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Vincent Larivière, Université de Montréal
Malgré l’abondance de la littérature et le fait que bon nombre de programmes de financement et de politiques publiques favorisent les travaux et la création d’équipes interdisciplinaires, il existe peu de preuves de l’efficacité de telles politiques.

Peu de concepts ont eu autant d’influence sur les politiques scientifiques que celui d’interdisciplinarité. En effet, au cours des quarante  dernières années et, plus spécifiquement, depuis la parution de l’ouvrage The New Production of Knowledge1, l’interdisciplinarité a été considérée comme une pratique positive devant être encouragée — tant au niveau de la recherche que de l’enseignement.

Ainsi, bon nombre de de documents gouvernementaux nationaux2  et internationaux3  en ont fait la promotion, et plusieurs ouvrages théoriques et empiriques s’y sont intéressés4. Toutefois, malgré l’abondance de cette littérature et le fait que bon nombre de programmes de financement et de politiques publiques favorisent les travaux et la création d’équipes interdisciplinaires, il existe peu de preuves de l’efficacité de telles politiques. Ainsi, il importe de savoir, au-delà des discours et des politiques, si les recherches interdisciplinaires génèrent effectivement des découvertes d’une plus grande valeur épistémique.

11,1 millions d’articles soumis à l’analyse

Avec mes collègues Stefanie Haustein (Université de Montréal) et Katy Börner (Indiana University), nous avons récemment publié dans la revue PLOS ONE une étude, basée sur 11,1 millions d’articles publiés entre 2000 et 2012 dans l’ensemble des disciplines, visant à analyser l’effet de l’interdisciplinarité sur l’impact scientifique des articles.Bien que le concept d’interdisciplinarité puisse signifier de nombreuses choses et ainsi être opérationnalisé de nombreuses façons — collaborations entre chercheurs de différents départements, utilisation de méthodes en provenance d’autres disciplines, etc. —, nous avons choisi de mesurer ce concept à l’aide des références faites par les chercheurs dans les articles qu’ils publient. Plus spécifiquement, à chaque référence faite dans les articles est assignée une spécialité, ce qui permet d’analyser à grande échelle la prévalence et, surtout, l’impact savant — mesuré ici avec les citations reçues — des articles citant des travaux provenant de plusieurs spécialités.

La classification des disciplines utilisée ici est celle de la carte de la science de l’University of California San Diego6, qui catégorise chaque revue dans une des 554 spécialités, regroupées en 13 disciplines. Au total, près de 139 millions de références citées par les 11,1 millions d’articles ont pu être classées dans l‘une des 554 spécialités et être analysées.

Premier indicateur : le nombre de spécialités citées par un article

Un premier indicateur de l’interdisciplinarité des articles est obtenu en comptant le nombre de spécialités différentes qu’ils citent. Comme le montre la FIGURE 1, plus le nombre de spécialités citées est élevé, plus l’impact scientifique augmente. Plus spécifiquement, on y remarque que les articles obtenant le nombre de citations relatives le moins élevé (0,66) sont ceux qui sont strictement disciplinaires, c’est-à-dire ne citant qu’une seule spécialité. Ces articles monodisciplinaires représentent 17,2% des articles publiés entre 2000 et 2012. En fait, les articles citant 3 spécialités et moins (47,3% de l’ensemble des articles) obtiennent, dans l’ensemble, un impact scientifique sous la moyenne mondiale (égale à 1), alors que les articles citant 4 spécialités (11,5% des articles) ont un impact égal à la moyenne. Ce sont doncdont les articles qui citent 5 spécialités et plus (41,2% des articles) qui reçoivent un nombre de citations supérieur à la moyenne mondiale, et l’impact scientifique des articles augmente de façon linéaire avec le nombre de spécialités citées.

Deuxième indicateur : la co-citation de spécialités

Notre second indicateur de l’interdisciplinarité est spécifique aux articles qui citent plus d’une spécialité. Il est obtenu en analysant chacune des combinaisons de paires de spécialités co-citées7 dans un même article, afin de mesurer si leur usage conjoint au sein d’un même document résulte en un impact scientifique plus élevé que la moyenne des articles citant ces deux spécialités séparément. En d’autres termes, une paire de spécialités co-citées est créée lorsqu’au moins deux articles en provenance de deux spécialités distinctes se retrouvent dans la même bibliographie.

Ainsi, les articles combinant la spécialité A et la spécialité B peuvent avoir un impact scientifique :

  • 1) plus élevé que la moyenne de l’ensemble des articles citant A et des articles citant B (gain-gain);
  • 2) plus élevé que la moyenne des articles citant A mais plus faible que celle de ceux citant B (gain-perte);
  • 3) plus faible que la moyenne de ceux citant A mais plus élevé que celle de deux citant B (perte-gain);
  • 4) plus faible que ceux qui citent A et que ceux qui citent B (perte-perte).

