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Simon Varaine, Université Grenobles Alpes

Simon Varaine, Université Grenoble Alpes
Tribune
15 décembre 2016

Il y a un mois se tenait à Québec le Forum international Science et société organisé par l’Acfas : une rencontre entre des collégiens et des chercheurs, québécois et français. Au programme, six grandes thématiques de recherche scientifique, des échanges autour du métier de chercheur, et une question centrale : « Comment amener la science dans la société? ». J’ai eu la chance de faire partie du groupe de chercheurs français invités, pour animer avec Johanna Masse et Frédéric Dejean l’atelier Radicalisation : psychologie et politique1. Je propose ici un retour personnel sur ce que ce Forum m’a apporté en tant que doctorant, sur les principaux questionnements qu’a suscités l’atelier et sur la manière dont j’ai tenté d’y répondre.

2016-12 Simon Varaine
De gauche à droite, Frédéric Dejean, Johanna Masse et Simon Varaine (les trois chercheurs), et l'animateur Marc-Olivier D'Astous. Source : Acfas.

Entre excitation et anxiété

En septembre dernier, lorsque j’ai reçu le courriel d’invitation, j’étais divisé entre excitation et anxiété. Excitation, car c’était la première fois que je participais à un événement, qui plus est international, de vulgarisation scientifique où j’allais rencontrer des étudiants et des chercheurs expérimentés de disciplines multiples. Anxiété, car je n’étais pas sûr d’avoir les connaissances suffisantes, en ce début de thèse, pour apporter des réponses sur ce sujet controversé qu’est la radicalisation. Mais à l’issue d’une fin de semaine de bouillonnement intellectuel continu, je crois avoir beaucoup plus appris de la communauté temporaire que forme le forum que je n’aie moi-même transmis aux étudiants! 

Être mis en danger 

Le premier choc, lors du Bar des sciences, qui inaugure le Forum et réunit l’ensemble des participants, est la désinhibition et la liberté de parole des étudiants, qui tranche avec l’attitude réservée qui prévaut généralement en France. Les questions sont incessantes et placent le chercheur dans un inconfort très fructueux. 

Au Bar, comme dans notre atelier, le plus souvent, les questions des étudiants sont simples et précises, d’autant plus si ceux-ci suivent un cursus éloigné du thème de la radicalisation et des sciences sociales. En tant que doctorant, je suis rarement amené à répondre à ce type d’interrogation, car je discute en général avec des chercheurs de ma discipline, avec qui nous avons un « langage » commun, truffé de notions implicites. Or, en me confrontant à ces questions, je me rends compte que ces notions que je croyais « acquises » ne le sont pas; c’est au moment de les formuler clairement que les failles de maîtrise de ces « acquis » apparaissent!2  

Aussi, certaines questions – auxquelles je n’ai pas de réponse – ouvrent de vraies pistes de recherche. Un étudiant demande, par exemple, si le fait d’avoir été engagé dans un conflit militaire rend plus susceptible par la suite l'engagement dans l’activisme radical. Cela paraît plausible, car on connait un certain nombre de cas de violences commises par des militaires en fin ou au retour de missions3, et il existe des travaux qui montrent qu’en contexte guerrier, la violence tend à se normaliser comme mode général de règlement des différends4. Pour autant, je ne crois pas que cette question ait été abordée par les recherches portant spécifiquement sur la radicalité politique. Voilà peut-être une piste à explorer! Autre exemple : un étudiant demande si l’on peut parler de « radicalité » pour certains mouvements religieux du Moyen-Âge. Or, je découvre après le Forum que des comparaisons frappantes sont établies par des recherches entre des mouvances apocalyptiques européennes du 16e siècle et l’idéologie des djihadistes contemporains : l’idée d’une fin du monde imminente, la volonté de destruction des symboles de « luxure » et de décadence (peintures, jeux), l’animalisation des mécréants, la certitude d’un accès immédiat au paradis pour les combattants de Dieu, etc.5  

Être mis en perspective 

Je me rends vite compte, au moment de répondre aux questions, que nous, chercheurs, nous trouvons alors dans une position de « pouvoir » – ayant le rôle de celui qui sait, je peux être tenté de faire des affirmations à l’emporte-pièce, sans être contredit. Ce sentiment est d’autant plus fort que les échanges sont rapides, alors que je suis habitué au quotidien à prendre le temps d’étayer chaque argument en recherchant des références. Or, la richesse du Forum est de faire en sorte de mettre en perspective le propos de chaque chercheur grâce à l’esprit critique sans cesse sollicité des étudiants et aux autres intervenants. 

