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Marie LeBel , Université de Hearst

Ces clés suspendues sont celles des chambres de l’hôpital psychiatrique de North Bay dans le Nord-Est de l’Ontario; la « Côte » comme on disait dans la région, en menaçant, d’un ton qui se voulait taquin, l’un des nôtres de le « laisser sur la côte à North Bay ». Je me souviens que mon père nous servait une tirade similaire lorsqu’en station wagon familial nous passions à l’Annonciation… Autres lieux d’internement, même imaginaire de la folie.

Marie LeBal

On ne connait pas l’auteur de cette photographie prise entre 2012 et 2013, juste avant la destruction de l’hôpital.  Ces clés suggèrent assez justement qu’on a quitté le lieu à la hâte; des instruments, des meubles, des appareils et ces clés, comme autant de vies abandonnés dans la hâte…

Pour moi, ces clés sont porteuses d’une symbolique très riche : les clés ouvrent des portes, que ce soient celles d’une réflexion, du savoir ou de la connaissance. Elles symbolisent aussi l’époque désormais révolue de l’enfermement psychiatrique, et le point de départ de cette désinstitutionnalisation psychiatrique sur laquelle je me suis penchée dans mes travaux. 

C’est à partir de l’hôpital psychiatrique de North Bay que j’ai débuté ma recherche sur les itinéraires thérapeutiques en santé mentale offerts aux patients francophones de la région en contexte de désinstitutionnalisation. Il s’agissait de retracer les parcours de vie des malades en quête de services de soins de santé mentale dans leur langue maternelle ; une quête souvent difficile, parfois impossible, toujours déchirante. Derrière ces clés, donc, autant de parcours individuels, d’histoires personnelles qui nous ouvrent finalement sur l’Histoire, celle des institutions et des politiques de santé mentale, en milieu urbain ou en milieu excentré, en contexte communautaire ou hospitalier. Des récits qui agissent donc comme des clés pour entrevoir les dérives, les détours, les moyens d’énonciation de la souffrance ou les manières de la soigner. La lecture sur une longue durée des expériences individuelles peut en effet permettre de « mesurer » l’impact de la maladie mentale sur la vie quotidienne, sur les relations familiales, conjugales, professionnelles, sur la condition de santé générale des personnes souffrantes et leurs proches. J’ai ainsi constaté que, dans le Nord-Est de l’Ontario, la mise sur pied des services de santé mentale ne suivait pas toujours le rythme des bouleversements causés par la désinstitutionnalisation ni même des besoins et des requêtes de la population francophone. De nouvelles clés donc pour penser l’accès au soin des populations francophones minoritaires dans l’ensemble du Canada.


  • Marie LeBel
    Université de Hearst

    Marie LeBel est historienne et professeure au programme interdisciplinaire en étude des enjeux humains et sociaux de l'Université de Hearst en Ontario. Ses recherches sur les intellectuels et les créateurs franco-ontariens ont cerné la contribution de ces derniers dans la formulation d'un discours identitaire pour leur communauté d'appartenance. Elle travaille actuellement à l’histoire des soins de santé mentale en Ontario français, sur la communautarisation des soins de santé et sur les itinéraires des soignants et des clients depuis la désinstitutionnalisation psychiatrique.

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