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Élise Smith, Université de Montréal, Jean-Christophe Bélisle Pipon, Université de Montréal, Renaud F. Boulanger, Université McGill, Bryn Williams-Jones, Université de Montréal
Nous espérons que la poursuite de l’aventure de la revue, avec sa plateforme et sa structure innovante, encouragera nos collègues à participer à ce mouvement d’avenir : un mouvement vers la publication démocratique, ouverte, transparente, inclusive, à coût nul pour les auteurs et en libre accès pour tous.

Défis et enjeux de la première année de BioéthiqueOnline

Il y a déjà un an, le 19 mars 2012, nous lancions BioéthiqueOnline, une revue bilingue à portée internationale ayant comme but de diffuser des recherches théoriques, conceptuelles et empiriques sur une diversité de sujets ayant trait à la bioéthique. C’est un projet que nous croyons novateur parce que nous cherchons à pallier les lacunes des grandes revues : droits d’auteur contraignants, lenteur des processus, coûts de publication parfois élevés, diffusion limitée hors du cadre universitaire, etc.

BioéthiqueOnline est une revue en accès libre, à coût nul pour les auteurs, fonctionnant avec un très petit budget et un délai de publication variant entre un et trois mois. La mise en place et le fonctionnement de la revue ont été réalisés grâce à une collaboration entre les Programmes de bioéthique et l’Association étudiante de bioéthique de l’Université de Montréal (AÉBiUM). Ayant comme plateforme principale un site web, la revue diffuse un éventail de textes (articles scientifiques, commentaires, éditoriaux, recensions de livres et films, travaux artistiques, etc.) à un vaste auditoire issu de différents milieux (universitaire, professionnel, gouvernemental, médiatique, etc.). Au moment de sa mise en ligne, BioéthiqueOnline comptait déjà trois études de cas123, un article4 et un éditorial5.

Comme dans toute entreprise qui se veut pionnière, les défis ont jusqu’à ce jour été nombreux. En fait, la première année a été une aventure parsemée d’embûches, de petites victoires et d’espoir. Dès les débuts, l’équipe éditoriale avait de grandes ambitions. Bien que la réalisation de certains objectifs ait été remise à plus tard et qu’il reste encore beaucoup de travail afin d’en faire un incontournable dans le domaine, la revue a atteint un certain rythme de croisière. Afin de partager notre expérience avec la communauté scientifique, nous présentons ici quelques-uns des moments et réflexions clés de cette aventure.

Innovations et défis rencontrés

Démocratisation du savoir

La démocratisation du savoir va de pair avec la logique du libre accès; c’est cette logique que nous avons privilégiée. Ainsi, aucune maison d’édition ne contrôle la production, la diffusion ni le continu scientifique de la revue. Les auteurs conservent leurs droits d’auteur et les textes sont sous une licence Creative Commons (Attribution 3.0 Unported, CC BY 3.0), où la seule contrainte, celle de l’attribution, est de devoir citer la source du document.

Notre approche est particulièrement appropriée dans un contexte où les chercheurs sont de plus en plus encouragés – et, parfois, mandatés par des organismes subventionnaires – à publier leurs résultats dans des revues en accès libre ou, au moins, à les rendre accessibles dans un délai raisonnable.

« Notre approche est particulièrement appropriée dans un contexte où les chercheurs sont de plus en plus encouragés à publier leurs résultats dans des revues en accès libre ou, au moins, à les rendre accessibles dans un délai raisonnable. »

Tout en prônant la qualité de la recherche, nous avions également comme objectif de créer une revue à l’image de notre époque, où l’information circule à grande vitesse. Cela, nous pensions, ne pourrait se faire en adoptant le processus d’évaluation par les pairs, souvent associé à la publication « papier » – une opération pouvant dans certains cas prendre plus d’un an. Nous pensions plutôt soumettre les manuscrits envoyés à BioéthiqueOnline à une évaluation par les éditeurs de la revue dans le cadre d’un processus rigoureux et bien encadré. Comme discuté plus loin, plusieurs facteurs nous ont fait reconsidérer cette pratique.

Pour nous, la démocratisation de la bioéthique passait également par l’encouragement du débat sur notre site, une façon de permettre au lectorat de s’approprier le contenu en le commentant, en le critiquant et en le bonifiant; une façon de promouvoir des standards de qualité et d’excellence élevés grâce aux apports de la communauté. Ce forum, espérions-nous, faciliterait la création d’une connaissance démocratisée et accessible, l’interaction du lectorat créant une communauté d’échanges d’idées qui contribuerait à l’évolution de la bioéthique. Cela étant dit, considérant qu’il n’y a pas eu d’engouement, nous avons été poussés à mettre l’idée du forum sur la glace pour le moment.

