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Nathan C. Hall, en entrevue avec Marie-Pierre Cossette, Université McGill et Université Concordia

De plus en plus de dimensions de nos vies prennent des virages numériques, avec avantages et parfois désagréments. Plus nos parcours de formation universitaires et les opportunités d'emplois se diversifient, plus nous sommes invités à prendre notre place dans l'ère l'arène numérique, notamment par l'entremise des médias sociaux. Pour un grand nombre d'entre nous, le désir de se lancer s'accompagne de beaucoup d'hésitations et de questionnements. Quelle place voulons-nous occuper, avec qui voulons-nous connecter? Comment se fixer des objectifs réalistes et en accord avec nos valeurs? Nous en avons discuté avec Dr. Nathan C. Hall, professeur en psychologie de l'éducation à l'Université McGill, qui s'est penché sur le sujet à quelques reprises.

Nathan C. HallMarie-Pierre Cossette : Quelle est votre approche des médias sociaux quand il est question de nous les chercheurs?  

Nathan C. Hall : Tout comme vos communications scientifiques, vos participations à des activités associatives professionnelles ou étudiantes, vos échanges avec vos pairs ou avec votre groupe de recherche, votre activité dans les médias sociaux est une expression de votre personnalité universitaire, à laquelle s’ajoute cependant une perspective plus personnelle.

Je pense qu’un équilibre entre ces deux dimensions est au cœur d’une présence effective dans les médias sociaux : développer et décrire votre expertise de chercheur tout en partageant vos réflexions et expériences d’un point de vue qui vous est propre. Malgré les craintes des nouveaux utilisateurs de trop partager et de brouiller les frontières entre vie professionnelle et personnelle (voir une étude par @DALupton), les universitaires tendent à traiter les médias sociaux de manière stratégique. Tout en désirant être authentiques quand ils partagent des bribes de leur passe-temps et de leur vie de famille, ils le font de manière délibérée et réfléchie, et ce, afin que cela s’accorde avec ce qu’ils veulent projeter comme image de chercheur. Autrement dit (voir l’étude de @veletsianos et @bonstewart), on peut donc parler d’une « sincérité stratégique », de l’atteinte d’un équilibre entre du contenu professionnel et  du contenu personnel – équilibre émergeant d’une décision réfléchie et d’une conscience du jeu des perceptions.   

Marie-Pierre Cossette : Est-ce souhaitable de se créer une « identité professionnelle » à travers les médias sociaux? 

Nathan C. Hall : Oui, ce peut être un avantage pour les étudiants des cycles supérieurs de s’engager sur les médias sociaux. C’est une occasion d’ajouter une dimension plus humaine, plus candide, à des activités savantes souvent très abstraites et n’accrochant pas facilement l’attention (curriculum vitae, publications, etc.). Cependant, je mets en garde contre une vision trop utilitariste des médias sociaux, les réduisant à un simple outil de promotion de soi et de ses recherches. Il faut aussi prendre le temps de bien délimiter ce qui sera partagé ou pas, de déterminer les discussions auxquelles vous participerez ou pas, d’identifier les gens avec qui vous interagirez ou pas.

On retrouve dans cet espace virtuel des communautés dynamiques de chercheurs, d’étudiants chercheurs, de praticiens et de citoyens connectés par leurs centres d’ intérêt et leurs valeurs. Ces communautés dynamiques ont leurs propres conventions qui sont à apprivoiser par l’observation, par essais et erreurs. Il est facile d’ouvrir un compte Twitter et de se lancer dans la conversation universitaire, il est plus difficile de le faire de manière réfléchie entre frontières personnelles et normes de la communauté. 

Marie-Pierre Cossette : Est-ce que notre présence dans les médias sociaux peut nuire à notre carrière?

Nathan C. Hall : Que l’on soumette une candidature pour un prix, une bourse ou un emploi, il est raisonnable de s’attendre à ce que les comités d’évaluation se renseignent à travers notre présence en ligne, ce qui peut, de fait, avoir des conséquences sur l’évaluation de nos propositions (p. ex., Harvard Memes) ou l’obtention d’un emploi (p. ex., Steven Salaita). Pour cette raison, il est judicieux de garder en tête que tout contenu, même privé, peut être archivé (pensez aux captures d’écran) et repartagé. D’un autre côté, l’absence d’information personnelle et professionnelle en ligne n’est pas idéale non plus. 

Je pense qu’encore une fois, il faut trouver l’équilibre. Être trop actif ou avoir des opinions tranchées donne l’impression de chercher l’attention et d’être moins investi dans ses responsabilités hors ligne – Cette personne travaille-t-elle de temps en temps? En revanche, la non-présence peut suggérer des comportements d’évitement et de méfiance, ou une incapacité à utiliser les technologies – Pourquoi cet individu ne réseaute-t-il pas avec ses collègues ou ne partage-t-il pas ses connaissances?  

Je conseille souvent de créer au minimum un blogue pour décrire vos champs d’intérêt professionnels et personnels, incluant un CV et des liens vers vos productions scientifiques. Cependant, je ne recommande pas la création de profils sur « tous » les médias sociaux, qui peut entraîner une surreprésentation ou une présence superficielle.

Marie-Pierre Cossette : Les médias sociaux peuvent-ils aider à rejoindre des communautés à l’extérieur du milieu universitaire?

