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Guy Drouin, Université d'Ottawa
Au cours de l’histoire, des individus et des institutions ont prêché la "purification" de notre espèce de ses "mauvais" gènes. Or, la génétique moderne démontre que non seulement ce n’est pas possible, mais qu'en plus, nos choix de vie vont produire de plus en plus de mutations.

L’eugénisme négatif

Le mot eugénisme désigne l’ensemble des pratiques visant à améliorer l’espèce humaine. Ce terme, qui veut dire littéralement « bien naître », est issu du grec « eu » (bon) et « genos » (naissance, race). Il aurait été utilisé pour la première fois en 1883 par Francis Galton, un scientifique britannique qui a fait la promotion de cette science sa vie durant. À cette époque, selon Zeynep Kivilcim-Forsman, les notions d’hérédité biologique étaient vagues et l’eugénisme se fondait sur l’idée de race et de supériorité des peuples du Nord sur les autres. Mais maintenant que les mécanismes moléculaires de l’hérédité sont bien connus et que l’on peut ajouter des bouts au génome ou en retrancher, ne pourrions-nous pas éliminer à la source bon nombre de maladies? Peut-on être maître des mutations?

Il ya deux types d’eugénisme : l’eugénisme positif, qui a pour but de favoriser l’obtention d’individus sains, et l’eugénisme négatif, qui vise à éliminer les maladies génétiques et les handicaps. C’est du deuxième dont il est ici question.

La persistance des défauts

Revenons d’abord sur quelques notions de base. Nous avons deux copies de chaque gène (voir la chronique de février 2013). Cette redondance nous prémunit contre la majorité des maladies génétiques parce que, généralement, une seule copie fonctionnelle d’un gène suffit pour que l'individu soit « normal ». Les possibilités sont illustrées ci-dessous pour une partie d’une paire de chromosomes autosomiques (non sexuels), le chromosome bleu ayant été hérité d’un parent et le rose de l’autre. 

Cette représentation schématique montre 7 gènes (lettres) sur les quelque 21 000 distribués sur nos 23 chromosomes, soit environ 1 000 gènes par chromosome. Les lettres majuscules renvoient à des gènes fonctionnels, les minuscules à des gènes non fonctionnels, et le E marqué d’un X, à un gène létal.
  • La première paire est formée des chromosomes d’une personne dite « normale » parce qu’elle possède une copie fonctionnelle de chacun des 7 gènes.
  • La deuxième paire est formée des chromosomes d’une personne affectée par la maladie correspondant à l’absence d’un gène B fonctionnel. Par exemple, si B est le gène CFTR fonctionnel, elle souffrira de fibrose kystique.
  • La troisième paire présente le lourd héritage d’un individu non viable : l’absence de gène E fonctionnel entraîne la mort de l’embryon ou une mort précoce. Par exemple, l’absence de gène FOXP2 fonctionnel (voir la chronique d'avril 2013) provoque la mort des souris après environ 21 jours en raison d’un développement insuffisant des poumons.  

Purification et probabilités

Si l'on voulait « purifier » notre espèce de ses maladies génétiques, il faudrait éliminer tous les gènes défectueux. Par exemple, pour éradiquer la fibrose kystique, il faudrait empêcher non seulement les personnes affectées par cette maladie de se reproduire, mais aussi celles qui sont porteuses du gène CFTR endommagé.

La fréquence de cette maladie chez les Canadiens étant d’une personne sur 2 500 (2 copies défectueuses du gène CFTR) ), un Canadien sur 50 est porteur. La probabilité que deux parents normaux aient un enfant affecté par cette maladie est donc de 1/50 x 1/50 = 1/ 2 500. Ainsi, pour chaque personne malade, il y en a 50 qui sont porteuses. En d’autres mots, la grande majorité des gènes défectueux se trouvent chez les innocents porteurs!

Pour éradiquer la fibrose kystique, il faudrait « stériliser » environ 2 % des Canadiens. Et nous n'en serions qu’à la première maladie génétique… De plus, la plupart d'entre nous sont porteurs d’une mutation létale (Bittles et Neel 1994) et de quelque 100 gènes ayant perdu leur fonction – qui heureusement, pour la grande majorité d'entre eux n’ont pas des fonctions aussi importantes que celle du gène CFTR (MacArthur et coll. 2012). Devrait-on stériliser tout le monde 101 fois? Poser la question, c’est y répondre!

