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Guy Drouin, Université d'Ottawa
Le SIDA nous a été transmis par des espèces sauvages, les chimpanzés et les gorilles. Mais c’est un phénomène rare. En fait, la majorité de nos maladies infectieuses proviennent des animaux domestiques. Les plantes domestiques influencent aussi notre bagage génétique, mais de manière plus subtile.

  Un voisinage contagieux

Les habitants du Croissant fertile ont été les premiers à domestiquer les plantes (orge et blé) et les animaux (vaches, chèvres, moutons et porcs) il y a environ 10 000 ans. Des « profits » qu’ils en tirèrent, une civilisation émergea : écriture, arts, sciences, etc. Ainsi, l’invention de l’agriculture permit le développement de ces grandes populations sédentaires et la fréquentation nouvelle d’un micro-peuple.

La domestication d’espèces mammifères implique un contact journalier. De plus, spécialement dans le cas des animaux dont on tire le lait, ces contacts sont très « intimes ». Intimité qui s’étend au partage de bactéries et de virus. Quoique les transferts viraux entre espèces soient très rares, ces « liaisons dangereuses »  augmentent leur probabilité. De fait, ils se sont produits à plusieurs occasions au cours de notre histoire. Par exemple :

  • Le virus de la rougeole, apparu vers le 11e siècle, a évolué à partir du virus de la peste bovine. Malgré le fait qu’un vaccin efficace existe pour cette maladie, on estime que 158 000 personnes, en majorité des enfants de moins de cinq ans, sont mortes de la rougeole en 2011. La majorité de ces décès par rougeole sont observés dans des pays à faible revenu ayant des systèmes de santé peu développés (http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs286/fr/).
  • La bactérie de la tuberculose (Mycobacterium tuberculosis) peut aussi nous provenir des vaches. Elle est transmise soit par voie aérienne, soit par voie digestive après ingestion de viande contaminée ou de lait non pasteurisé. En fait, avant la pasteurisation du lait, 1,3 % des cas de tuberculose humaine étaient d’origine bovine. Des études récentes suggèrent que la bactérie Mycobacterium bovis des vaches et celle des humains ont probablement évolué à partir de la même bactérie ancestrale (Pearce-Duvet 2006). Cela suggère que les animaux domestiques ne sont pas la source de cette maladie infectieuse. Ils en sont simplement des porteurs « familiers »; les animaux sauvages sont la source des pathogènes responsables de la tuberculose.
  • Il existe plusieurs types de virus de la variole et tous sont apparentés à la variole des vaches et des chevaux. En fait, Edward Jenner, scientifique et médecin du 18e siècle, observa que les femmes trayeuses de vaches souffrant de vaccine (une variété peu virulente de la variole) n’étaient presque jamais éprouvées par la variole. Déduisant un effet immunisant, il a confirmé son hypothèse en infectant un jeune garçon avec du pus provenant des mains d’une trayeuse infectée et en démontrant que ce traitement avait protégé le garçon contre la variole.
  • La grippe (virus de l’influenza) affecte les oiseaux, les porcs, les phoques, et les êtres humains. Les virus qui nous infectent proviennent généralement de porcs ou d'oiseaux. Le virus H1N1/09 de la pandémie de 2009 était d’origine porcine. La souche du H1N1, responsable de la grippe espagnole qui a tué de 30 à 100 millions de personnes en 1918 et 1919, était d’origine aviaire (Taubenberger et coll. 2005). De plus, les virus porcins peuvent se combiner aux virus aviaires.
  • Nous avons aussi été infectés par des maladies transmises par des animaux attirés par nos entrepôts de nourriture. L’exemple le plus dramatique est sans aucun doute la transmission de la bactérie Yersinia pestis, responsable de la peste. Cette bactérie costaude est généralement transmise par les puces du rat noir.

Maladies de « foule »

Ces maladies héritées de nos animaux domestiques sont dites « de foule »: elles ne survivent que dans les grandes populations. Dans de petits groupes, toutes les personnes en meurent, ou encore, les survivants deviennent résistants. Dans les deux cas, la maladie ne persiste pas. Par contre, dans une vaste population, elle migre d’une région à une autre, puis revient aux premières zones infectées lorsque suffisamment de nouveaux bébés non résistants sont « disponibles ». Par exemple, des études ont démontré que la rougeole ne peut survivre dans une population de moins de 500 000 habitants (Diamond 2000).

