phase S, les particules de télomérase circulent à des vitesses moyennes d’environ 230 nm/s, coïncidant ainsi avec la vitesse calculée pour les télomères dans la même phase. Aussi, l’intensité de la fluorescence des foci de télomérases en fin de phase S est six à quinze fois plus élevée! Ceci indiquerait que pour répliquer les extrémités chromosomiques, plusieurs télomérases se regroupent et sont activées à allonger les télomères. En outre, en observant le film très attentivement, on voit aussi des particules de télomérase qui circulent rapidement et librement dans le noyau, comme dans la vidéo I (ce sont les points verts moins brillants à côté du T-Rec). Donc, ce ne sont pas toutes les molécules de télomérase qui sont associées aux T-Recs.
En conclusion
Ces travaux de recherche améliorent la compréhension de la dynamique de la télomérase et de sa régulation. Plus globalement, les travaux sur les télomères et la télomérase ont pour but de mieux comprendre les différents mécanismes reliés à la réplication de l’ADN, les aberrations chromosomiques et l’instabilité génomique. Ces phénomènes, chez l’humain, sont particulièrement importants, puisqu’ils entraînent différents dérangements cellulaires qui, éventuellement, peuvent contribuer à la transformation des cellules normales en cellules cancéreuses. Il est donc primordial de bien comprendre les mécanismes cellulaires de base pour ensuite démystifier, par exemple, ce qu’est le cancer.
Références :
- Evans, S.K., and Lundblad, V. (2002). The Est1 subunit of Saccharomyces cerevisiae telomerase makes multiple contributions to telomere length maintenance. Genetics 162, 1101-15.
- LeBel, C., and Wellinger, R.J. (2005). Telomeres: what's new at your end? J. Cell Sci. 118, 2785-8.
- Taggart, A.K., Teng, S.C., and Zakian, V.A. (2002). Est1p as a cell cycle-regulated activator of telomere-bound telomerase. Science 297, 1023-6.
- Teixeira, M.T., Arneric, M., Sperisen, P., and Lingner, J. (2004). Telomere length homeostasis is achieved via a switch between telomerase- extendible and -nonextendible states. Cell 117, 323-35
- 1Muller, H.J. (1938). The remaking of chromosomes. The Collecting Net 13, 181-95, 198.
- 2McClintock, B. (1939). The behavior in successive nuclear divisions of a chromosome broken at meiosis. Proc. Natl Acad. Sci. U S A 25, 405-416.
- 3Blackburn, E.H., and Gall, J.G. (1978). A tandemly repeated sequence at the termini of the extrachromosomal ribosomal RNA genes in Tetrahymena. J. Mol. Biol. 120, 33-53.
- 4Greider, C.W., and Blackburn, E.H. (1985). Identification of a specific telomere terminal transferase activity in Tetrahymena extracts. Cell 43, 405-13.
- Nancy Laterreur
Université de Sherbrooke et Université de Montréal
Nancy Laterreur détient un baccalauréat en Microbiologie et immunologie de l’Université McGill ainsi qu’une maîtrise en Microbiologie de l’Université de Sherbrooke. Depuis quelques années, elle est professionnelle de recherche dans le laboratoire du Professeur Raymund J. Wellinger, à la Faculté de Médecine et des Sciences de la Santé de l’Université de Sherbrooke. Ses travaux de recherche portent principalement sur la télomérase et sa sous-unité ARN, TLC1.Raymund J. Wellinger est professeur-chercheur à la Faculté de Médecine et des Sciences de la Santé de l’Université de Sherbrooke depuis 1994. Détenteur d’un doctorat en biologie moléculaire de l’Institut Suisse de Recherche Expérimentale sur le Cancer (ISREC), en Suisse, et d’un post-doctorat du Centre de Recherche sur le Cancer Fred Hutchinson, à Seattle aux États-Unis, Professeur Wellinger est titulaire, depuis quelques années, de la chaire de recherche canadienne sur la biologie des télomères, sujet principal des différents travaux de recherche menés dans son laboratoire. Collaborateurs à la recherche : Franck Gallardo et Pascal Chartrand de l’Université de Montréal.
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