Procréation tardive et brouillage génétique

Non seulement ne peut-on pas éliminer les gènes défectueux de notre bagage génétique, mais nos choix de vie en produisent d’autres. Et tout particulièrement, le fait que plusieurs d’entre nous décidons d’avoir leurs enfants tardivement.

Dans ce petit jeu à deux, chacun contribue, mais inégalement. Du côté des femmes, le vieillissement amène de plus en plus de gamètes qui auront trop ou pas assez de chromosomes; ces erreurs augmentent de façon significative après l’âge de 36 ans. Elles résultent, en partie, du fait que les filaments responsables de la migration des chromosomes dans les gamètes sont de moins en moins performants avec l’âge (Pellestor 2004, Crow 2000). Par exemple, si l’œuf contient deux chromosomes 21 plutôt qu’un seul, elles donneront naissance à un enfant souffrant du syndrome de Down (trisomie 21). S’il ne contient pas de chromosomes X, elles pourront donner naissance à une fille si le père contribue un chromosome X, mais cette fille souffrira du syndrome de Turner.

Chez les hommes, la spermatogenèse est un processus continu. Il n’y a donc pas de problème de mauvaise ségrégation des chromosomes dû à l’âge. Leurs gamètes n’ont que très peu de chromosomes surnuméraires ou manquants. Par contre, pour produire les spermatozoïdes, l’ADN est continuellement répliqué. En moyenne, un homme de 15 ans aura déjà répliqué (c.-à-d., produit deux doubles hélices à partir d’une seule - voir Figure 1) son ADN 35 fois; un homme de 30 ans, 380 fois; et un homme de 50 ans, 840 fois (Crow 2000). Étant donné que la grande majorité des mutations proviennent d’erreurs de réplication de l’ADN, plus un homme est âgé, plus il donnera des mutations à ses enfants, c’est-à-dire plus il aura de gènes non fonctionnels. À l’inverse, les femmes, tout au long de leur vie, n’auront répliqué leur ADN que 24 fois.

Ce rôle du père dans les mutations a récemment été confirmé quand on a séquencé les génomes de 79 trios parents-enfants islandais (Kong et coll. 2012). L'étude a démontré que le taux de mutation était de 1,2 x 10-8 mutations par nucléotide par génération, que les pères contribuaient en moyenne à 4 fois plus de mutations que les mères (55 versus 14) et que les hommes de 36 ans et de 70 ans transmettaient 2 fois et 8 fois plus de mutations à leurs enfants qu’un homme de 20 ans, respectivement.

Ainsi, non seulement il n’est pas possible de purger notre espèce de ses mutations en empêchant certaines personnes de se reproduire, mais il sera aussi difficile de réduire la procréation tardive. Le nombre de mutations ira donc en augmentant. Pour le moment, la situation n’est pas dramatique. Par contre, la situation pourrait devenir beaucoup plus sérieuse (Lynch 2010). Clairement, comme l’intérêt composé de nos placements bancaires, donner deux fois plus de mutations pendant une génération ou deux n'est pas catastrophique, mais pendant des dizaines de générations...

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Références :

  • KIVILCIM-FORSMAN (2003). « L'eugénisme et ses diverses formes », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 54 : 515-535.
  • BITTLES ET NEEL (1994). « The costs of human inbreeding and their implications for variations at the DNA level », Nature Genetics, 8 : 117- 121.
  • MACARTHUR ET COLL. (2012). « A systematic survey of loss-of-function variants in human protein-coding genes »,  Science, 335 : 823-828.
  • PELLESTOR (2004). « Âge maternel et anomalies chromosomiques dans les ovocytes humains »,  Médecine Sciences, 20 : 691-696.
  • CROW (2000). « The origins, patterns and implications of human spontaneous mutation », Nature Review Genetics, 1 : 40-47.
  • KONG ET COLL. (2012). « Rate of de novo mutations and the importance of father’s age to disease risk »,  Nature, 488 : 471-475.
  • LYNCH (2010). « Rate, molecular spectrum, and consequences of human mutation»,  Proceedings of the National Academy of Sciences, USA, 107 : 961-968.

  • Guy Drouin
    Université d'Ottawa

    Guy Drouin est professeur titulaire à l’Université d’Ottawa depuis 1990. Il détient un doctorat en génétique de l’Université de Cambridge, et il a poursuivi ses études postdoctorales à l’Université Harvard. Ses recherches portent sur l’évolution des gènes et des génomes. Il enseigne la génétique, l’évolution moléculaire et la génétique évolutive des humains. Il s’intéresse aussi à l’enseignement des sciences en milieu minoritaire.

     

    Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n'engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

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