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Manon Champagne, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
D'abord, une confession : depuis longtemps, je réfléchis et j'écris au sujet de la recherche-action et, plus largement, de la recherche participative, mais je ne me suis penchée que récemment sur le transfert des connaissances. En fait, c’est au moment de présenter une demande de subvention aux Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) que ce concept a commencé à susciter un réel intérêt chez moi.

[Sommaire du dossier Transfert]

Les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) utilisent plutôt l’expression « application des connaissances » (AC) pour désigner cette notion de transfert, et la définition qu’ils en offrent m’a plu d'emblée. En effet, je préfère qu'on mette l'accent sur l’échange mutuel de connaissances plutôt que sur la dimension linéaire que je perçois comme associée au terme « transfert »  (des chercheurs vers les utilisateurs). L’approche « intégrée » de l’application des connaissances m'a aussi attirée.

En préparant cette demande de subvention, j'ai pris conscience des liens étroits entre l’AC intégrée et la recherche participative ou la recherche-action.  La présente réflexion portera donc sur les questions suivantes :

  • Qu'est-ce que l’application des connaissances telle que définie par les IRSC?
  • Qu'est-ce que la recherche-action?
  • Quels sont précisément ces liens qui les unissent et qui en font souvent , selon moi, un « duo assorti »?

En conclusion, je soulignerai toutefois comment il peut être plus difficile d’associer sur certains aspects la recherche-action à l’application des connaissances.

De l'application des connaissances

Selon les IRSC (2015), l’application des connaissances englobe quatre éléments :

  • la synthèse;
  • la dissémination;
  • l’échange;
  • et l’application conforme à l’éthique.

Ces éléments sont au cœur d’un « processus dynamique et itératif » qui « s’insère dans un réseau complexe d’interactions entre les chercheurs et les utilisateurs de connaissances », ces derniers étant des personnes susceptibles « d’utiliser les connaissances issues de la recherche pour prendre des décisions éclairées au sujet de politiques, de programmes et/ou de pratiques en matière de santé ». L’échange de connaissances est ici associé à la notion d’apprentissage mutuel.

Toujours selon les IRSC, deux approches se côtoient en application des connaissances. D’abord, l’AC en fin de subvention, largement associée à la dissémination des résultats par les canaux traditionnels. Puis, l’AC intégrée, soit une vision de la recherche comme représentant un travail de collaboration entre les chercheurs et les utilisateurs de connaissances, et ce, tout au long du processus. Le postulat : cette collaboration encouragerait la production de résultats plus pertinents pour les utilisateurs et donc plus susceptibles d’être intégrés aux politiques, aux programmes et aux pratiques.

Si la première approche m’apparaissait familière, la deuxième m’a amenée non seulement à élargir ma conception de l’AC, mais aussi à considérer la pertinence de recourir à la recherche participative ou à la recherche-action dans le but de favoriser l’AC.

De la recherche-action

Selon Dolbec (2003), la recherche-action peut être définie comme « un système d’activités humaines qui vise à faire émerger un processus collaboratif dans le but de produire un changement dans le monde réel » (p. 527). Dubost (1988), pour sa part, la définit comme « une action délibérée, visant un changement dans le monde réel, engagée sur une échelle restreinte, englobée par un projet plus général et se soumettant à certaines disciplines pour obtenir des effets de connaissance ou/et de sens » (p. 45-46).

Ces deux définitions mettent en relief le caractère dynamique, transformateur et naturaliste de ce type de recherche. Toutefois, l'aspect systémique et le plus souvent participatif de la recherche-action est absent de la seconde définition, tandis que la visée de production de connaissances n’apparaît pas dans la première. En outre, toutes deux passent sous silence l'intention éducative, habituellement associée à ce type de recherche.

Sur le plan épistémologique, Savoie-Zajc (2001) distingue trois types de recherche-action (RA).

  • La RA technique, d'abord, associée au courant positiviste : le rôle du chercheur consiste à guider la démarche tout en demeurant un observateur objectif de la dynamique du groupe. Les participants ont un intérêt réel dans la recherche, car ils en retirent des bénéfices, mais ils n’en sont pas partie prenante;
  • Ensuite, la RA pratique, en lien avec le courant interprétatif : le chercheur  joue le rôle de facilitateur de la démarche de réflexion entreprise par un groupe d’individus participant activement à la recherche;
  • Enfin, la R-A émancipatrice, rattachée au courant critique : il s’y produit un partage complet des rôles et des responsabilités entre tous les participants, qui deviennent ainsi des cochercheurs à part entière.

