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Ethel Groffier, Université McGill
On ne peut pas s’opposer à une plus large accessibilité pour autant qu’elle soit fondée sur le mérite, pas plus qu’on ne peut refuser qu’une des tâches de l’université soit le service à la société dans laquelle elle se trouve. De là à accepter qu’elle soit transformée en entreprise commerciale régie par les lois du marché, que la liberté académique soit réduite à un cliché dénué de sens, que les recherches dépendent uniquement du bon vouloir des gouvernements et de l’industrie, il y a un pas qu’il faut se refuser à franchir.

Ce livre est le résultat d'une longue réflexion provoquée par la transformation de l'université à laquelle j'ai assisté au cours de ma carrière de professeure. Les coupes budgétaires répétées et la pression continue exercée par les gouvernements pour faire de l'institution un outil de formation de la main-d'œuvre nécessaire à l'industrie ont pratiquement réussi à la réduire à un rouage de l'«économie du savoir». Ses communications internes et externes ont évolué vers un jargon réducteur oscillant entre le discours démagogique et la publicité commerciale. Elle est censée gérer son capital humain (les professeurs et les chercheurs) de la façon la plus rentable afin d'ouvrir de nouveaux marchés pour attirer la meilleure clientèle étudiante par l'excellence de ses produits et services et se livrer à une concurrence, invariablement qualifié de féroce, avec les autres universités à grand renfort de coûteuses campagnes publicitaires.

Chercher l’équilibre dans un monde en mutation

Les universités, partout dans le monde, subissent l'influence de la mondialisation et du développement sans précédent de la technologie. Elles s'efforcent de s'ajuster à la concurrence entre établissements, aux variations dans l'appui du public, aux résistances aux frais de scolarité, à la critique de divers aspects de la vie universitaire, aux continuelles demandes de reddition de comptes et de transparence, aux multiples coupes budgétaires, aux progrès technologiques et aux difficultés inhérentes à toute bureaucratie.

Avec la récession de 2008, certains problèmes sont devenus aigus. Les gouvernements essaient de plus en plus d'orienter la recherche vers les secteurs importants pour l'économie du pays, et l'enseignement au gré des besoins en main-d’œuvre. Au Canada, les domaines d’élection sont, notamment, les ressources naturelles, la technologie, le Nord et la médecine. Les sciences humaines et sociales sont lentement ravalées au rang de parents pauvres. Les sciences pures, à la différence des sciences appliquées, ne sont pas beaucoup mieux logées.

Les sciences humaines et sociales sont lentement ravalées au rang de parents pauvres. Les sciences pures, à la différence des sciences appliquées, ne sont pas beaucoup mieux logées.

Ces développements joints aux particularités des systèmes de financement de l'enseignement supérieur ont entraîné la hausse des frais de scolarité partout en Amérique du Nord. Au Québec, les étudiants ont mené, en 2012, une lutte vigoureuse contre l’augmentation prévue par le gouvernement d’alors. Au-delà de la mesure immédiate, ils demandaient que le gouvernement s'assigne comme objectif la gratuité des études. Cette revendication touche à la nature même de l'enseignement supérieur. S'agit-il d'un service public financé par la société dans son ensemble ou d'un bien privé à acquérir par l'individu, l'étudiant-consommateur? À l'arrière-plan se profile aussi la question du genre de société dans laquelle nous voulons vivre. L'endettement étudiant a un effet nocif. Il restreint le choix de carrière du jeune diplômé – pas question de s'engager chez Médecins Sans Frontières si l'on a 60 000 $ à rembourser. La société elle-même est affectée si l'élite de demain doit renoncer à l'idéal.

Perceptions et attentes

La place de l’université dans la société se complique du fait que celle-ci a, à son égard, des perceptions et des attentes contradictoires : la plupart des gens imaginent l’université comme une communauté de savants occupés à la recherche de la vérité par le choc des idées, sans contraintes, sans hâte et dans une parfaite liberté. En même temps, ils s’attendent à ce que l’université produise efficacement et rapidement les connaissances nécessaires à l’amélioration des conditions de vie des citoyens et au développement économique du pays.

Il faudrait que l’université offre une éducation générale pour former des citoyens cultivés [...], dotés d’un esprit critique [...]. Il faudrait, également qu'elle prépare ses futurs diplômés pour le monde du travail.

Il faudrait que l’université offre une éducation générale pour former des citoyens cultivés, conscients de la valeur intrinsèque du savoir en dehors de toute finalité utilitaire, dotés d’un esprit critique, fiers de l’héritage culturel de leur pays. Il faudrait, également qu'elle prépare ses futurs diplômés pour le monde du travail. D’un côté, on voudrait l’université aussi largement accessible que possible, de l’autre, on s’attend à ce qu’elle n’accepte que les meilleurs étudiants pour maintenir des standards élevés et assurer la valeur des diplômes.