De l’ensemble des 161 994 paires de spécialités co-citées, 69,9% sont des relations gain-gain — ce qui veut dire que les articles citant ces deux spécialités obtiennent davantage de citations que la moyenne des articles citant chacune de ces deux spécialités (FIGURE 2). Aussi, alors que 26.8% des paires de spécialités résultent en un gain pour l’une ou l’autre des spécialités co-cités, seulement 3,3% des paires co-citées mènent à une perte de citations pour chacune des deux spécialités. Avec 85% de relations interdisciplinaires menant à un gain pour les deux spécialités, la chimie est la discipline menant aux relations les plus bénéfiques, suivie par la neurologie (78,8%) et la biologie (76,6%). La plupart des relations perte-perte — toujours du point de vue des citations — sont associées aux spécialités des humanités (11,2%) et du génie électrique 7,3%). Ainsi, pour chacune des disciplines analysées ici, la combinaison à d’autres spécialités au sein d’un même article est généralement associée à un gain en termes de citations.

Un impact scientifique élevé, une compréhension encore à raffiner

Depuis les années 1980, l’interdisciplinarité est en croissance, et la création de programmes de subventions et autres politiques encourageant ce type de recherche n’est sans doute pas étrangère à cette tendance8. Lorsque mesurée à l’aide des co-citations, l’interdisciplinarité est effectivement associée à l’obtention d’un impact scientifique plus élevé. Bien que les mécanismes permettant d’expliquer ces résultats demeurent encore méconnus, on peut spéculer que la combinaison de méthodes et de perspectives associées à plusieurs disciplines puisse permettre la résolution de problèmes complexes que les disciplines prises isolément ne peuvent résoudre9. D’autres facteurs affectent vraisemblablement les tendances observées, et davantage d’études qualitatives devraient être menées afin d’y voir plus clair.

Références :

  • 1. Gibbons M, Limoges, C, Nowotny H, Schwartzman S, Scott P, Trow, M. The new production of knowledge: the dynamics of science and research in contemporary societies. London: Sage; 1994. Dans le contexte du 20e anniversaire de cet ouvrage séminal et, une entrevue avec Camille Limoges, réalisé par l'Acfas, est désormais diffusée au Canal Savoir.
  • 2. COSEPUP. Facilitating Interdisciplinary Research. Washington: The National Academies Press; 2004.OECD. Interdisciplinarity: Problems of Teaching and Research in Universities. Paris: OECD; 1972.
  • 3. OECD. Interdisciplinarity: Problems of Teaching and Research in Universities. Paris: OECD; 1972.
  • 4. Voir, entre autres, l’ouvrage colossal de Frodeman R, Thompson Klein J, Mitcham C. The Oxford Handbook of Interdisciplinarity. Oxford: Oxford University Press; 2010.
  • 5. Larivière V, Haustein S, Börner K (2015) Long-Distance Interdisciplinarity Leads to Higher Scientific Impact. PLoS ONE 10(3): e0122565.
  • 6. Börner K, Klavans R, Patek M, Zoss AM, Biberstine JR, et al. (2012) Design and Update of a Classification System: The UCSD Map of Science. PLoS ONE 7(7): e39464. Voir aussi sci.cns.iu.edu/ucsdmap/ pour les données source.
  • 7. Pour plus de détails sur le concept de co-citation, voir : en.wikipedia.org/wiki/Co-citation
  • 8. Larivière V, Gingras Y. Measuring interdisciplinarity. In: Cronin B, Sugimoto, CR, editors. Beyond Bibliometrics: Harnessing Multidimensional Indicators of Scholarly Impact. Cambridge (MA): MIT Press. 2014. pp.187-200.
  • 9. Wagner CS, Roessner JD, Bobb K, Thompson Klein J, Boyack KW, Keyton J, et al. Approaches to understanding and measuring interdisciplinary scientific research (IDR): A review of the literature. J. Informetrics. 2010; 5: 14-26.

  • Vincent Larivière
    Université de Montréal

    Vincent Larivière est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante, professeur adjoint à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, membre régulier du CIRST et directeur scientifique adjoint de l’Observatoire des sciences et des technologies. Ses recherches s’intéressent aux caractéristiques des systèmes de la recherche québécois, canadien et mondial, ainsi qu’à la transformation, dans le monde numérique, des modes de production et de diffusion des connaissances scientifiques et technologiques. Il est titulaire d’un baccalauréat en Science, technologie et société (UQAM), d’une maîtrise en histoire (UQAM) et d’un Ph.D. en sciences de l’information (Université McGill).

     

    Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n’engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

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