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Céline Le Bourdais, Université McGill
Les transformations démographiques constituent un des défis les plus importants auxquels la société québécoise contemporaine doit faire face. On ne peut donc que se réjouir du fait que la Politique nationale de la recherche et de l’innovation (PNRI) fasse de cette dimension une priorité pour la recherche et l’innovation durant les cinq prochaines années

Un axe de recherche central et prioritaire

Dans la PNRI, les changements démographiques renvoient principalement aux aspects liés aux changements de la structure par âge, en insistant sur les défis que représente l’accélération du vieillissement au cours des vingt prochaines années et  ses conséquences sur le système de santé, sur les soins aux personnes âgées, ainsi que sur les relations entre les générations. On note que les changements de structure ne se résument pas à une augmentation de la population âgée, mais incluent également une réduction de l’importance relative des jeunes adultes et des enfants, lesquels doivent être soutenus par la politique familiale et de l’éducation. Ils touchent aussi la population d’âge actif dont la diminution mène à une rareté de main-d’œuvre et au besoin de recourir à des travailleurs d’origines et d’expériences diverses.

Cet axe est en soi fort important, même si décrit de façon schématique, car l’équilibre entre les classes d’âge et l’allocation des ressources qui doivent leur être consacrées, est marqué par une inertie qui exige des interventions de long terme. Lorsque l’équilibre se modifie, les processus d’ajustement de l’organisation sociale ne se mettent en place que progressivement, et les politiques qui doivent les initier et les implanter ne seront efficaces que si elles se fondent sur une compréhension approfondie des réalités démographiques.

Un programme de recherche englobant et de long terme

En ce sens, cet axe ne prendra sa signification réelle que s’il s’attache à favoriser la recherche visant à démonter et à comprendre les mécanismes sociodémographiques qui ont provoqué l’avènement de la population vieillissante, à évaluer les besoins qui en découlent et les réaménagements des ressources nécessaires à l’atteinte d’un nouvel équilibre social et économique.

On ne saurait réduire les changements démographiques aux changements de la structure par âge, car ces derniers résultent des multiples transitions qui ont pris place au cours des dernières décennies et ont affecté les phénomènes démographiques fondamentaux : mortalité, fécondité et migration. Ce sont ces transitions qu’il faut chercher à comprendre pour saisir comment la structure par âge actuelle et à venir va transformer la structure et l’organisation sociales.

La population vieillissante dans laquelle nous allons vivre pour de nombreuses décennies découle d’abord de l’aboutissement d’une tendance séculaire qui a fait passer le Québec d’une société à fécondité et à mortalité élevées à une société où ces phénomènes ont atteint de très bas niveaux. Les changements qui ont pris place depuis une cinquantaine d’années se sont effectués par le truchement de diverses transitions qui se chevauchent et se superposent, transformant les besoins des individus et exigeant un réexamen de la façon dont la société y fait face.

Les trois dynamiques démographiques

La transition sanitaire ou épidémiologique en s’attaquant aux maladies dégénératives qui touchent les adultes et les personnes âgées a permis de pousser l’espérance de vie à des niveaux tels qu’ils accentuent le vieillissement amorcé par la baisse de la fécondité. Cette transition provoque un allongement de la durée de vie en santé, mais aussi un accroissement du nombre de personnes du quatrième âge dont la santé peut être plus fragile et qui font face à la  perte de leur autonomie. Les ressources requises pour les soutenir « seront considérables », comme le souligne fort à propos la PNRI. Ce qu’elle dit moins cependant, c’est qu’en contexte de restriction budgétaire, les personnes âgées devront sans doute faire appel davantage à leur réseau familial en cas de besoin. On peut se demander si ce dernier sera en mesure de répondre à ces demandes, compte tenu de la réduction de la taille des familles, de l’instabilité des unions conjugales et enfin de la participation accrue à l’emploi des femmes qui, encore aujourd’hui, demeurent les principales pourvoyeuses d’aide à leurs proches.

«Les personnes âgées devront faire appel davantage à leur réseau familial en cas de besoin. On peut se demander si ce dernier sera en mesure de répondre à ces demandes».

Ralentie par le « baby boom », la transition de la fécondité a repris son rythme au cours des années soixante, et elle a conduit les Québécois vers des comportements qui n’assurent plus le remplacement des générations. Cette transision s’est appuyée sur une transformation profonde du système de valeurs, basée sur une recherche d’égalité entre hommes et femmes, et sur l’atteinte de l’épanouissement personnel comme critère pour orienter les décisions en matière de conjugalité et de modalités de la vie familiale. On a observé la montée rapide de l’union de fait comme mode de formation des couples et comme fondement de la famille. Parallèlement, l’instabilité conjugale a progressé et provoqué l’accroissement de nouvelles formes familiales, où la nature des liens entre conjoints et entre parents et enfants se redéfinit graduellement. Ces changements familiaux auront sans doute des répercussions particulières, encore mal connues, dans un contexte de vieillissement et de diversification culturelle. De plus, cette transition, toujours en cours, semble rendre permanent un niveau de fécondité sous le seuil qui assurerait la stabilité de la population.