Toutes ces maladies ont forgé notre histoire. La  grippe espagnole de 1918 et 1919 aurait fait de 30 à 100 millions de victimes. Lorsque le Canadien Pacifique a construit le chemin de fer transcanadien autour de 1880, les Amérindiens de la Saskatchewan sont morts de tuberculose à un taux de 9 % par année. Les maladies infectieuses, et en particulier la variole, apportées par les Européens ont tué environ 95 % des Amérindiens présents avant la conquête (Diamond 2000) – les Amérindiens n’avaient pas fréquenté de vaches ni de cochons et n’avaient pas les gènes nécessaires pour résister à ces maladies. Et la liste pourrait s’allonger…

Fréquentation et immunité

La fréquentation des animaux domestiques a ainsi transformé le bagage génétique des populations exposées, leur procurant une immunité.

Dans le cas de la tuberculose, des études ont démontré que le degré de résistance d’une personne avait une base génétique. Les juifs ashkénaze, dont plusieurs ancêtres sont morts de tuberculose dans les ghettos européens, y sont très résistants. À l’inverse, les Africains d’Afrique du Sud, jamais exposés, sont morts en grand nombre lorsque les Européens tuberculeux sont débarqués pour se soigner dans ce pays « miraculeux » dépourvu de tuberculose (Stead 1992). L’étude de Hui Pan, et de ses collègues (2005), a démontré qu’une fraction significative de la résistance à la tuberculose est due à une mutation dans le gène SP110 des humains. 

Chez les Européens, la sélection naturelle pour la résistance à la variole permet maintenant à certains d’entre eux de résister au SIDA! L’analyse de l’évolution de ce gène a permis de calculer que cette mutation s’est produite il y a environ 700 ans, en Scandinavie, et que son avantage sélectif, alors que le SIDA n’existait pas encore chez les humains, était probablement de conférer une résistance au virus de la variole (Galvani et Slatkin 2003). Cette résistance est le résultat d’une mutation dans le gène codant pour le récepteur de chimiokines CCR5, utilisé par le VIH de type 1 pour pénétrer dans les macrophages et les cellules T CD4+ de notre système immunitaire. La fréquence de ce gène mutant étant d’environ 10 %, 1 % des Européens en ont deux copies et sont complètement immunisés contre le VIH, tandis que le SIDA se développe plus lentement chez les 10 % d’Européens qui n’ont qu’une copie mutante.

Finalement, il n’y a pas que nos animaux domestiques qui ont influencé notre évolution; les plantes que nous mangeons, ou ne mangeons pas, l’ont aussi fait. Par contre, leurs  effets sont loin d’être aussi dramatiques que ceux des maladies héritées de nos animaux domestiques. L’étude de Perry et coll. (2007) a démontré que le nombre de gènes permettant de digérer l’amidon (le gène codant pour l’amylase) a augmenté de 5 chez les populations ayant une diète pauvre en amidon à 7 chez les populations ayant une diète riche en amidon. À l’inverse, 10 % des Inuits du Groenland, une population qui consomme peu de sucre, sont dépourvus de gènes leur permettant de digérer le sucrose (McNair et coll. 1972). Notre bagage génétique reflète donc ce que nous mangeons.

En conclusion, nos animaux et plantes domestiques influencent notre bagage génétique et ont influencé notre évolution. Par contre, comme nous allons le voir le mois prochain, nous avons aussi eu une importance significative sur leur évolution.

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Références :

  • Diamond, J. (2000). De l'inégalité parmi les sociétés.
  • Galvani A.P.,  et M. Slatkin (2003). « Evaluating plague and smallpox as historical selective pressures for the CCR5-?32 HIV-resistance allele », Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 100 : 15276-15279.
  • McNair et coll. (1972). « Sucrose malabsorption in Greenland », Br Med J., 2(5804) : 19-21.
  • Pan et coll. (2005) « Ipr1 gene mediates innate immunity to tuberculosis », Nature, 434 : 767-772.
  • Pearce-Duvet, J.M. (2006). « The origin of human pathogens: evaluating the role of agriculture and domestic animals in the evolution of human disease », Biol Rev Camb Philos Soc., 81 : 369-382.
  • Perry et coll. (2007). « Diet and the evolution of human amylase gene copy number variation », Nature Genetics, 39 : 1256-1260.
  • Sread, W.W. (1992). « Genetics and resistance to tuberculosis », Annals of Internal Medicine 116 : 937-941.
  • Taubenberger et coll. (2005). « Characterization of the 1918 influenza virus polymerase genes », Nature 437 : 889-893.

  • Guy Drouin
    Université d'Ottawa

    Guy Drouin est professeur titulaire à l’Université d’Ottawa depuis 1990. Il détient un doctorat en génétique de l’Université de Cambridge, et il a poursuivi ses études postdoctorales à l’Université Harvard. Ses recherches portent sur l’évolution des gènes et des génomes. Il enseigne la génétique, l’évolution moléculaire et la génétique évolutive des humains. Il s’intéresse aussi à l’enseignement des sciences en milieu minoritaire.

     

    Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n'engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

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