Dans notre atelier, je suis accompagné par deux autres chercheurs – Johanna Masse6 et Frédéric Dejean7 – dont les approches et les objets d’étude sont différents du mien, ce qui est particulièrement intéressant pour les étudiants (et pour moi)! Les étudiants peuvent ainsi se rendre compte que l’étude de la radicalisation, comme tout objet de recherche, est traversée de controverses. Alors que mon approche de recherche est explicative – recherche des « causes » extérieures qui conduisent à la radicalité -, celle de Frédéric est compréhensive – passant par la subjectivité des personnes pour rechercher les « raisons » de leur radicalité. Autre exemple : alors que j’explique que l’on observe de manière générale que les activistes radicaux sont davantage de genre masculin, Johanna montre bien que les formes de participations des femmes dans les groupes radicaux sont différentes mais non moins radicales! Par conséquent, tout au long de l’atelier, nos propositions peuvent être contrebalancées, et cette « surveillance » mutuelle nous invite à une prudence positive. 

Découvrir la recherche

Le Forum est aussi l’occasion pour le jeune doctorant que je suis d’apprendre beaucoup sur le « monde de la recherche » - que j’ai rejoint récemment, et sur lequel je sais en fin de compte peu de choses. Un atelier où tous les chercheurs, en trios multidisciplinaires, racontent leurs parcours me permet de voir que les carrières académiques sont loin d’être linéaires, et que des choix de vie différents ne conduisent pas au « bannissement » du monde de la recherche. Surtout, je suis ravi des rencontres avec des chercheurs d’autres domaines – physique, épistémologie, etc. Ravi aussi de croiser d’autres manières de participer à la recherche pour les non spécialistes; j’apprends ainsi que je peux contribuer en temps que citoyen à la recherche en physique, en participant à la cartographie des galaxies8, ou en sciences naturelles, en recueillant des observations sur la faune et la flore9. Pour ce qui est d’amener la science dans la société, le pari est accompli pour le citoyen que je suis! 

Retour sur le contenu de l’atelier « radicalisation » en questions-réponses

Pour revenir sur le contenu de l’atelier « radicalisation : psychologie et politique », voici un florilège parmi les dizaines de questions d’étudiants qui ont fusé, et dès éléments de réponse que je peux apporter – bien sûr, ici, c’est de la triche, je choisis les questions et ai tout le temps d’y répondre!

« Radicalisation », on en entend parler tous les jours, mais ça désigne quoi exactement?

Le mot est particulièrement à la mode depuis les années 2010, et ce, de manière croissante, pour désigner le processus individuel qui précède la réalisation d’un attentat terroriste. Pourtant, le terme « radical » n’a pas de sens fixe d’un point de vue historique. Le terme a d’abord été employé par les sciences sociales pour désigner ce que l’on appellerait aujourd’hui l’extrême-gauche, ce qui est sans doute hérité de l’histoire politique. En effet, en Angleterre, les « radicaux » correspondaient entre la fin du 18e siècle et la première moitié du 19e à des parlementaires et penseurs de gauche se réclamant de la Révolution française. En France, avant la création du Parti Socialiste, le Parti Radical était le plus à gauche sur l’échiquier politique. Ainsi, dans les travaux de psychologie politique, jusque dans les années 1970-1980, l’échelle gauche-droite était souvent appelée radicalism-conservatism10. Dans les années 1960, la connotation du terme était généralement positive dans les travaux de sociologie – la Radical Sociology était un courant intellectuel de gauche dans les sciences sociales étasuniennes11

