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Jean-Claude Coallier, Université de Sherbrooke

Force est de constater que plusieurs des grands constats et enjeux inhérents à l’employabilité des titulaires d’un doctorat ont été soulevés il y plus de 15 ans et que ceux-ci ne demeurent encore aujourd’hui que timidement résolus.

JC CoallierLa problématique de l’employabilité des titulaires d’un doctorat demeure une question d’actualité qui alimente les échanges dans de nombreux réseaux scientifiques et sociaux. Toutefois, force est de constater que plusieurs des grands constats et enjeux inhérents à cette situation ont été soulevés il y plus de 15 ans et que ceux-ci ne demeurent encore aujourd’hui que timidement résolus.

Par exemple, le faible taux d’insertion des docteurs dans des fonctions professorales alors que les programmes de formation doctorale de type recherche visent justement une telle finalité, est aujourd’hui plus évident que jamais.

Les écarts des représentations des docteurs et des entreprises quant aux compétences transférables dans les milieux hors académiques constitue un autre exemple d’une situation en partie documentée pour lequel peu de réponses sont offertes.

Finalement, l’étendue des compétences qu’il est possible, voire nécessaire de développer chez les docteurs afin de se rendre plus « employable » a conduit à l’élaboration de nombreuses typologies qui sont peu prises en compte dans l’élaboration des programmes de formation.

Ainsi, malgré notre connaissance de la situation de l’employabilité des docteurs, quels sont les facteurs qui freinent encore aujourd’hui l’amélioration de leur insertion professionnelle dans des milieux de travail diversifiés? 

La présente réflexion sur cette question est alimentée, d’une part, par les nombreuses contributions scientifiques et pratiques relatives à cette problématique qui ont eu cours depuis les vingt dernières années. D’autre part, elle émerge de deux activités réalisées récemment, soit 1) le colloque sur « L’employabilité des doctorantes et doctorants universitaires : réfléchir et agir », tenu dans le cadre du congrès de l’ACFAS-2017 et 2) les observations préliminaires issues du projet « Enrichissement des compétences en employabilité des doctorants canadiens et libanais en lettres et sciences humaines », une recherche soutenue conjointement par l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) et le Centre de recherche pour le développement international (CRDI).

Le faible taux d’insertion des docteurs dans des fonctions professorales alors que les programmes de formation doctorale de type recherche visent justement une telle finalité, est aujourd’hui plus évident que jamais.

Les compétences

Si historiquement, la formation doctorale a majoritairement mené les titulaires d’un Ph.D. vers des carrières académiques où ils avaient recours à leur expertise scientifique et à leurs compétences en recherche, la situation a significativement évolué au cours des deux dernières décennies. D’une façon générale, des exigences pédagogiques se sont imposées pendant que celles relatives à la production scientifique se sont accrues, rendant souvent moins attrayante la fonction professorale. Jumelée à une embauche plus contraignante, une majorité de titulaires de doctorat se tourne, par choix ou par dépit, vers des carrières dans des organisations non universitaires pour y effectuer soit de la recherche, soit d’autres types de fonctions qui n’interpellent que partiellement les compétences développées dans leur cursus universitaire.

L’accroissement des exigences relatives aux emplois dans les milieux universitaires et dans les organisations « non académiques » a donc conduit à l’élaboration d’une panoplie de typologies de compétences dont la validité reste variable. Par exemple, Chris Park (2007)1, en Grande-Bretagne, regroupe sept catégories de compétences : les compétences techniques de recherche, l’environnement de recherche, le management de la recherche, l’efficacité personnelle, les compétences de communication, la capacité de travailler en équipe et la gestion de carrière. En France, les travaux de Barthélémy Durette, Marina Fournier et Matthieu Lafon (2012)2 présentent une série d’environ 120 compétences regroupées dans six grandes catégories : expertise scientifique et technique; savoir-faire techniques transférables; compétences transverses; d’aptitudes et de qualités; de savoirs – être; métacompétences. Finalement, au Québec, l’Association des doyens des études supérieures au Québec (ADESAQ, 2015)3 énonce 27 compétences relatives à des savoirs, des habiletés et des qualités regroupées en cinq grandes catégories : production professionnelle et scientifique; connaissance et regard critique; communication; aspect normatif et intégré; développement professionnel et personnel.