Rôle des éditeurs et des évaluateurs externes

La vision première de la revue quant au rôle des éditeurs et des évaluateurs externes s’inspirait de la littérature sur l’éthique de la publication. Celle-ci révèle plusieurs limites au mode d’évaluation par comités de pairs : conflits d’intérêts, pressions de la compétition et manque de temps6.

Pour contrer ces limites, l’évaluation standard de BioéthiqueOnline consisterait donc en la révision des manuscrits reçus par deux éditeurs de la revue. Dans cette vision d’ouverture et de démocratisation du savoir, les éditeurs et les auteurs seraient encouragés à travailler en coopération et en dialogue afin de corriger et bonifier le texte. Cette visée pédagogique et de mentorat serait à l’avantage tant de la revue que des auteurs, représentant une forme de service à la communauté, et ce, sans donner l’impression que BioéthiqueOnline est une revue de début de carrière, voire une « revue étudiante ».

Nous avons revu notre approche de révision des textes quelques mois après le lancement de la revue, réalisant que seules les revues « évaluées par les pairs » sont admissibles aux soutiens financiers gouvernementaux. Nous avons alors opté pour une méthode mixte : évaluation par des pairs des articles et évaluation par notre comité éditorial de l’ensemble des autres publications.

« Nous avons opté pour une méthode mixte : évaluation par des pairs des articles et évaluation par notre comité éditorial de l’ensemble des autres publications. »

À terme, cette méthode s’est révélée doublement avantageuse. La révision des articles par des experts augmente la crédibilité de la revue tout en encourageant le dialogue avec les auteurs grâce au rôle d’intermédiaire des éditeurs.

Notre approche d'évaluation par les éditeurs n’est pas nécessairement meilleure que l'approche d'évaluation par les pairs, mais elle offre certains avantages. Il y a notamment une accélération du processus et l’élimination de certains biais discutés dans la littérature scientifique. Ces biais incluent l’aspect compétitif de l’évaluation par les pairs, où l’évaluateur est souvent en concurrence directe avec l’auteur qu’il évalue. De plus, les experts d’un domaine peuvent être fermés à des approches épistémologiques éloignées des leurs, limitant ainsi la diversité des démarches qui pourraient pourtant être considérées « scientifiquement valables ». L’évaluation par les éditeurs prône une approche de mentorat où le travail de l’auteur s’améliore et évolue avant d’être publié. Ceci étant dit, ce modèle d’évaluation pose d’autres limites. Par exemple, les éditeurs ne sont pas nécessairement « experts » du domaine évalué. Dans ce cas, l’évaluation par les pairs peut être appliquée après la publication au moyen d’un forum public que nous aimerions réactiver.

L’excellence demeurant notre valeur phare, nous croyons maintenant être en mesure d’allier le mentorat – qui permet, d’une certaine façon, le développement de l’excellence de demain – aux attentes de nos partenaires.

Gestion à coût nul

Pour BioéthiqueOnline, l’idée de démocratiser le savoir passe également par l’accès à la publication, en s’assurant, par exemple, que celle-ci soit à coût nul pour l’auteur. Il s’agit là d’un soutien délibéré aux jeunes chercheurs et aux étudiants.

Nous savions que créer une revue sans ressources financières ne serait pas une tâche facile. Il était prévu que l’ensemble des éditeurs et des contributeurs seraient bénévoles, mais nous voulions aussi  avoir recours aux ressources de fonds fédéraux ou provinciaux. Pour que cela soit possible, nous avons choisi de manière très pragmatique de participer « à moitié » au système en place, en tablant sur une méthode mixte alliant les avantages du modèle d’évaluation tant par un comité éditorial que par les évaluateurs externes. Entretemps, un financement modeste pour soutenir nos activités (ex. : soutien technique, diffusion) vient de collaborations avec des professeurs des Programmes de bioéthique de l’Université de Montréal.

Promouvoir la transparence

Dès la création de notre revue, la transparence du processus de publication s’est avérée l’un de ses apports originaux. Le but était de contrer la perception négative et la chute de la confiance du public à l’égard de la science7, en partie dues au fait que les conflits d’intérêts avaient suscité plusieurs doutes quant à l’intégrité des universitaires peu avant.

Ainsi, nous voulons que l’éthique et l’intégrité caractérisent notre gestion. De là cette nécessité de transparence, valeur transversale à toutes nos pratiques. Cette valeur passe notamment par l’adhésion au Committee on Publication Ethics (COPE)8, qui prône l’intégrité des pratiques en publication. De fait, cette communauté de pratique offre un riche milieu favorisant l’amélioration et la mise à jour de nos politiques et procédures.

