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Guy Drouin, Université d'Ottawa
L’horloge moléculaire ne sert pas qu’à dater les temps de divergence entre les espèces. Elle peut aussi servir à dater des évènements aussi divers que l’invention des vêtements et le temps d’origine du sida.

Dater l’invention des vêtements

Il y a environ 1,2 million d’années, l’évolution a fait de nos ancêtres des « singes nus » (chronique Nu au soleil). Cette perte de poils est une adaptation qui a probablement permis de mieux contrôler la température du cerveau en offrant une grande surface pour transpirer. Puis, pour remplacer cette pilosité, ces dits ancêtres se sont mis à tailler dans les peaux pour couvrir ce corps somme toute assez vulnérable.

On sait que la plus vieille aiguille connue date de 40 000 ans; les vêtements ont donc été inventés avant, quelque part entre cette date et le moment où l’on a perdu nos poils. Mais quand? Une approche originale consiste à utiliser l’horloge moléculaire et les gènes de nos poux!

La logique est relativement simple. Lorsque nous avons perdu nos poils, les poux ont dû se résigner à ne vivre que sur notre tête, le dernier repère de chaleur et d’humidité! Par contre, avec l’apparition des vêtements, les poux ont colonisé le reste de notre corps. Ceci a donné naissance à deux sous-espèces : le pou de tête, la sous-espèce Pediculus humanus capitis, qui vit exclusivement dans notre chevelure, et le pou de corps, la sous-espèce Pediculus humanus humanusm, qui vit dans nos vêtements et se nourrit de notre sang.

Kittler et ses collègues (2003) ont séquencé des gènes d’ADN mitochondrial - parce que ces gènes évoluent rapidement (chronique À l'heure de l'horloge moléculaire) - chez ces deux sous-espèces et chez le chimpanzé. Les séquences de chimpanzés, qui ont eu leur dernier ancêtre commun avec nous il y a environ 5,5 millions d’années, ont servi pour calibrer le taux d’évolution de ces gènes mitochondriaux.

La comparaison des gènes des poux de tête et des poux de corps a confirmé que ces derniers ont bel et bien évolué à partir des premiers. Aussi, on a estimé que ces deux sous-espèces ont eu leur dernier ancêtre commun il y a environ 72 000 ans (± 42 000 ans), soit tout près des premières traces de couture. Mais, il subsiste toujours une grande incertitude quant à cette datation, et elle vient du fait qu’elle n’est basée que sur deux gènes relativement courts.

Cependant, cette date est intéressante parce qu’elle est similaire à celle de l’apparition de l’art. En fait, les premières évidences artistiques connues sont les outils décorés et les bijoux découverts dans la caverne Blombos en Afrique du Sud, soit de 80 à 100 000 ans. Comme quoi archéologie et horloges moléculaires peuvent se compléter!

Dater l’origine de l’épidémie du sida

Il y a eu plusieurs théories sur l’origine du sida, depuis celle du KGB qui affirmait que c'était une arme biologique développée par le Pentagone jusqu'aux hypothèses de transmission durant les campagnes de vaccination antipolio en Afrique. Par contre, l’hypothèse la plus vraisemblable est que cette maladie aurait initialement été transmise des singes aux humains lors de contacts par des morsures, ou par des blessures se produisant en dépeçant le gibier simiesque, ou encore, par la consommation de viande crue, ou insuffisamment cuite. Par la suite, les campagnes de vaccination auraient joué un rôle de dissémination.

Cette hypothèse singe-humain est appuyée par l’arbre phylogénétique, situé à droite (adapté de Van Heuverswyn et coll., 2006). De plus, cet arbre, construit à partir des séquences de gènes des virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et de virus de l'immunodéficience des simiens (VIS), démontre clairement que le VIH est apparu trois fois chez les humains. 

Les variétés M et N ont clairement été héritées des chimpanzés, mais la variété O fut  soit héritée des gorilles, soit transmise des chimpanzés aux gorilles et aux humains de façon indépendante. La variété M (pour « Major » ou « Main ») est responsable de l’épidémie. Étant donné que ce virus a déjà été transmis trois fois aux humains, il n’est pas impossible qu’il le soit encore dans le futur.

Est-ce que la variété M du virus du sida est récente ou lointaine? Cette question est importante pour mieux comprendre la maladie. Étant donné que cette épidémie n’a commencé officiellement que le 5 juin 1981, les informations génétiques la concernant sont très récentes. Il a donc fallu extrapoler la passé du virus à partir des échantillons sanguins disponibles depuis 1983. La figure ci-dessous résume les résultats obtenus (adapté de Korber et coll., 2000).

Découvrir, le #MagAcfas : Poux ou virus : la datation par les gènes, par Guy Drouin, Université d'Ottawa.En comparant le pourcentage de différence entre les séquences actuelles (virus isolés à partir de patients) et la séquence « ancestrale » dite « consensus » (déduite à partir de toutes les séquences actuelles), et en extrapolant à 0 % de différence, ces auteurs ont prédit une date d’origine de la variété M à 1931 (avec une incertitude allant de 1915 à 1941). De plus, ils ont été capables de vérifier cette date en se servant d’un échantillon de sang, l’échantillon ZR59, prélevé chez un homme de Kinshasa en 1959. En comparant le pourcentage de différence que le virus de cet homme avait avec la séquence virale ancestrale (7 %), ils ont déduit que cet échantillon datait de 1957. Cette évidence a donc validé leur approche basée sur l’horloge moléculaire du virus.

 

Note :

  • 1.  Les séquences actuelles sont comparées avec la séquence « consensus »  pour mesurer le pourcentage de différence entre les deux. Ainsi, si 80 % de toutes les séquences actuelles ont un nucléotide A à une position, on suppose que la séquence ancestrale avait un nucléotide A à cette position.

Références :

  • KITTLER et coll. (2003). « Molecular evolution of Pediculus humanus and the origin of clothing », Current Biololy, 13:1414-1417.
  • KORBER et coll. (2000). « Timing the ancestor of the HIV-1 pandemic strains », Science, 288: 1789-1796.
  • VAN HEUVERSWYN et coll. (2006). « Human immunodeficiency viruses: SIV infection in wild gorillas », Nature, 444: 164.

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  • Guy Drouin
    Université d'Ottawa

    Guy Drouin est professeur titulaire à l’Université d’Ottawa depuis 1990. Il détient un doctorat en génétique de l’Université de Cambridge, et il a poursuivi ses études postdoctorales à l’Université Harvard. Ses recherches portent sur l’évolution des gènes et des génomes. Il enseigne la génétique, l’évolution moléculaire et la génétique évolutive des humains. Il s’intéresse aussi à l’enseignement des sciences en milieu minoritaire.

     

    Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n'engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

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