Revisiter les fondements

Dans une période où le gouvernement fédéral mène une véritable guerre aux bibliothèques, aux archives et à toute entreprise intellectuelle qui ne lui paraît pas présenter une utilité économique immédiate, il me semble qu'il est temps de se poser quelques questions fondamentales : quelles sont l’éducation et les recherches pertinentes pour le XXIe siècle? Qui voulons-nous former et pour quoi? Quelles qualités d’esprit voulons-nous cultiver? Quel type de citoyens voulons-nous pour promouvoir la démocratie? Quelle est la responsabilité des chercheurs, des professeurs et de l'institution qui les abrite?

Dans l’ouvrage, je commence d’ailleurs par décrire la catastrophe qui nous attend si nous ne nous les posons pas et si nous continuons à nous diriger vers le modèle entrepreneurial de l’université. Après avoir esquissé les critiques adressées récemment à l'institution et la vision qu'en ont ceux qui voudraient la réformer, j’aborde ses différents aspects : l'enseignement, la recherche, le service à la communauté, le rôle de la technologie, les évaluations incessantes aux fins de classements académiques réducteurs et purement quantitatifs. J'insiste particulièrement sur le souci de l'éthique, la responsabilité de l'université et de ses membres à l'égard de la société.

De la vigilance à l’action

L'institution, les professeurs et les chercheurs ont un devoir de vigilance quant à la tendance à la commercialisation de l'enseignement et de la recherche pour préserver l'intégrité et la liberté intellectuelles et éviter que l’enseignement supérieur ne devienne un simple objet de consommation à l’obsolescence planifiée.

On ne peut pas, à notre époque, s’opposer à une plus large accessibilité pour autant qu’elle soit fondée sur le mérite, pas plus qu’on ne peut refuser qu’une des tâches de l’université soit le service à la société dans laquelle elle se trouve. De là à accepter qu’elle soit transformée en entreprise commerciale régie par les lois du marché, que la liberté académique soit réduite à un cliché dénué de sens, que les recherches dépendent uniquement du bon vouloir des gouvernements et de l’industrie, il y a un pas qu’il faut se refuser à franchir.

Il faut agir. À l'intérieur de l'institution, il faut tenir compte de l’influence et de l’importance du langage. Si les professeurs refusaient en masse d’employer le jargon comptable et s’élevaient systématiquement contre son usage dans les documents universitaires, la culture de l’institution finirait par se modifier. Les chercheurs, en particulier ceux qui dirigent les équipes de recherche, peuvent et doivent se pencher sur l'aspect éthique des recherches qu'ils se proposent d'entreprendre. Ils doivent soulever la question de leur finalité devant les comités d'éthique et insister pour que soient examinées les conséquences possibles des travaux envisagés. Pour se protéger et sauvegarder la réputation de leur institution, il leur faut étudier soigneusement toutes les exigences du partenaire de l'université, gouvernement ou entreprise, afin de découvrir et s’il y a lieu de refuser celles qui seraient susceptibles de les mettre devant un dilemme moral ou un conflit d'intérêts. Le personnel enseignant et l'administration doivent promouvoir la culture académique qui se trouve au cœur de ce qu’est et doit être une université, même si cette culture ne se laisse pas facilement évaluer à l’aide d’indicateurs de performance ou de rendement de l’investissement.

L'action en dehors de l'université est tout aussi importante. Pour persuader le public que l'université a un rôle de premier plan à jouer dans la cité, il faut communiquer avec ce public.

L'action en dehors de l'université est tout aussi importante. Pour persuader le public que l'université a un rôle de premier plan à jouer dans la cité, il faut communiquer avec ce public. Si trente à quarante pour cent de la population envoient leurs enfants à l’université, on peut considérer que ces gens estiment que des études universitaires sont chose souhaitable. Il faut répéter inlassablement à ces électeurs l’importance de la recherche libre pour la société, en illustrant son propos par des exemples. Il faut montrer ce que l’université fait de bien, d’utile dans tous les domaines. Le contribuable, cet être mythique derrière lequel se cache le pouvoir quand il veut faire avaler une pilule amère, cet épouvantail, derrière lequel s’abritent les gouvernements de toutes couleurs pour faire passer les coupes budgétaires et promouvoir les programmes du capitalisme néolibéral, est parfaitement à même de se rendre compte que l’université n’est pas un luxe.

L'université et tous les citoyens dignes de ce nom ont donc une obligation de vigilance pour sauvegarder une des rares institutions (encore) suffisamment indépendantes pour s'opposer au capitalisme sauvage et qui peut tenter de ramener la société au souci du bien commun.


  • Ethel Groffier
    Université McGill

    Ethel Groffier est présentement chercheure émérite au Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé, Université McGill, après une carrière de professeure de droit dans la même université. Elle a écrit plusieurs ouvrages de droit ainsi que sur les institutions du XVIIIe siècle, notamment, Le stratège des Lumières. Le comte de Guibert (1743-1790), Champion, 2005; Un encyclopédiste réformateur. Jacques Peuchet (1758-1830), Presses de l’Université Laval, 2009; Criez et qu’on crie! Voltaire et la justice pénale, Presses de l’Université Laval, 2011.

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