Nathan C. Hall : Les universitaires justifient souvent leur présence par un désir de rejoindre ces communautés hors de la « tour d’ivoire ». Pour ma part, je pense qu’il est tout aussi important, et peut-être même davantage, d’ouvrir le dialogue avec des spécialistes d’autres disciplines. Dans mon domaine, la psychoéducation, la communauté est peu établie dans les médias sociaux, comme cela peut être le cas dans d’autres domaines : sociologie, philosophie, astrophysique, biomédecine, écologie, sciences de la vie. En élargissant votre réseau à des universitaires à la périphérie de votre domaine, non seulement vous enrichirez vos connaissances, mais vous en apprendrez beaucoup sur les pratiques relatives aux publications, au financement, à la recherche d’emploi, à la vulgarisation; des pratiques qui peuvent varier considérablement d’une discipline à une autre.

Cette stratégie permet également de trouver des modèles à suivre pour interagir efficacement avec les professionnels, les gens de l’industrie, les associations ou le grand public. De plus, les médias sociaux peuvent devenir une avenue pour découvrir des carrières alternatives, hors du milieu universitaire. Les anciens diplômés qui évoluent maintenant dans le secteur public ou privé, ou comme travailleurs autonomes, occupent une place importante sur Twitter (@FromPhDtoLife et @ProfessorIsIn). Ces acteurs fournissent des balises utiles pour comprendre les exigences des environnements non universitaires (#altac). 

Sur les réseaux sociaux, vous serez également en contact avec de nouvelles informations pouvant influencer de manière critique vos activités de recherche. De mon côté, j’y ai pris conscience des enjeux entourant les journaux en accès libre et les politiques antidiscriminatoires dans les milieux de travail, ce qui m’a poussé à modifier des affiliations à certains comités de rédaction et à assumer le rôle de vice-président aux communications pour l’Association des professeurs d’université (MAUT) de McGill.

Marie-Pierre Cossette : Comment se joindre à une communauté dans les médias sociaux, et comment y rester actif? 

Nathan C. Hall : D’abord, une fois votre compte créé, vous observez le comportement des utilisateurs. Il faut être attentif à ce qu’ils disent, comment ils le disent, à quelle fréquence ils commentent et proposent du contenu, quand et à qui ils répondent, et qui ils suivent. Pour bien comprendre la dynamique des plateformes, abonnez-vous à des comptes où l’on parle régulièrement de l’actualité d’un domaine d’activité qui vous est familier. Puis, publiez progressivement, et commentez d’abord avec modération, toujours en demeurant prudent. Si les controverses et les débats corsés vous rendent inconfortable, demeurez en retrait. Partagez seulement des contenus que vous jugez pertinents et posez des questions appropriées, suggérant que vous êtes accessible et disposé à communiquer, à aider à clarifier des enjeux ou à proposer des références. 

Une courtoisie de base est étonnamment très efficace dans les communautés universitaires : par exemple, féliciter des personnes pour leurs succès ou découvertes, ou, si quelqu’un rapporte un évènement frustrant, partager une expérience similaire que vous avez vécue. Les médias sociaux qui rassemblent un grand nombre de chercheurs sont des communautés dans lesquelles les nouveaux venus attentionnés, enthousiastes et curieux sont très bien reçus. Pour en apprendre davantage sur la façon de contribuer dans les médias sociaux en temps qu’universitaire ou intellectuel, voir « Social Media for Academics » par @mark_carrigan, « Social Media in Academia: Networked Scholars » par @veletsianos et « Twitter for Academics: A Guide » par @online_academic.


  • Nathan C. Hall, en entrevue avec Marie-Pierre Cossette
    Université McGill et Université Concordia

    Nathan C. Hall est professeur agrégé au Département de psychologie de l'éducation et du counselling à l'Université McGill et directeur du Achievement Motivation and Emotion Research Group (AME). Son programme de recherche explore les effets des variables liées à la motivation et l'autorégulation ainsi que des interventions sur la performance, la santé et le bien-être dans les milieux éducatifs (p. ex., étudiants, enseignants, chercheurs). Ce programme est financé par des organismes subventionnaires provinciaux, fédéraux et internationaux (par exemple, le CRSH, le FRQSC, les IRSC, la Fondation Spencer, la Fondation Alexander von Humboldt), Son travail examine également le rôle des médias sociaux en recherche et dans l'enseignement aux cycles supérieurs, en prenant appui sur la coordination de comptes de haut niveau sur les médias sociaux (p. ex., @AcademicsSay: 510K+ abonnés sur Facebook, 257K+ abonnés sur Twitter) et sur les tâches de son récent poste de vice-président aux communications pour l'Association des professeurs de l'Université McGill (MAUT). 

    Marie-Pierre Cossette est étudiante au doctorat en psychologie à l'Université Concordia. Spécialisée en neuroscience, elle examine le fonctionnement des régions du cerveau essentielles pour l'évaluation des récompenses. Elle siège au conseil d’administration du FRQS à titre de représentante étudiante et a été présidente du Comité intersectoriel étudiant de 2014 à juin 2017. Elle a obtenu la bourse Alexander Graham Bell du Canada du CRSNG pour le doctorat et la maîtrise, la bourse de Maîtrise B1 du FRQNT et des bourses internes de l'Université Concordia.

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