Malgré leurs spécificités propres, ces différents référentiels s’entendent sur les grandes catégories de compétences transversales à acquérir par les docteurs dans le cadre de leur formation doctorale, à savoir une expertise scientifique, des compétences en recherche, des compétences en gestion de projets, des compétences communicationnelles et rédactionnelles, et une certaine rigueur et persévérance.

Au-delà de l’intérêt que peuvent représenter ces typologies, nous ne pouvons éviter de nous interroger quant à la capacité d’acquérir toutes ces nouvelles compétences. D’autant que ces exigences reflètent souvent la position d’un acteur en particulier (doctorants, docteurs, établissements et programmes, entreprises, etc.) et témoignent plus rarement d’un consensus entre ceux-ci.

Par ailleurs, on constate que les diplômés de doctorat ont beaucoup de mal à valoriser leurs compétences en dehors du monde de la recherche. En effet, Judith Olson (2016)4 identifie plusieurs raisons qui expliquent ces difficultés, que soutiennent les résultats de la recherche menée en collaboration avec Jarjoura Hardane de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (2017)5 : a) les doctorants n’ont pas conscience des attentes réelles du marché du travail; b) ils ne prennent pas de recul face à leur passion ou leur objet d’études; c) ils n’ont que peu d’occasions de réfléchir sur la maîtrise des compétences transversales et sur leur projet professionnel; d) s’ils identifient ces compétences, ils les jugent évidentes, allant de soi et peu intéressantes pour un futur employeur; e) plusieurs ne savent pas les nommer et les mettre en valeur; f) ils ont peu ou pas confiance en eux en dehors du milieu universitaire; g) ils craignent les perceptions négatives des employeurs à leur égard. 

Les différents référentiels s’entendent sur les grandes catégories de compétences transversales à acquérir par les docteurs dans le cadre de leur formation doctorale, à savoir une expertise scientifique, des compétences en recherche, des compétences en gestion de projets, des compétences communicationnelles et rédactionnelles, et une certaine rigueur et persévérance.

La responsabilisation des doctorants et docteurs

Cette recherche 5 a aussi permis de mettre en polarité certains résultats d’enquête relatifs aux parcours professionnels des doctorants et docteurs. D’un côté, le recueil par questionnaire a conduit à des résultats reflétant : 
•    une grande ouverture des répondants au développement de nouvelles compétences; 
•    au fait que celles-ci sont vues comme pouvant ouvrir la porte à une meilleure employabilité dans des milieux variés; 
•    que la responsabilité du développement de ces nouvelles compétences repose essentiellement sur les programmes de formation. 

En contrepartie, les données d’entretiens ont révélé une réalité tout autre : 
•    une grande ambiguïté du projet professionnel des doctorants et docteurs; 
•    un intérêt au développement de compétences, mais exclusivement en lien avec la recherche; 
•    le sentiment d’un parcours doctoral improvisé, peu balisé dans un objectif d'insertion précis;
•    une méconnaissance des exigences des milieux hors académiques; 
•    une incertitude implicite face à l’après-doctorat; 
•    un déni de la situation du marché de l’emploi universitaire. 

À cela s’ajoute souvent des motivations à réaliser un doctorat qui sont peu en convergence avec les finalités des programmes de Ph.D. : le doctorat est un projet de vie, un rêve d’obtenir un tel diplôme, un défi personnel, une volonté de partager son expérience, un plaisir à faire des études, un canal pour défendre une cause, un moyen d’éviter le marché du travail. 

Ces positions polarisées nous obligent à reconnaître le rôle fondamental que jouent les doctorants et docteurs eux-mêmes dans la problématique de l’employabilité. Ainsi, leur responsabilisation face à un projet professionnel mieux défini, la connaissance et la reconnaissance plus explicite des réalités du marché du travail de même que l’ouverture à l’enrichissement des compétences autres que celles directement liées à la recherche sont autant d’éléments incontournables à une insertion éventuellement réussie. 