Plusieurs méthodes nous permettent d'assurer la transparence. Tout d’abord, il y a une transparence des procédures établies, accessibles au grand public via notre site web. Ensuite, s’il y a conflits d’intérêts, ils sont divulgués. Aussi, depuis peu, tous les acteurs du système d’évaluation connaissent l’identité des auteurs, des éditeurs et des évaluateurs externes. Ceux-ci sont ensuite nommés dans les textes, au bénéfice des lecteurs.

« Malgré notre entrée dans le système de revue par les pairs, nous voulions continuer à prôner le même niveau de transparence. »

Malgré notre entrée dans le système de revue par les pairs, nous voulions continuer à prôner le même niveau de transparence, et ce, bien que les systèmes d’évaluation par les pairs soient normalement anonymes. Dans de tels cas, les auteurs ne connaissent que très rarement l’identité de leurs évaluateurs. Parfois, il y a même une double anonymisation : l’identité de l’auteur est également cachée aux évaluateurs. Ce système est cependant loin d’être parfait, car, étant donné la spécialisation des chercheurs, les auteurs connaissent habituellement leurs évaluateurs potentiels, alors que les évaluateurs sont souvent capables de reconnaître les auteurs par leur style, leurs sujets ou les thèses défendues. A fortiori, certains évaluateurs, de par leur anonymisation, délaissent leur responsabilité en produisant des évaluations biaisées ou peu constructives, personne ne pouvant les identifier avec certitude. Notre approche de transparence bloque ce problème à la source et contribue à la responsabilisation de l’ensemble des acteurs impliqués dans le processus de publication. Nous pensons que cela rend, par le fait même, le processus plus crédible.

Cela étant dit, nous n’avions pas prévu certaines situations. Par exemple, des auteurs sont tentés de communiquer directement avec les évaluateurs externes pour discuter de leurs commentaires, plutôt que de correspondre comme prévu avec leurs éditeurs désignés. Bien que cela puisse représenter un gain d’efficacité étant donné l’élimination d’un intermédiaire, nous ne voudrions pas que les évaluateurs s’engagent à répondre à quelque sollicitation des auteurs que ce soit – ou qu’ils s’exposent à subir leurs foudres. Cela dépasserait le rôle ponctuel que l’on souhaite attribuer à l’évaluateur externe. Une autre situation inattendue vient du fait que certains évaluateurs potentiels sollicités semblent a priori inconfortables avec la transparence proposée. Cependant, une fois celle-ci justifiée, aucun n’a à ce jour refusé d’évaluer un manuscrit sur cette base.

Organisation simple et ouverte

Le choix de l’organisation et du mode de gouvernance de la revue fut un défi considérable pour l’exécutif. La structure d’une revue ouverte appelle à la création d’un environnement interne démocratique où tous contribuent à la prise de décision afin d’éviter des déséquilibres de pouvoir entre les membres. Ainsi, au début, nous espérions réunir les éditeurs régulièrement pour discuter de l’évaluation des écrits et des politiques de publication. Toutefois, rassembler 15 éditeurs de différentes institutions universitaires, aux emplois du temps fort chargés, s’avère difficile, même par visioconférence. Au final, il a fallu instaurer un minimum de hiérarchie à notre cadre organisationnel. Nous avons maintenant des éditeurs de section, responsables chacun d’un type d’écrit, et nous déléguons certains éditeurs pour des projets spéciaux en tablant sur la force et la disponibilité de chacun.

« Notre pratique de gestion est aussi habitée par une valeur clé pour la revue : contribuer au développement d’une relève en édition. »

Notre pratique de gestion est aussi habitée par une valeur clé pour la revue : contribuer au développement d’une relève en édition. Cela passe par la participation des éditeurs tant aux réunions qu'à la prise de décisions, ainsi qu'à l’organisation d’ateliers sur des sujets divers (intégrité en recherche, modalités de l’évaluation par les pairs, etc.). Les éditeurs de BioéthiqueOnline représentent une pierre d’assise importante et le succès de la revue passe par eux. En plus d’en assurer le roulement, ils contribuent, par exemple, à la faire connaître dans un océan de journaux existants.

L’avenir

En tant que comité exécutif de BioéthiqueOnline, nous devons avouer que notre idée originale ne s’est pas réalisée tel qu’on l’avait initialement conçue. Plusieurs éléments ont été révisés pour prendre en considération les limites pratiques de la publication « scientifique ». Nous constatons  que si plusieurs difficultés se sont présentées, c'est parce que nous dérogeons des pratiques de publication traditionnelles; nous soutenons que c'était là un beau risque à prendre malgré les écueils.

