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Dominique Lebel, Président du Comité des communications et de la mobilisation du 80e Congrès de l’Acfas
C’est lorsque nous cessons de vouloir avoir raison que le débat s’enclenche. Que le plaisir commence. Et que la vérité émerge. Une certaine vérité. Les scientifiques se doivent d’être partie prenante de la discussion. Même si débattre sur la place publique est devenu un sport dangereux.

Idées à la mode

Nous sommes dans une soirée au bénéfice d’une cause sociale. Un de ces bals où s’assemblent des décideurs économiques. À table, les 10 convives discutent de sujets divers. Un des invités fait part de sa récente découverte : une diète sans glucides. Il parle avec passion des propriétés exceptionnelles de ce régime auquel il s’astreint depuis des mois. Un autre participant lance en boutade qu’il s’agit certainement de la dernière mode.

Le mot est lancé. Il y aurait donc des modes. Comme si une vérité en chassait une autre. La vérité d’aujourd'hui contre celle d’hier. Celle de l’un dressé devant celle de l’autre.

Logiques à dépasser

Il y a une dizaine d’années, on avait annoncé la fermeture d’une usine dans une ville de banlieue. Les propriétaires avaient fait leurs devoirs : baisse de la demande mondiale, coûts d’exploitation trop élevés, perspectives de développement nulles, vétusté des équipements. L’annonce de la fermeture souleva les passions. Des observateurs en profitèrent pour ajouter leurs analyses sur l’inévitable décroissance du secteur manufacturier, le manque de compétitivité de notre économie et, bien entendu, les coûts trop élevés de nos programmes sociaux.

Le ministre de l’époque refusa cette logique. Il mena la lutte. En quelques mois, on trouva des solutions. L’usine fut relancée. Dix ans plus tard, elle est constamment citée en exemple comme un fleuron de notre secteur manufacturier. Ce qui apparaissait comme une évidence pour les uns, la fermeture, apparut comme une opportunité pour les autres. Encore là, la vérité des uns a fait face à la vérité des autres.

L’incertitude est une donnée certaine…

La météorologie est une science. L’Américain DJ Patil, expert de la théorie du chaos, s’est notamment fait un nom avec ses recherches sur les modèles météorologiques à l’Université du Maryland.  Cet homme le sait mieux que quiconque : s’il est possible de prévoir la météo 10 ou 15 jours d’avance, il est beaucoup plus prudent de faire une lecture pour deux ou trois jours. Dans certaines conditions, il est même impossible de lire la situation plus de deux heures à l’avance.

Les économistes nous ont pour leur part habitués à de savantes projections au sujet de  l’évolution de l’économie mondiale sur des périodes couvrant parfois plusieurs décennies. Les dernières années ont cependant mis à mal plusieurs théories économiques, et le climat d’affaires est devenu aussi incertain que la météo. Il y a cinq ans, Nokia, RIM et Motorola contrôlaient 64 % du marché des téléphones intelligents. Aujourd’hui, souligne Fast Company, Samsung et Apple sont au sommet. Un renversement de cette ampleur concernant des entreprises milliardaires, dans un temps aussi court, est sans précédent.

Un ami courtier à New York me dit avoir parfois du mal à prévoir l’évolution du marché au cours d’une même journée. Il y a une science qui porte le nom de science économique. Et il y a la science météorologique. Et certains jours, elles avancent toutes les deux à l’aveugle. 

Al Gore ou prendre le risque de trébucher

Il y a quelques années, je participais à une rencontre privée dans un siège social du centre-ville. L’invité d’honneur : Al Gore. Il sera là tout au plus une quarantaine de minutes, avant d’aller présenter une conférence publique devant 3 000 personnes le soir même. Gore impressionne. Il s’exprime avec un mélange de chaleur et de conviction. On a le goût de le croire, et on y croit.

L’ancien vice-président américain sera plus tard pourfendu par les environnementalistes à cause de son train de vie, et par les négationnistes du réchauffement climatique pour des raisons… faciles à comprendre. Gore est un militant qui sait très bien ce que c’est que de monter dans l’arène. Peu de gens sont aussi bien préparés que lui pour avancer des idées sur la place publique. Pourtant, il sera décrié avec force. Quelques erreurs dans les données scientifiques qu’il véhicule aux quatre coins des États-Unis entacheront durablement sa crédibilité. Gore était pourtant la personne idéale pour mettre de l’avant une vérité qui dérange. Et il a trébuché. La place publique est un lieu dangereux. Aujourd’hui, plus que jamais.

Le risque de la nostalgie

Ce qu’on pouvait affirmer hier avec conviction devient aujourd’hui plus incertain. Des vérités qui nous semblent là pour durer deviennent caduques du jour au lendemain. Des décisions jugées un jour logiques, incontournables, apparaissent quelques années plus tard, sans réel fondement.

Les préjugés sont importants. Les vérités fuyantes, et le récit que l’on se fait de nous-mêmes doit être révisé.  On peut imaginer que beaucoup de scientifiques auraient le goût de reprendre les propos de Dominique Wolton : « Les choses étaient simples jusqu’à aujourd’hui. D’un côté, la science, le progrès et les savants; de l’autre, le public friand de connaissances; au milieu, la vulgarisation».  Ce « c’était mieux hier » peut empêcher l’adaptation, nuire à l’action.

Au delà de l’inconfort et du danger, les scientifiques doivent être dans l’arène publique

Qu’on aime ça ou non, il n’y a pas de hiérarchie de la vérité dans l’espace public. Tout, en apparence, s’équivaut. Le monde est aujourd’hui ouvert et chacun peut légitimement s’exprimer. Ce sont les règles du jeu. Nous sommes dans un monde d’opinions. Et l’évolution actuelle de la technologie ne semble qu’accentuer cette tendance. C’est un monde inconfortable, mais c’est le monde tel qu’il est. Malheureusement, les scientifiques y brillent trop souvent par leur absence. Il ne doit pas y avoir d’un côté la science et les scientifiques, et de l’autre le discours public.

Il est bien difficile d’avoir raison dans l’espace public, tant les points de vue sont nombreux, divers et pas toujours appuyés par le même type de rationnel. C’est pourtant à cette condition que le débat existe, progresse et s’enrichit.

On ne saute pas dans l’arène publique pour avoir raison. On y va pour faire avancer le débat, susciter la réflexion et transmettre sa pensée. C’est lorsque nous cessons de vouloir avoir raison que le débat s’enclenche. Que le plaisir commence. Et que la vérité émerge. Une certaine vérité. Les scientifiques se doivent d’être partie prenante de la discussion. Même si débattre sur la place publique est devenu un sport dangereux.

 

 


  • Dominique Lebel
    Président du Comité des communications et de la mobilisation du 80e Congrès de l’Acfas

    Dominique Lebel préside le comité des communications et de la mobilisation du 80e Congrès de l’Acfas. Diplômé en histoire, spécialiste du marketing, il travaille en communication stratégique depuis une quinzaine d’années.

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