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Bifurcation : Du latin bifurcus "fourchu". Le terme, utilisé par les théoriciens du chaos, décrit l’apparition d’une solution qualitativement différente dans un système non linéaire.

Il y a deux attracteurs autour desquels je tourne depuis un temps déjà. D'abord, les approches « systèmes » – complexité, chaos, réseau, évolution, histoire globale, transdisciplinarité – où j’ai un intérêt certain pour leurs capacités d’explication du monde. Puis, l’état de notre système civilisationnel, dont je nourris une inquiétude pas moins certaine.

Deux terrains sur lesquels j'effectuerai des parcours imprévisibles. Dans une sorte de chaos déterministe.

Premier terrain

C’est la lecture d’Edgar Morin qui m’a initiée à la complexité, dans des temps déjà archéologiques. Guide interprète, en poste dans les salles obscures du musée Pointe-à-Callière, je profitais des entre-deux-visiteurs pour écouler quelques paragraphes. Appuyée sur une colonne de béton au voisinage des traces amérindiennes et des ruines britanniques, j’y ai lu La connaissance de la connaissance. Le troisième tome des six ouvrages composant La méthode.

Dans ce volume, Morin présente la connaissance comme « à la fois physique, biologique, cérébrale, mentale, psychologique, culturelle et sociale ». Une accrétion de plusieurs échelles de réalité en relations permanentes et simultanées. Un gros réseau de réseaux. Un système complexe. Ce n’était pas banal pour quelqu’un qui émergeait d’une formation où les savoirs étaient mis en boîte plutôt qu’en relation.

Ainsi, les bactéries, les humains, la forêt, le climat, les villes et Internet sont tous des systèmes complexes, partageant des caractéristiques d’organisation et de développement. Ils sont tous dynamiques, ne connaissant le repos qu’éternel. Ils se développent de manière non linéaire – ou chaotique – à travers un parcours déterminé de possibles. Ils sont souvent sous tension, œuvrant à la limite du désordre. Radicalement déstabilisés, ils s’effondrent ou changent d’état. Une vie à trop fumer, et c’est le cancer; un siècle à trop cracher de CO2, et c’est un changement de régime climatique.

Comprendre un système complexe, c’était donc posséder des catégories pour mieux saisir les autres systèmes, peu importe l’échelle. Cela me fascine toujours autant.

Deuxième terrain

Mes premiers symptômes sérieux de « mal au monde » sont apparus lors d’un séjour californien au tournant des années 2000. Dans ce Far West où le futur est déjà passé, j’ai croisé une population toujours guillerette qui, à la limite de ses ressources en eau, dispersait dans le désert des banlieues de pelouse et des golfs verdoyants. Cette Californie s’était aussi beaucoup affaiblie socialement. De 1980 à 1995, le budget des prisons avait augmenté de 847 %, celui de l'enseignement supérieur de 116 %, et son système scolaire, qui figurait parmi les meilleurs du pays dans les années 1960, était devenu l'un des plus faibles.

Et j’y ai lu le rapport de 1972 du Club de Rome, Limits of growth... Les auteurs, des chercheurs du MIT, avaient utilisé la théorie des systèmes complexes pour concevoir une modélisation, World3, où cinq tendances globales étaient mises en relation : croissances de la population, de l’industrialisation et de la malnutrition combinées à un épuisement des ressources non renouvelables et à la détérioration de l’environnement.

Si les tendances se maintenaient, les limites de la croissance seraient atteintes à l'intérieur du prochain siècle avec comme conséquence un effondrement de la population et de la capacité industrielle. Mais il était encore possible, disaient-ils, de modifier le comportement du système. En 2004, une mise à jour du rapport, révélait que notre monde présentait des symptômes d’un système in overshoot,  en surdépassement de ses limites.

Nous en encore sommes là. Et j’aimerais bien avoir des doutes sur les conséquences de telles données.

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