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Sébastien Danan, Journaliste
L’identité se fonde dans une histoire commune.

[Colloque 320 : La pratique de l’histoire régionale au Québec]

Nous quittons Rimouski pour fouler une péninsule, d’abord spirituelle, où atteindre la fin du chemin signifie aborder le réel en revenant sur les pas de nos ancêtres; ensuite bien réelle, la Gaspésie. Dans une région, sans université, où le Cégep prend en charge à la fois l’enseignement des générations futures et la recherche, tout en servant de pôle culturel local, Jean-Marie Thibeault a du pain sur la planche. Il l’agrémente volontiers d’un peu de morue séchée.

Enfant du pays, cet enseignant-chercheur d’histoire régionale au Cégep de la Gaspésie et des Iles, Campus de Carleton, traite des nouveaux modes de diffusion de celle-ci. Avec générosité. Depuis 25 ans Thibeault anime des tables rondes et forme les guides touristiques de la Route de la Morue en plus de tenir son cours d’histoire de la Gaspésie. Il signe une courte émission mensuelle pour Radio Canada et s’implique dans nombre de « causeries » populaires qui réunissent, à sa surprise, parfois jusqu’à 150 âmes.

Ramène ta buche… et ta gamelle

Vous comprendrez alors que par « nouveaux modes de diffusion », l’enseignant-chercheur ne tombe pas dans le panneau des technologies numériques, outils utiles, certes, mais qui ne remplacent ni n’augmentent le sens du contenu enseigné. Dans la salle de conférence, un powerpoint sommaire illustre son parlé naturel, non l'inverse. Et de son sac, Jean-Marie Thibeault nous sort une vieille gamelle cabossée, récupérée parmi les restes d’une maison éventrée, lors d’une promenade.

« Je veux donner faim aux gens »

De cette gamelle, vide mais pleine de sens, le chercheur nourrit nos esprits. Elle appartenait à un vétéran. Les premières troupes canadiennes à mourir pendant la deuxième guerre mondiale sont tombées à Hong Kong en 1941. Et 200 des 2000 mobilisés étaient de Gaspésie. Ça paraît anodin? Détrompez-vous!

Cette surreprésentation de la Gaspésie dans l’armée s’inscrit dans une série de manœuvres politiciennes consistant à utiliser la démographie à des fins très peu citoyennes. Contrairement aux idées reçues, la population de la Gaspésie double de 1851 à 1871, dopée par l’âge d’or de la morue séchée. Ce petit peuple sera maintenu dans l’ignorance et la pauvreté par une élite industrielle anglophone, à qui un régime « d’esclavagisme moderne » sied bien. On cache volontiers ce petit manège, mais en 1957 la grève de Murdochville fait un mort et sonnera le glas de l’ère Duplessiste, aidant à conduire le Québec vers la modernisation sociale.

Aujourd’hui, alors que le gouvernement Harper appelle les « Easterners » à peupler les provinces du nord-ouest, l’histoire se répète et nous aide à comprendre notre monde. Quelles conditions de travail attendent ces nouveaux exilés économiques dans des terres où les patrons, eux, sont toujours capitalistes et… anglophones?

Ça vous rappelle Mai 68, Bloody Sunday ou la ruée vers l’or? C’est que les histoires régionales sont analogues et contribuent toutes à notre grande Histoire, nous rappelle Jean-Marie Thibeault. Plus important encore, l’enseignant-chercheur fait prendre conscience, notamment auprès des jeunes, que l’identité se fonde dans une histoire commune.

« L’estime de soi est une chose, à valoriser, mais elle passe aussi par l’estime de nous. Dans une région comme la mienne, réaliser qu’on a fait de bons coups dans l’histoire, ça peut être constructif. »

Constructif on l’espère, car la Gaspésie se vide. Sortis du Cégep, les jeunes partent étudier ailleurs et souvent ne reviennent pas. C’est peut-être grâce aux historiens comme Jean-Marie Thibeault que l’histoire régionale, héroïne insoupçonnée, pourrait aider à comprendre ces phénomènes d’exode et inspirer le retour, heureux et durable, au pays.


  • Sébastien Danan
    Journaliste
    Présentation de l’auteurSébastien Danan est diplômé de l’Institut de la Communication et des Médias de l’Université Stendhal, Grenoble, et plus anciennement de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble. Bilingue et touche à tout, Il a travaillé et vécu en France, en Angleterre, le pays de son enfance, en Afrique du Sud, au Luxembourg et en Turquie, dans la communication mais aussi comme assistant de prof, technicien de théâtre et ouvrier du bâtiment, entre autres. Abreuvant sa soif de vadrouille et de découverte des cultures, il se trouve maintenant en stage à l’Acfas jusqu’à fin août, et participe donc au Congrès à Rimouski. Photographe et blogueur (shakeabone.wordpress.com), son expérience d’écriture est surtout académique et embrasse les sciences sociales, mais Sébastien aime rendre compte de tous genres de sujets, non sans un brin d’humour.

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