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Anne-Marie Leclerc, Université du Québec à Trois-Rivières
AM Leclerc
Alfred Newashish Birothé et Eniko Neashish de la nation attikamek. Crédits : Jane Boivin

La santé chez les Autochtones est généralement perçue comme un équilibre entre le bien-être physique et psychique1. Le premier correspond à l’homéostasie du corps, la saine alimentation et la pratique d’activités physiques2. Le second réfère à l’intellect tout autant qu’à l’affectif et au spirituel. Cette dimension psychique s’explique par la relation avec le créateur, les ancêtres et la connexion avec l’environnement.

Le cercle aux quatre quadrants, appelé « roue de la médecine », illustre cette perception de la santé (figure 1). Décrite comme holistique, elle s’opposerait au modèle de santé prédominant, où la prise en charge est essentiellement centrée sur la maladie et non sur l’individu dans sa pleine dimension bio-psycho-sociale3. Pire encore que pour l’allochtone (non autochtone), les soins de santé dispensés aux populations autochtones, dans une approche qui ne traite que le corps, ne répondent pas de manière optimale à leurs besoins. Les indicateurs de santé chez les Autochtones démontrent clairement qu’il y a des disparités et des inégalités avec les allochtones, notamment en ce qui concerne le taux élevé de diabète et d’obésité, et l’espérance de vie est plus courte4. De plus, ces écarts ne sont pas homogènes au sein des collectivités autochtones et doivent être examinés dans leurs contextes singuliers5.

Afin de mieux comprendre ce qui se passe en amont de ces indicateurs, mes études doctorales visent justement à approfondir les trajectoires de santé de cette population, spécifiquement en Mauricie et Centre-du-Québec, et ce dans une perspective écosystémique. Pour ce faire, les croyances et perceptions de santé en lien avec l’alimentation et la pratique d’activités physiques des Autochtones seront explorées et mises en relation avec les services de santé offerts, afin, à terme d’en arriver à un meilleur arrimage entre soins et besoins.

Un peuple de moins en moins invisible

Regroupés en 11 nations, les Autochtones représentent 2% de la population québécoise6 (voir la carte du Québec ci-dessous). La Constitution canadienne (1982) distingue trois groupes: les Premières Nations (aussi appelés Indiens, au sens de la loi du même nom), les Métis (personnes d’ascendance mixte possédant des ancêtres européens et des Premières Nations) et les Inuits (regroupés principalement dans le Grand Nord). Il faut mentionner qu’au Québec, le gouvernement ne reconnait pas l’existence d’une nation métisse. En Mauricie et Centre-du-Québec, deux nations habitent sur le territoire : les Attikameks et les Abénakis. D’autres nations sont aussi présentent dans les milieux urbains.

Roue medecine
Figure 1 - Roue de la médecine. Source Wikimédias Commons

Bien qu’on ne puisse parler d’une vague d’exode des communautés vers la ville, il n’en demeure pas moins qu’un peu plus de 50% des Autochtones vivent en milieu urbain7. Par ailleurs, en l’espace de dix ans, les populations autochtones ont connu un rythme de croissance quatre fois supérieur à celui du reste de la population8. En raison de la progression naturelle et d’une augmentation de l’autodéclaration de l’identité autochtone dans les enquêtes, les Autochtones représentent aujourd’hui 4,9% de la population canadienne. Même si l’âge moyen des Autochtones est presque de 10 ans plus jeune que la population allochtone, il n’en demeure pas moins qu’elle est aussi vieillissante9. Il s’agit donc d’une réalité distincte en termes de services de santé, notamment en raison de la forte prévalence des maladies chroniques10.

En amont des maladies chroniques…

La plus récente enquête sur la santé et le bien-être des Premières Nations du Québec vivant en communauté rapporte un nombre de cas stable pour la plupart des maladies chroniques, mais il n’en demeure pas moins que la majorité des adultes cumulent plusieurs d’entre elles simultanément11. À cet effet, les déterminants sociaux de la santé (ex. conditions de vie et accès à des services de santé culturellement compétents) et les habitudes de vie y jouent un rôle décisif12. Dans le cadre de ma thèse, la pratique d’activité physique et l’adoption d’une bonne alimentation, identifiées comme des facteurs de premier plan pour la prévention des maladies chroniques, seront explorées.

Les services de santé : double perspective

À partir du portrait dressé précédemment, force est de constater que la clientèle autochtone est de plus en plus présente au sein des services de santé. Or, l’accès aux services n’est pas simple, car certains autochtones anticipent des préjugés de la part des professionnels de la santé et il y a une perception d’écart entre leurs besoins et les traitements proposés13. À cet égard, les travaux de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (communément appelé la Commission Viens), débutés en décembre 2016, viendront enrichir ma thèse quant à l’expérience vécue des Autochtones au sein du système de santé. Le rapport sera soumis d’ici le début de l’automne 201914.

D’un autre côté, les professionnels de la santé jouent un rôle dans le renversement des inégalités de santé des Autochtones. L’avenue de la sécurisation culturelle semble donc prometteuse, car elle vise à prodiguer des soins tout en respectant et protégeant l’identité culturelle; des soins exempts des relations de pouvoirs nocives devenues un biais souvent inconscient chez les praticiens du système de santé; et des soins qui visent une plus grande équité15. Pour ce faire, l’expérience des infirmières travaillant auprès des populations autochtones sera examinée dans le cadre de mes études doctorales, et ce, en adéquation avec les services de santé offerts à cette clientèle.

En somme

Ce projet ne serait pas possible sans la collaboration des communautés autochtones. D’ailleurs, en respect des principes éthiques et valeurs autochtones (respect, équité et réciprocité)16, des collaborateurs autochtones (aussi appelés patients partenaires) seront greffés aux différentes étapes de cette thèse. Alors que  cette thèse vise globalement à mieux comprendre la réalité des Autochtones de la Mauricie et du Centre-du-Québec, en termes de trajectoires de santé, elle a aussi comme objectif de contribuer à un mieux vivre ensemble.

Carte

Références :

  • 1Instituts de recherche en santé du Canada (2014)
  • 2Lavallée, L. & Lévesque, L. (2013)
  • 3McCormick, R. (1995)
  • 4Gracey, M., & King, M. (2009)
  • 5Reading, C. L., & Wien, F. (2009)
  • 6Statistique Canada (2016)
  • 7Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (2013)
  • 8Statistiques Canada(2018)
  • 9Statistiques Canada (2018)
  • 10Reading, J. (2009)
  • 11Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador (2018)
  • 12Anand, S. S., Yusuf, S., Jacobs, R., Davis, A. D., Yi, Q., Gerstein, H., . . . Lonn, E. (2001)
  • 13Commission de vérité et réconciliation du Canada (2012)
  • 14Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics (2018)
  • 15Leclerc, A-M., Vézeau-Beaulieu, K., Rivard, M.-C. & Miquelon, P. (2018)
  • 16Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador [APNQL] (2014)

  • Anne-Marie Leclerc
    Université du Québec à Trois-Rivières

    Anne-Marie Leclerc est professeure clinicienne au département des sciences infirmières de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Elle est membre associée au Groupe interdisciplinaire de recherche appliquée en santé (GIRAS). Elle poursuit ses études de 3e cycle au doctorat en sciences biomédicales sous la supervision des professeures Marie-Claude Rivard et Paule Miquelon.

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