La migration, troisième élément de la dynamique démographique, subit aussi des transformations importantes. Vu dans une perspective de transition, ce phénomène présente deux dimensions fondamentales : les mouvements interrégionaux et les migrations internationales. D’une part, les premiers complètent la transition rurale-urbaine et dans certains cas compromettent l’équilibre démographique des régions périphériques, en provoquant un déficit de la jeunesse et de la population d’âge actif, accélérant ainsi un vieillissement exacerbé. D’autre part, dans le contexte actuel de croissance naturelle faible, ou éventuellement, négative, les mouvements internationaux prennent une importance nouvelle. Contrairement aux autres phénomènes démographiques, la migration internationale n’émane pas directement de la population locale, mais résulte essentiellement de décisions politiques. La politique d’immigration constitue donc une pièce maîtresse de l’évolution de la croissance démographique. On sait que la migration ne joue qu’un rôle mineur dans le ralentissement de l’importance du vieillissement, mais elle représente un atout considérable dans le maintien d’une main-d’œuvre suffisante pour stimuler le développement économique. L’étude de l’immigration ne peut donc être envisagée uniquement sous l’angle de « l’identité québécoise », comme semble le promouvoir le document de la PNRI; elle constitue un maillon essentiel de la dynamique démographique.

«L’ensemble de ces trois transitions est la résultante de la diversification des trajectoires individuelles qui, de façon inexorable, crée un nouvel environnement social lequel, à son tour, influence les comportements des individus et modifie leurs besoins».

L’ensemble de ces transitions est la résultante de la diversification des trajectoires individuelles qui, de façon inexorable, crée un nouvel environnement social lequel, à son tour, influence les comportements des individus et modifie leurs besoins. Le poids relatif des différentes classes d’âge constitue donc un déterminant lourd dans l’allocation des ressources dont la société dispose. Les conditions de vie intimement liées aux caractéristiques des individus et des familles dépendent du dynamisme social et économique, en partie tributaire de l’équilibre démographique. La dynamique démographique se caractérise par une grande inertie, qui a l’avantage de permettre de voir venir les défis qui y sont associés, mais l’inconvénient que ceux-ci ne peuvent être contournés ou évités et  requièrent une approche de long terme.  Pour en comprendre la signification, des efforts considérables doivent être accomplis à travers la mobilisation de chercheurs provenant de nombreuses disciplines, et la mise en commun des avoirs et des savoirs des chercheurs et intervenants des milieux communautaires, socio-économiques  et gouvernementaux.

Les moyens requis pour relever les défis liés aux changements démographiques

Le document de la PNRI propose un large éventail de pistes et de mesures très positives. Il est question de soutien à l’apprentissage et au développement des connaissances dans les divers domaines du savoir et de l’innovation. Il est évidemment impossible de commenter ici chacune de ces mesures. Aussi, ce texte ne s’attarde qu’à certains éléments de la PNRI qui sont plus intimement liés à l’étude et à la compréhension des changements démographiques.

Le Québec peut compter sur une expertise reconnue au plan international dans le domaine des études de population. Plusieurs institutions universitaires offrent différents programmes et options de formation dans ce domaine. Elles regroupent également des équipes et des centres de recherche qui analysent les changements démographiques, ainsi que les facteurs qui leur sont associés et les répercussions qu’ils entraînent pour les individus et la société. Ces regroupements ont en commun d’aborder les questions de population sous l’angle de perspectives disciplinaires variées et à partir d’une approche longitudinale qui prend en compte la contribution des générations passées et présentes à la fécondité ou à la mortalité, par exemple, que l’on observe année après année. Au contraire de sociétés, comme la France ou les Pays-Bas, qui ont choisi de créer et de soutenir des instituts recherche tels l’Institut national d’études démographiques (INED) ou le Netherlands Interdisciplinary Demographic Institute (NIDI), le Québec ne s’est pas donné les moyens d’une approche concertée et englobante pour comprendre et mieux entrevoir l’impact des changements démographiques sur le bien-être et la qualité de vie de sa population. Il est grand temps d’y remédier.

«Le Québec ne s’est pas donné les moyens d’une approche concertée et englobante pour comprendre et mieux entrevoir l’impact des changements démographiques sur le bien-être et la qualité de vie de sa population. Il est grand temps d’y remédier».