Toujours d’après Savoie-Zajc (2001), le changement et le développement professionnels constituent les finalités essentielles de la recherche-action, bien qu’à des degrés divers selon l’approche retenue.

J’ai pour ma part adopté la recherche-action pratique, et c’est à partir de mes propres expériences que je me permettrai maintenant d’établir quelques liens entre la recherche-action et l’application intégrée des connaissances.

De la recherche-action « pratique »

Les changements produits par une recherche-action pratique sont de différents ordres, mais visent toujours une amélioration. Par exemple, des recherches auxquelles j’ai collaboré comme chercheuse principale ou comme directrice d’étudiantes à la maîtrise avaient pour but d’améliorer soit la formation de bénévoles souhaitant offrir du répit à des familles d’enfants gravement malades, soit le développement de la compétence culturelle chez des étudiantes en sciences infirmières, ou encore, les pratiques de communication entourant le processus de choix de soins en contexte de maladie grave.

Dans ces trois cas, la volonté de changement émanait des principaux acteurs concernés et de nouvelles pratiques ont pu être implantées. La transition a nécessité une collaboration serrée entre les chercheurs et les acteurs de chacun des milieux. Il y a eu d’abord l’établissement d’un comité de recherche composé des chercheurs et de représentants des acteurs concernés, puis l’implication de ce comité à chacune des étapes de la recherche, depuis la détermination des questions et des objectifs jusqu'à la diffusion des résultats.

Il m’apparaît que ce type de démarche correspond de manière très étroite au travail de collaboration mis en valeur dans l’approche d’AC intégrée proposée par les IRSC.

Le duo recherche-action et application des connaissances

La RA et l’AC constituent-elles un duo parfaitement assorti? Selon moi, cela n’est pas toujours le cas, puisque les liens entre elles en fin de subvention sont plus difficiles à établir. Pourquoi? D’abord, parce que les résultats découlant d’une recherche-action sont très contextualisés, limitant ainsi le nombre de milieux susceptibles de s’y intéresser. Ensuite, parce que le pôle « action » suscite immanquablement plus d’enthousiasme dans les milieux participants, ce qui expose le chercheur au risque de négliger le pôle « recherche » de la RA. Une dissémination limitée des résultats peut en découler, compromettant ainsi l’AC en fin de subvention.

Il apparaît donc essentiel pour le chercheur de savoir mettre en valeur non seulement les applications pratiques de son travail dans le milieu directement concerné, mais aussi sa contribution plus générale à l’avancement des connaissances. Enfin, il importe d’utiliser des moyens variés de diffuser les résultats, de façon que ceux-ci soient aussi pertinents et enrichissants pour les utilisateurs de connaissances que pour les chercheurs.

Il apparaît essentiel pour le chercheur de savoir mettre en valeur non seulement les applications pratiques de son travail dans le milieu directement concerné, mais aussi sa contribution plus générale à l’avancement des connaissances.

Références :

  • A. DOLBEC (2003). « La recherche-action », dans GAUTHIER, B. (dir.). Recherche sociale - De la problématique à la collecte des données, 4e éd., Sainte-Foy, Presses de l'Université du Québec, p. 505-540.
  • J. DUBOST (1988). « La question de la spécificité des recherches-action selon les champs », dans HUGON, M.-A. et al. (dir.). Recherches impliquées, recherches action : le cas de l'éducation, Bruxelles, De Boeck, p. 44-46.
  • INSTITUTS DE RECHERCHE EN SANTÉ DU CANADA (IRSC) (2015). À propos de l’application des connaissances, [En ligne]. [cihr-irsc.gc.ca/f/29418.html] (Consulté le 19 octobre 2015).
  • L. SAVOIE-ZAJC (2001). « La recherche-action en éducation : ses cadres épistémologiques, sa pertinence, ses limites », dans ANADON, M. (dir.). Nouvelles dynamiques de recherche en éducation, Saint-Nicolas, Les Presses de l'Université Laval, p. 15-49.

  • Manon Champagne
    Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue

    Manon Champagne a obtenu un doctorat en éducation de l’Université du Québec à Montréal en 2007, après avoir travaillé pendant dix ans comme éducatrice en milieu pédiatrique. Elle est professeure et chercheuse au Département des sciences de la santé de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, où elle offre des cours sur la fin de vie, la communication, la recherche qualitative et l’éthique de la recherche.

     

    Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n’engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

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