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Charles-Mathieu Brunelle, Espace pour la vie

En 2018, les quatre musées d’Espace pour la vie, le Biodôme, l’Insectarium, le Jardin botanique et le Planétarium Rio Tinto Alcan, ont porté leur regard sur les multiples manières du vivant – faune, flore et autres organismes vivants – d’habiter la planète. Du nid à la tanière, de la vie dans l’Univers à notre occupation humaine, beaucoup de champs ont été couverts. Ce thème, « la nature nous habite », a aussi inspiré le présent magazine, qui a invité un philosophe, Mathieu Gagnon, et une géographe, Caroline Desbiens, à réaliser un dossier sur la notion d’habiter, dossier qui sortira à la mi-novembre. En préambule, Découvrir a échangé sur la question avec Charles-Mathieu Brunelle, directeur d’Espace pour la vie.
Johanne Lebel, rédactrice en chef

CM Brunelle
Crédits : Acfas

Découvrir : M. Brunelle, pouvez-vous nous introduire au thème tel que développé par Espace pour la vie?

Charles-Mathieu Brunelle : Nos quatre institutions traitent, à différentes échelles, de la nature et de la vie, chacune de son point de vue. Depuis quelques années, en vue d’élaborer notre programmation, nous choisissons un thème commun que chaque musée exprime selon son expertise. Une sorte de regard croisé et complémentaire. La notion d’habitat nous a semblé particulièrement porteuse, à l’heure où les humains prennent de plus en plus de place sur la planète. Ce thème permet de prendre un certain recul pour observer tant nos gestes collectifs qu’individuels, mais aussi pour penser le changement.

Le Biodôme et l’Insectarium ont travaillé autour de l’idée de « nid », reproduisant des abris géants. La tanière d’un ours, le nid d’un cardinal, ou encore un « dais » de chenilles. En s’y introduisant, le visiteur réalise l’incroyable énergie investie par chaque animal pour construire son habitat. Le « nid », c’est aussi pour les humains une référence à la maison. Un lieu d’intimité où l’on fait grandir notre famille, où se développent nos valeurs, nos points de vue, là où prennent corps nos convictions.

Découvrir : J’ai aperçu dans le jardin botanique une sorte de carnet géant…

Charles-Mathieu Brunelle : Il s’agit des dessins de Francis Hallé. Ce botaniste français est l’un des créateurs du Radeau des cimes, des expéditions scientifiques visant à observer la canopée de la forêt tropicale – un habitat dont la biodiversité est à nulle autre pareille – depuis une immense plate-forme légèrement déposée au faîte des arbres. C’est aussi un intellectuel exceptionnel, un écrivain hors pair et un dessinateur fantastique.

Découvrir : J’imagine que cette notion d’habiter mène nécessairement à nos cohabitations pas toujours harmonieuses?

Charles-Mathieu Brunelle : On a connu une telle croissance… Un peu plus d’un milliard au milieu du 19e siècle, 3 milliards en 1960 et près de 8 milliards aujourd’hui. Et tout s’emballe, avec les conséquences qu’on connaît sur l’environnement. Notre « culture » prend tellement de place qu’on s’est déconnecté de ce qui nous permet même de vivre. C’est difficile de se l’avouer et donc d’amorcer les changements nécessaires.On essaye de travailler sur les forces qui portent au changement. C’est un enjeu social, mais c’est aussi une démarche introspective, un processus très individuel. Toucher l’individu pour l’amener à changer ses comportements et ainsi avoir un impact global.

Notre mission vise à accompagner l’humain pour mieux vivre la nature. Notre approche conjugue science, art et émotion. Il faut être profondément touché par la nature pour développer de la compassion pour les autres espèces, pour avoir envie d’en prendre soin. Il faut remettre en question nos ambitions, nos désirs. C’est tout notre instinct de « bâtisseur » qui est à revoir.

Découvrir : Habiter, c’est bâtir. C’est même dans notre nature. Le déséquilibre actuel est très récent, ce n'est enraciné très profondément. On sous-estime, je pense, notre capacité à faire autrement.

Charles-Mathieu Brunelle : On pourrait habiter notre planète avec tellement plus de légèreté. C’est un état d’esprit à modifier, une prise de conscience de notre impact individuel à réaliser. Je pense qu’il y a quelque chose de névralgique. Nous comprenons les enjeux environnementaux, les enjeux de la perte de la biodiversité, mais les intériorisons-nous?

Découvrir : Espace pour la vie aborde ce type d’expérience qui traverse l’intériorité.

