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Mathieu Gagnon, UQAC - Université du Québec à Chicoutimi
Les activités proposées créaient un contexte dans lequel les étudiants étaient appelés à développer des dispositions liées à la pensée critique, parmi lesquelles se trouvent le questionnement, la tolérance à l’ambigüité et la curiosité intellectuelle.

La première fin de semaine de novembre, je me suis retrouvé dans une sorte de tourbillon au milieu de plus de 200 cégépiens, en compagnie de 16 autres chercheurs. Il faut l’avouer, ce fut une expérience extrêmement positive, possiblement l’une des plus  enrichissantes et stimulantes que j’ai vécues ces dernières années! J’étais au Forum international Science et Société.

Ce forum est fondé, notamment, sur une démocratisation des savoirs qui prend forme à l’intérieur des situations, nombreuses, d’échanges et de rencontres dans lesquelles les chercheurs et les étudiants sont placés. En fait, tout est mis en œuvre pour favoriser des discussions entre les chercheurs, entre les étudiants, et entre les chercheurs et les étudiants. Selon mon expérience, ces espaces de discussion semblent non seulement contribuer à stimuler l’activité intellectuelle collective – une activité qui dépassait les balises imposées par la structure des ateliers en se poursuivant lors des pauses et des repas! –, mais également à aiguiser le sens critique des étudiants… et des chercheurs!

Enrichissant pour les chercheurs

Au cours de ces trois journées, les chercheurs devaient constamment faire preuve de souci pour le contexte en ajustant leurs discours, en précisant leurs pensées et en répondant aux questions, parfois critiques, des étudiants, de même qu’aux objections, parfois explicites, des autres chercheurs. Mais plus fondamentalement, au-delà des « joutes » argumentatives ainsi que des dynamiques d’exposés magistraux et de « questions-réponses », la nature même des ateliers conduisait les chercheurs à faire preuve d’honnêteté intellectuelle, à manifester des doutes, à faire part d’incertitudes, à situer les limites des savoirs, de même qu’à restituer la place du chercheur dans la recherche. Chacun s’est montré bon joueur en participant pleinement aux processus d’élaboration de sens, en nuançant ses propos ou encore en mettant à jour ses présupposés théoriques.

J’ai pour ma part participé à l’atelier Fabrication des idées : une activité neuro-psycho-sociale...  en compagnie des chercheurs Nadia Ghazzali de l’Université Laval et Jérôme Sackur de l’École normale supérieure de Paris. Il en est résulté un regard multiple sur cet « objet », un regard empreint de réflexivité, d’autocritique, voire d’autocorrection, et qui exposait toute la complexité, mais aussi le plaisir et la passion de la recherche. À travers les échanges avec collègues et étudiants, les chercheurs ont été conduits à mobiliser et à raffiner leur pensée critique – avec tout ce que cela suppose en termes d’habiletés intellectuelles et d’attitudes – grâce à l’enrichissement issu de cette multiplicité des perspectives. Un enrichissement qui, bien entendu, n’était pas que profitable pour les chercheurs, mais également et surtout pour les étudiants.

Enrichissant pour les étudiants

Les activités proposées créaient un contexte dans lequel les étudiants étaient appelés à développer des dispositions liées à la pensée critique, parmi lesquelles se trouvent le questionnement, la tolérance à l’ambiguïté et la curiosité intellectuelle.

Le Bar des sciences sur l’éthique, les ateliers thématiques, les repas ou la séance plénière du dimanche, ces activités, chacune à leur manière, ont contribué à démythifier le rapport que les étudiants entretiennent avec la science. En effet, la nature des échanges auxquels ils assistaient et participaient activement leur fournissait des occasions de prendre connaissance de la diversité des points de vue et des cadres de référence à partir desquels se constituent les savoirs savants et scientifiques. En ce sens, ils étaient à même de constater que la science se fait par des individus, qu’elle est en mouvement et qu’elle constitue bien davantage un réseau complexe de concepts qu’un savoir fixe, figé dans le temps.

Les étudiants ont également pu prendre conscience qu’il n’y a pas que la science qui soit présente dans la société, mais que la société est elle aussi présente dans la science et la pensée scientifique. De plus, à travers les discussions formelles et non formelles, ils étaient conduits à découvrir l’« homme » (ou la femme) derrière le scientifique, contribuant ainsi à exercer une pression sur le mythe de l’objectivité absolue du chercheur, un mythe qui cédait doucement le pas à celui du devoir de rigueur. Pour certains, il s’agissait d’un véritable renversement.

Ainsi, les étudiants étaient constamment invités à s’engager, que ce soit explicitement ou implicitement, dans une démarche de cognition épistémique. Ce qui, au final, enrichit leurs croyances épistémologiques et modifie leurs rapports aux savoirs, une dimension qui s’accorde de manière fondamentale à la pensée critique, tant les croyances épistémologiques sont liées à son exercice.

Une expérience à répéter!

De telles occasions d’échanges entre chercheurs et étudiants sont rares et méritent d’être répétées. Les étudiants n’ont malheureusement pas suffisamment la chance de rencontrer des chercheurs et de discuter ainsi avec eux, de voir qui ils sont et comment ils pensent, avec tout ce que cela comprend d’érudition et de sensibilité, de cognitif et d’affectif, de rationnel et d’irrationnel… Trop souvent, ils sont en contact avec des savoirs qui prennent la forme de théories figées, voire de vérités révélées. Trop souvent aussi, leur rapport avec les experts demeure figé dans un modèle de transmission qui ne permet pas véritablement d’entrer en dialogue avec eux.

Un forum de ce type les aide à restituer la part de discours et de négociation dans les processus d’élaboration des savoirs savants et scientifiques, ce qui constitue un outil précieux dans le développement de leur autonomie de pensée. Quant aux chercheurs, trop peu d’occasions leur permettent d’entrer en dialogue avec des jeunes qui font preuve d’une telle curiosité intellectuelle, d’une vivacité d’esprit extrêmement stimulante et d’un désir d’apprendre aussi contagieux. De quoi faire tomber plusieurs préjugés, et ce, tant pour les étudiants envers les chercheurs que pour les chercheurs envers les étudiants!


  • Mathieu Gagnon
    Professeur·e d’université
    UQAC - Université du Québec à Chicoutimi

    Mathieu Gagnon est professeur au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Chicoutimi. Détenteur d’un baccalauréat en philosophie, d’une maîtrise en philosophie de l’éducation, d’un certificat en philosophie pour enfants et d’un doctorat en psychopédagogie, M. Gagnon s’intéresse plus particulièrement aux relations entre pensée critique et rapports aux savoirs, vues sous l’angle de leur transversalité. Il s’intéresse également depuis plusieurs années au développement de la pratique de la philosophie avec les enfants et les adolescents.

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