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Roberto Quezada García, Université Laval
Aussi loin que remonte le registre dendrochronologique, soit environ 500 ans, on retrouve la présence de la tordeuse dans les forêts d’Amérique du Nord. Cette donnée indique une coévlution réussie entre sa biologie, le climat et les résineux.

La plupart grandissent promptement, se reproduisent rapidement et, pour ne rien céder au hasard, laissent derrière eux une nombreuse descendance. Cette vie frénétique des insectes n’en a pas moins des impacts majeurs sur les écosystèmes. Durant sa période de croissance, par exemple, la tordeuse peut dévaster une forêt en un rien de temps. Que se passe-t-il quand, par le jeu des variations climatiques, la nourriture printanière n’est pas prête au réveil de ses jeunes larves, prêtes à croître après un long hiver de jeune?

La tordeuse des bourgeons de l’épinette ou TBE

Connue par les scientifiques sous le nom de Choristoneura fumirefana (Clem.), la TBE est l’un des insectes les plus problématiques pour l’industrie forestière de l’Amérique du Nord quand les conditions favorisent son développement à l’échelle épidémique. Au Canada, ce défoliateur indigène se retrouve de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve. Au Québec, entre 1974 et 1988, le puissant ravageur a détruit plus de 55 millions d’hectares de forêts de résineux, soit plus de 1000 fois la taille de l’île de Montréal.

Même si on le nomme tordeuse des bourgeons de l’épinette, son premier choix est le sapin baumier. Si cet hôte principal est absent, l’épinette blanche fait l’affaire. En conditions d’infestation, l’insecte élargit son menu à l’épinette noire et rouge.

La présence de la tordeuse n’est pas toujours de nature épidémique, et, règle générale, elle joue un rôle écologique important en attaquant principalement les hôtes âgés. Elle aide ainsi grandement au renouvellement des forêts.

Une vie en plusieurs temps

La TBE est un insecte univoltin, c’est-à-dire qu’il produit une génération par année. Son cycle vital se déroule en plusieurs étapes. Le tout s’amorce par un œuf, suivi de six stades larvaires, puis d’un stade intermédiaire entre larve et adulte, la chrysalide, et finalement, de la maturité. Ce cycle se déroule sur un an : au deuxième stade larvaire, les jeunes chenilles entrent en dormance pour toute la saison hivernale. La vie active reprend au printemps, du troisième stade larvaire jusqu’au stade adulte.

Au début de mai, les jeunes chenilles se réveillent en synchronie avec le débourrement des bourgeons de l’année courante. Ces bourgeons sont pour elles la meilleure des nourritures. Le développement des larves se poursuit en juillet. Puis, au début août, elles deviennent chrysalides, pour se métamorphoser en papillons une dizaine de jours plus tard. Quand les adultes-papillons émergent, ils s’accouplent et les femelles pondent leurs œufs sur les aiguilles des résineux. Quelques jours après, les œufs éclosent. Les larves du premier stade cherchent tout de suite refuge dans les cicatrices florales de l’arbre pour y passer l’hiver. Puis, les jeunes chenilles passent au deuxième stade larvaire, l’hibernation. Elles survivront uniquement grâce aux réserves transmises par leurs mères.

Coévoluer avec sa nourriture

Aussi loin que remonte le registre dendrochronologique, soit environ 500 ans, on note la présence de la tordeuse dans les forêts d’Amérique du Nord. Cette donnée indique une coévolution réussie entre sa biologie, le climat et les arbres-hôtes.

L’adaptation de la tordeuse à son environnement lui permet de prospérer dans la composition forestière actuelle, de profiter des ressources sur une période de temps limitée et de se protéger contre les effets nuisibles de l’hiver. Sa stratégie adaptative consiste à réduire la compétition pour la nourriture avec les autres espèces moins hâtives, à éviter la prédation et à arrêter avantageusement son développement pendant l’hiver, en attendant des conditions plus adéquates.

Comme dans toute population, il y a des variations génétiques entre les individus. C’est cette variabilité qui permet à certaines espèces d’insectes d’avoir une bonne performance sur un grand territoire. Par exemple, on constate que toutes les essences ne débourrent pas en même temps. Aussi, il y a quelques semaines de différence entre le début de la saison en Outaouais et sur la Côte-Nord. Finalement, les recherches montrent que la qualité et la quantité de nourriture varient considérablement selon l’altitude et la latitude. Ainsi, dans un milieu hétérogène, une population hétérogène du point de vue génétique a de plus grandes chances de succès.

Les aléas d’une adaptation réussie

Il y a un prix à payer pour un degré élevé d’adaptation, cependant, et les changements climatiques pourraient bien avoir des conséquences fâcheuses pour la TBE. Par exemple, si les larves s’éveillent avant que les bourgeons ne débourrent, elles risquent de mourir par manque de nourriture. Et si l’émergence des larves est tardive, elles ne trouveront que des bourgeons développés, lignifiés et toxiques, soit une nourriture peu nutritive et difficile à digérer. Les conséquences de cette asynchronie sur la performance biologique et les processus reproductifs peuvent être graves.

De même, un été chaud accélère le développement de l’insecte, ce qui entraîne un accouplement hâtif des papillons. La progéniture, née plus tôt, « dormira » plus longtemps et risquera d’épuiser ses réserves avant le printemps. À l’inverse, un développement lent causé par un été froid ou une baisse de qualité de la nourriture a pour conséquence d’exposer les insectes plus longtemps aux prédateurs et affecte sévèrement la capacité reproductive des adultes.

De l’évolution en laboratoire

Malgré les nombreuses recherches sur la fameuse tordeuse, les processus évolutifs ne sont pas bien connus. Il existe de l’information éparse dans plusieurs textes, mais surtout sous forme d’hypothèses, lesquelles restent à vérifier. Les expériences faites à partir d’élevages en laboratoire, où la variabilité environnementale peut être contrôlée, permettent d’étudier les marges d’adaptation de l’insecte. Ce type d’expériences met en lumière les voies évolutives qu’il pourrait prendre dans un contexte de changements climatiques ou en conditions d’épidémie.


  • Roberto Quezada García
    Université Laval

    Roberto Quezada García est étudiant au doctorat à l’Université Laval depuis 2008. Il détient une maîtrise en sciences forestières et un baccalauréat en biologie. Il travaille en entomologie depuis 1999. Ce chercheur a été vulgarisateur scientifique pour l’Université de Mexico. Ses études doctorales portent sur les processus adaptatifs de la tordeuse des bourgeons de l’épinette en condition de stress nutritionnel.

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