En somme, nous espérons que la poursuite de l’aventure de BioéthiqueOnline, avec sa plateforme et sa structure innovante, encouragera nos collègues à participer à ce mouvement d’avenir : un mouvement vers la publication démocratique, ouverte, transparente, inclusive, à coût nul pour les auteurs et en libre accès pour tous.

Remerciements

Nous voudrions profiter de l’occasion de ce premier anniversaire de la revue pour souligner le dévouement exceptionnel de notre comité éditorial :

  • Ali Okhowat, éditeur
  • Carolina Martin, éditrice
  • Charles Dupras, éditeur de section – Articles
  • Charles Marsan, éditeur de section – Commentaires
  • Christopher McDougall, éditeur
  • Jason Behrmann, éditeur de section – Art
  • Lise Levesque, éditrice de section – Comptes rendus
  • Marleen Eijkholt, éditrice
  • Maude Laliberté, éditrice de section – Études de cas
  • Sonia Paradis, éditrice de section – Nouvelles
  • Zubin Master, éditeur
  • 1BEHRMANN, J., OLIVIER, C. « Allergy Refugees: Should They Stay or Should They Go? », BioéthiqueOnline [Internet]. 2012;1(2).
  • 2WILLIAMS-JONES, B. « Somatic Cell Therapy: A Genetic Rescue for a Tattered Immune System? », BioéthiqueOnline [Internet]. 1(4).
  • 3SMITH, E., MARTIN, C., BEHRMANN, J., WILLIAMS-JONES, B. « Bob and Jane go to Argentina: The Ethics of Cross-Border Care », BioéthiqueOnline [Internet]. 2012;1(3).
  • 4BARET, L. « Public Health Genomics : une forme de rhétorique? », BioéthiqueOnline [Internet]. 2012;1(5).
  • 5WILLIAMS-JONES, B. « BioéthiqueOnline: Towards a Bilingual (English-French) Bioethics Community / Vers une communauté bilingue (anglais-français) en bioéthique », BioéthiqueOnline [Internet]. 2012;1(1).
  • 6HENDERSON, M. « Problems with peer review », BMJ [Internet]. 2010 [cited 2013 Feb 27];340.
  • 7MASTER, Z., RESNIK, D.B. « Hype and public trust in science », Science and Engineering Ethics, 2011;1–15
  • 8COPE. Code of Conduct and Best Practice Guidelines for Journal Editors [Internet]. 2011.

  • Élise Smith
    Étudiant·e au troisième cycle universitaire
    Université de Montréal

    Élise Smith, étudiante au doctorat en sciences humaines appliquées (option bioéthique) à l’Université de Montréal, s’intéresse aux enjeux et pratiques en éthique de la publication (droit d’auteur, conflit d’intérêts, utilisation secondaire de la recherche). Le sujet de sa thèse est l’allocation « juste » du droit d’auteur dans les équipes de recherche multidisciplinaire. Elise est membre de l’exécutif de la revue BioéthiqueOnline.

  • Jean-Christophe Bélisle Pipon
    Étudiant·e au deuxième cycle universitaire
    Université de Montréal

    Jean-Christophe Bélisle Pipon, étudiant à la maîtrise aux Programmes de bioéthique à l’Université de Montréal, s’intéresse tout particulièrement à l’éthique des affaires et aux entreprises biopharmaceutiques. Jean-Christophe est fortement impliqué dans la communauté universitaire et de bioéthique. Il est président de l’Association étudiante de bioéthique (AÉBiUM), ambassadeur étudiant francophone de la Société canadienne de bioéthique (SCB) et cofondateur de la revue BioéthiqueOnline.

  • Renaud F. Boulanger
    Étudiant·e au deuxième cycle universitaire
    Université McGill

    Renaud F. Boulanger, étudiant à la maîtrise à l’Université McGill, se penche sur les enjeux éthiques liés à la recherche menée à la suite de catastrophes naturelles. Il travaille aussi comme consultant dans le cadre de l’initiative Critical Path to TB Drug Regimens. Éditeur de section au moment de la création de la revue, Renaud s’est joint au comité exécutif de BioéthiqueOnline depuis.

  • Bryn Williams-Jones
    Professeur·e d’université
    Université de Montréal

    Bryn Williams-Jones, directeur des programmes de bioéthique et professeur agrégé au Département de médecine sociale et préventive, Université de Montréal. Sa recherche actuelle se concentre sur l’éthique professionnelle, l’intégrité scientifique et la gestion des conflits d’intérêts. Il est directeur de l’Axe éthique et santé des populations du Réseau de recherche en santé des populations du Québec (RRSPQ) et éditeur en chef de la revue BioéthiqueOnline

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