Une des solutions passe évidemment par un « appui renforcé aux Fonds de recherche du Québec » qui soutiennent financièrement la poursuite de recherches de pointe dans ce domaine. Un appui centré sur les études de population qui ne saurait cependant se réduire à la seule analyse du vieillissement et de ses répercussions sur les conditions de vie et les besoins particuliers des personnes âgées, comme le préconise l’appel de propositions de l’Action concertée sur « Le vieillissement de la population au Québec », lancée en juin dernier par les trois Fonds de recherche du Québec, en partenariat avec plusieurs ministères et organismes du Québec. Si l’on espère parvenir à une compréhension approfondie des réalités et dynamiques démographiques, il est impératif que la recherche fondamentale, au même titre que la recherche orientée, soit soutenue par les Fonds de recherche du Québec. Un des des mécanismes à privilégier pour atteindre cet objectif serait de dédier une partie des « nouvelles chaires de recherche du Québec »  à l’étude des changements démographiques plutôt que de les centrer exclusivement sur le thème de l’identité québécoise, tel qu’envisagé par la PNRI. Ces chaires de recherche pourraient avoir comme mandat de favoriser et de consolider le regroupement des expertises québécoises en matière de population afin d’arriver à une meilleure connaissance de la composition et de la dynamique de la population québécoise. Cette connaissance constitue un pré-requis incontournable pour arriver à cerner ce qui forge l’identité québécoise.

La recherche sur les changements démographiques nécessite l’utilisation de diverses sources de données : état civil (naissances et décès, par exemple), recensement de population et enquêtes qui portent sur diverses thématiques ou sous-populations. Avec la remise en question du format des recensements de population et l’abolition de plusieurs enquêtes longitudinales au Canada, le recours aux données générées par l’activité administrative apparaît plus important que jamais, et on ne peut qu’applaudir la volonté exprimée dans la PNRI  de faciliter l’accès par les chercheurs à ces données. Mais à ce chapitre, le Québec accuse un retard certain par rapport à d’autres provinces canadiennes et aux nombreux pays auxquels il veut se comparer. La collecte et l’analyse de données se font encore largement en silos, à l’intérieur de ministères jaloux de leurs avoirs, peu enclins à les partager entre eux et encore moins avec les chercheurs universitaires. Le couplage de données administratives entre elles ou à des données d’enquêtes ou de recensements demeure donc marginal. Or, les provinces qui se sont dotées d’infrastructures facilitant de telles initiatives, comme le Manitoba Centre for Health Policy, le Population Data BC, ou encore l’Institute for Clinical Evaluative Sciences en Ontario, disposent de données probantes pour asseoir une prise de décision éclairée en matière de politiques publiques. Un sérieux coup de barre s’impose pour rattraper le retard qu’a pris le Québec!

«Au Québec, la collecte et l’analyse de données se font encore largement en silos, à l’intérieur de ministères jaloux de leurs avoirs, peu enclins à les partager entre eux et encore moins avec les chercheurs universitaires».

Enfin, pour saisir et comprendre la dynamique des changements démographiques non seulement faut-il disposer d’un ensemble complexe de données, encore faut-il être en mesure de les analyser. Les avancées récentes dans le champ de la démographie et de la statistique permettent de tirer profit de l’ensemble des données disponibles et rendent véritablement possible l’étude du changement dans sa dynamique. En contrepartie, elles présupposent la maîtrise de méthodes d’analyse quantitative de pointe, elles requièrent également une expérience concrète dans l’application de ces méthodes à l’éventail des données existantes que les universités peinent à offrir à travers leurs programmes réguliers d’enseignement. Il importe donc de soutenir les infrastructures de recherche, tel le Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales (CIQSS) qui a explicitement comme mandat la formation avancée dans l’exploitation des nombreuses bases de données qu’il abrite à travers l’offre d’une gamme d’activités de formation, parmi lesquelles figure au premier chef le programme d’École d’été du CIQSS. Ce soutien pourrait provenir de l’établissement de programmes de formation ciblés par les Fonds de recherche du Québec.

En somme, la PNRI ouvre des perspectives emballantes qui ne pendront leur signification réelle qu’au vu des mesures concrètes qui seront mises en place pour approfondir nos connaissances de la société québécoise et ainsi la faire avancer. La feuille de route est tracée, on ne peut qu’attendre la suite.

«La feuille de route est tracée, on ne peut qu’attendre la suite».

  • Céline Le Bourdais
    Université McGill
    Présentation de l’auteureCéline Le Bourdais, professeure titulaire, MSRCCentre de recherche sur la dynamique des populations de l’Université McGillTitulaire de la Chaire de recherche du Canada en Statistiques sociales et changement familial

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