Charles-Mathieu Brunelle : En effet, nous avons cette année développé ce que nous appelons des rencontres humain-nature. Une nuit au jardin, à la belle étoile, le regard au ciel, en compagnie d’aînés des Premières Nations racontant leur relation à la nature. Voilà qui fait le lien entre l’intellect et l’intime, la tête et le corps. Un mélange de réflexion et d’émotion qui laisse des marques. Un déclic se fait, nous laissant, au lendemain, un peu autre. Ou encore une promenade à l’aube, au moment où notre sensibilité est entière. Une conférence sur les bruits urbains, avec Catherine Guastavino, qui nous fait prendre conscience des sons qui symphonisent notre journée, ceux des espèces animales, puis des éléments, le vent dans les feuilles, par exemple. Les bruits humains aussi.

Francis Hallé
Page géante d'un carnet de Francis Hallé, au Jardin botanique de Montréal. Source : Espace pour la vie

Découvrir : Un travail sur l’affect. L’espace intérieur.

Charles-Mathieu Brunelle : Des musées comme les nôtres ne peuvent pas se contenter de dire : « On est en danger, il faut agir ». Nous devons inviter les citoyens à descendre en profondeur dans leur relation à la nature.

On a organisé des assemblées de cuisine autour de différentes thématiques. Les citoyens ont ouvert leurs portes et échangé avec des experts de nos institutions. Ils ont partagé leurs inspirations, leurs idées, leurs projets. Être connecté entre nous, c’est un autre niveau de connexion avec la nature.

Découvrir : Vous avez aussi beaucoup d’experts au sein de vos institutions où la recherche occupe une bonne place.

Charles-Mathieu Brunelle : On fait de la recherche au Jardin botanique quasiment depuis sa création, par le biais d’une collaboration avec l’Université de Montréal qui s’est concrétisée au sein de l’Institut de recherche en biologie végétale (IRBV). Les travaux dans le domaine des phytotechnologies, soit la résolution de problèmes environnementaux par les plantes, distinguent littéralement Montréal sur la scène internationale. En ethnobotanique, les chercheurs collaborent avec les communautés autochtones dans le nord du Québec, tant pour la préservation que pour la connaissance des plantes médicinales, et de la culture traditionnelle associée.

Au Biodôme,  nous travaillons sur le bien-être animal. La santé physique comme psychique des pensionnaires est au centre de nos préoccupations. Il y a aussi, depuis de nombreuses années, de la recherche participative sur la réintroduction de l’ail des bois en milieu naturel.

À l’Insectarium,  Mission Monarque, un grand programme de science citoyenne, permet de mieux comprendre l’habitat de reproduction du papillon au Canada.

Le Planétarium, pour sa part, a développé en peu d’années une belle expertise en termes de production de films scientifiques. Et avec l’arrivée d’Olivier Hernandez à titre de directeur, la recherche scientifique est en train de s’y organiser.

Ce ne sont que quelques exemples. Tous ces travaux se font à travers des collaborations. Avec les universités ou d’autres institutions à travers le monde, particulièrement le Museum national d’histoire naturelle, en France. Nous tenons également à mettre toutes ces activités de recherche en valeur. Nous occupons pour ce faire l’espace d’exposition du Centre sur la biodiversité de l’Université de Montréal, sur le site du Jardin botanique. Nous y organisons, par exemple, des tête-à-tête entre chercheurs et citoyens. Nous avons aussi, dans nos cartons, le projet d’une journée ou d’une nuit de la recherche.

Découvrir : Vos institutions sont un peu comme une figure publique de la recherche.

Charles-Mathieu Brunelle : Au fil des ans, nous avons acquis la réputation d’un lieu de savoirs fiable, d’un lieu de référence. Nos gens sont abondamment consultés. Pour une sous-espèce de la veuve noire qui monte au Québec. Pour un phénomène céleste inusité… Les écoles sont très présentes aussi. Plus de 600 000 jeunes fréquentent nos musées annuellement. Espace pour la vie, c’est une porte d’entrée qui permet de découvrir les sciences de manière concrète et interactive. C’est assez fascinant.

On a organisé des assemblées de cuisine autour de différentes thématiques. Les citoyens ont ouvert leurs portes et échangé avec des experts de nos institutions. Ils ont partagé leurs inspirations, leurs idées, leurs projets. Être connecté entre nous, c’est un autre niveau de connexion avec la nature.


  • Charles-Mathieu Brunelle
    Espace pour la vie

    Depuis août 2008, Charles-Mathieu Brunelle est directeur d’Espace pour la vie, le plus grand complexe muséal en sciences de la nature au Canada, regroupant le Biodôme, l’Insectarium, le Jardin botanique et le Planétarium Rio Tinto Alcan. Auparavant, il a été membre fondateur et premier directeur général de la TOHU. Il a également été associé à de nombreuses réalisations qui ont marqué la vie culturelle de Montréal, notamment à la Compagnie Marie Chouinard et à la Cinémathèque québécoise. Il a siégé à plusieurs conseils d’administration, dont le Conseil des arts et des lettres du Québec. [Source : Espace pour la vie]

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