Des avenues à partager

La présente réflexion s’est volontairement centrée, pour des raisons pratiques, sur deux facettes de l’employabilité des titulaires d’un doctorat, soit la diversité des compétences et la responsabilisation des doctorants et docteurs. Bien évidemment, plusieurs autres éléments sont à prendre en compte dans une analyse exhaustive de cette problématique dont les représentations des entreprises, les finalités et contenus des programmes de formation, la valorisation sociale des études supérieures et les enjeux économiques liés à un tel diplôme. En terminant, il est convenu de poser certains jalons qui pourront à la fois orienter les recherches éventuelles sur l’employabilité et alimenter des solutions concrètes à cet égard :

  • Comme le souligne Jean-Yves Ottmann (2017)6, les débouchés professionnels du doctorat sont difficiles à cerner, car il est ardu de repérer la majorité des docteurs qui, paradoxalement occupent des postes dans des fonctions autres que la recherche scientifique. En effet, nous en savons très peu sur les postes occupés par ces docteurs et les compétences qu’ils y mettent en œuvre;
  • Dans les travaux de recherche et l’identification de solutions, il importe de porter une plus grande attention à la diversité des réalités selon les domaines d’études;
  • Des efforts devront être déployés pour prendre en compte les réalités de certains groupes plus spécifiques, tels les femmes ou les étudiants internationaux, qui vivent des situations qui risqueraient sinon de se fondre dans une réalité plus globale; 
  • Les avancées dans l’employabilité des titulaires d’un doctorat ne seront rendues possibles que dans la mesure où le débat s’étendra à celui de la culture universitaire de recherche et que les ressources professorales et administratives impliquées démontreront une ouverture aux trajectoires multiples;
  • La complexité du phénomène d’employabilité des titulaires d’un doctorat appelle à la mise en commun des données des différents établissements universitaires et incite à mettre sur pied un protocole qui permettrait le recueil et l’analyse des celles-ci en vue d’établir les tendances en employabilité et alimenter ainsi les acteurs décisionnels;
  • Finalement, il est souhaitable que les entreprises assument pleinement leur rôle et leur responsabilité sociale dans l’embauche de diplômés supérieurs, voire qu’elles reconnaissent les apports d’une formation supérieure dans leur propre développement.

Plusieurs autres éléments sont à prendre en compte dans une analyse exhaustive de cette problématique dont les représentations des entreprises, les finalités et contenus des programmes de formation, la valorisation sociale des études supérieures et les enjeux économiques liés à un tel diplôme.

  • 1Park, C. (2007). Redefining the doctorate. Discussion Paper. York, UK : Higher Education Academy.
  • 2Durette, B., Fournier, M. & Lafon, M. (2012). Compétences et employabilité des docteurs. Paris : Adoc Talent Management.
  • 3ADESAQ (2015). Les compétences visées dans les formations aux cycles supérieurs. Québec.
  • 4Olson, J. (2016) État de la situation québécoise des titulaires de doctorat voulant s’insérer dans les milieux de travail non académiques. Mémoire de maîtrise : Université de Sherbrooke.
  • 5 a b Coallier, J.-C. & Hardane, J. (2017). Enrichissement des compétences en employabilité des doctorants canadiens et libanais en lettres et sciences humaines. Rapport de recherche au CRDI, Montréal.
  • 6 Ottmann, J. Y. (2017). La transition impossible, oubliée et déniée des doctorants de sciences «dures». Initio, 6, 52-74.

  • Jean-Claude Coallier
    Université de Sherbrooke

    Titulaire d’un doctorat en psychologie de l’Université de Montréal, le professeur Coallier est rattaché au Département d’orientation professionnelle de la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke. Il a œuvré à titre de responsable des programmes d’études supérieures en recherche pendant 10 ans. Son expertise de recherche porte notamment sur la problématique de l’insertion professionnelle des clientèles universitaires.

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