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Jean-Philippe Warren, Université Concordia

Cette maison appartenant à la famille Casaubon est certainement la plus célèbre habitation de l’histoire de la sociologie québécoise. À l’été 1886, Léon Gérin, jeune sociologue en herbe, choisit cette famille exemplaire (au sens neutre du terme), dont il voulut étudier le type en menant en partie une enquête participante.

L'ancienne ferme des Casaubon en 1955
Source : Jean-Charles Falardeau, Philippe Garigue (dir.), Léon Gérin et l’habitant de Saint-Justin, Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 1968.

Cette maison appartenant à la famille Casaubon est certainement la plus célèbre habitation de l’histoire de la sociologie québécoise. En 1886, à son retour de Paris, où il s'était initié à la méthode d’analyse élaborée par deux disciples dissidents de Frédéric Le Play, Henri de Tourville et Edmond Demolins, Léon Gérin s’était fait la promesse de mettre cet enseignement en pratique et de lancer rapidement des études monographiques au pays. Rejetant idées préconçues et généralisations hâtives, il s’était en effet décidé à classer et comparer les groupes sociaux par une analyse patiente qui appliquerait, selon ses propres mots, « à l’élucidation des problèmes sociaux les procédés qui ont donné aux sciences physiques et naturelles leur rigueur, leur force de persuasion, leur intérêt pratique ».

C’est ainsi qu’à l’été 1886, le jeune sociologue en herbe est allé s’établir chez son oncle, curé dans la paroisse de Saint-Justin, petit village entre Québec et Montréal, situé un peu à l’Ouest de Trois-Rivières, pour y entreprendre ce qui allait devenir sa première analyse d’une « famille ouvrière » (dans ce cas-ci, une famille d’agriculteurs). Prenant conseil auprès de son oncle, son attention s’est bientôt fixée sur une famille exemplaire (au sens neutre du terme) de la paroisse, les Casaubon, dont il voulut étudier le « type » en menant en partie une enquête participante. On peut dire cette famille l’a littéralement passionné et il est revenu, pendant trente-cinq ans (1886-1920), la visiter à de nombreuses reprises. Lors de ses séjours, il confiait admirer « l’accord qui régnait entre tous les membres de cette nombreuse famille ». Les sous-titres du chapitre portant sur le village de Saint-Justin, publié dans Le type économique et social des Canadiens (1948), sont éloquents par leur référence implicite à une certaine concorde qui aurait régné au sein de la famille Casaubon: « Le groupement familial quasi-communautaire », « La ruche familiale », « L’étroite solidarité de la famille », « L’entraide familiale et productions spontanées ».

Pourtant, dès le milieu des années cinquante, reprenant le bâton du pèlerin sur les routes de Saint-Justin, Philippe Garigue contestera la validité de l’analyse proposée par Gérin. Il accusera ce dernier d’avoir appliqué au Québec, sans les relativiser ou les critiquer, des concepts biaisés. À ses yeux, l’idée d’un Canada français décrit sous le jour d’une communauté isolée, « tricotée serrée » et repliée sur elle-même était simplement une vue de l’esprit, comme l’était encore l’idée d’un peuple soumis à des comportements traditionnels et soi-disant structuré dans sa morphologie profonde par des liens de parenté. Léon Gérin, animé par une volonté de faire œuvre de science, aurait-il été finalement aveuglé par son attachement pour les membres de la famille Casaubon, lesquels avaient accueilli le jeune homme de 24 ans avec autant d’entrain que de générosité? Les murs de la ferme de Saint-Justin gardent ses secrets. 

Léon Gérin, animé par une volonté de faire œuvre de science, aurait-il été finalement aveuglé par son attachement pour les membres de la famille Casaubon, lesquels avaient accueilli le jeune homme de 24 ans avec autant d’entrain que de générosité? Les murs de la ferme de Saint-Justin gardent ses secrets.


  • Jean-Philippe Warren
    Université Concordia

    Titulaire d'une chaire d'études sur le Québec, Jean-Philippe Warren est professeur au Département de sociologie et d'anthropologie de l'Université Concordia. Il a publié de nombreux ouvrages sur l'histoire intellectuelle et culturelle au Québec. Source: Les Éditions du Boréal. 

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