Le terme a ensuite progressivement changé de sens pour désigner le passage à l’action clandestine et violente de fraction révolutionnaires de mouvements sociaux des années 198012. La version actuelle de la radicalisation – qui désigne généralement le passage à l’action violente quel que soit le type d’idéologie politique prônée – doit sans doute son succès au discrédit d’études utilisant le seul concept de « terrorisme ». Discrédit scientifique d’abord, car une partie des études sur le terrorisme souffraient de critiques quant à leur manque de neutralité scientifique13. Discrédit dans les faits ensuite, car le modèle d’un terrorisme venu de l’extérieur, commandité par les organisations-mères telles qu’Al-Qaida ne permettait plus de comprendre les attentats de Londres (2005), Toulouse (2012), Boston (2013), Bruxelles (2014) et Paris (2015) qui ont en commun d’avoir été perpétrés par des homegrown terrorists ou « terroristes de l’intérieur »14. Le concept de radicalisation fut importé de l’étude des mouvements sociaux pour désigner ce phénomène, car il était d’une facture plus « neutre » que « terrorisme », et plus à même de rendre compte des mécanismes d’engagement de ces activistes. 

Néanmoins, constater que le sens du terme « radical » a évolué selon les époques ne signifie pas qu’on ne peut pas s’entendre sur une définition, commune, à partir de laquelle travailler. Beaucoup d’études définissent la radicalisation comme le processus à l’issue duquel des groupes ou individus prônent le recours à la violence à des fins politiques. Dans ma recherche, j’utilise le critère de l’illégalité plutôt que celui de la violence. Il y a deux raisons à ce choix. D’abord, en restant abstrait, on peut se dire que pour changer un système (politique, social, etc.), il y a deux solutions : le changer en respectant les règles du système – le réformer de l’intérieur -, ou le changer en enfreignant les règles. Cette deuxième option est l’option des groupes radicaux, et elle peut inclure la violence. Ensuite, dans les faits, j’observe parmi les mouvements radicaux que j’étudie – en France de 1880 et 1980 – que l’utilisation ou non de la violence n’est pas un élément distinctif entre les mouvements car on trouve différents types de violence, tout comme différents types d’actions illégales, tout au long d’un continuum entre groupes plus ou moins radicaux – allant des échauffourées spontanées avec la police et des déprédations légères jusqu’aux attentats contre les biens et les assassinats prémédités.

Les radicaux sont-ils fous? 

C’est une question récurrente ! On peut être tenté, face à l’incompréhension d’un phénomène, de rechercher une anormalité psychologique des individus qui y sont engagés. Par exemple, pour le cas du fascisme, une tentative d’explication fut, dans l’après-guerre, la théorie de la personnalité autoritaire, selon laquelle les nazis possèderaient des traits de personnalité particuliers expliquant leurs actes15. En ce qui concerne la radicalité, différentes recherches ont, elles aussi, proposé des théories sur les traits de personnalité ou sur la psychopathologie du terrorisme16. Néanmoins, celles-ci souffraient d’importants problèmes méthodologiques – notamment concernant la présence de groupes « de contrôle » pour vérifier que les facteurs mis en avant soient bien propres aux profils terroristes17.  

En vérité, il apparaît clairement qu’il n’y a pas de psychopathologies liées à la radicalité18 – contrairement par exemple aux tueries en milieu scolaire qui semblent plus fréquemment reliés à des pathologies19. Certaines recherches font même observer que l’activisme radical nécessite des aptitudes à « la discipline, la rationalité, au contrôle et à la persévérance »20. Pour ce qui est des traits de personnalité, si certaines études mettent en avant des liens entre certains traits et les opinions radicales21, on ne peut affirmer qu’il en soit de même pour les personnes impliquées dans des actions radicales. En tout cas, ce type d’explication reste de facto insuffisant, car il apparaît clairement qu’une distribution de traits de personnalité, qui devrait être relativement constante dans la population, ne peut pas expliquer les importantes variations dans le temps et l’espace des niveaux de radicalité.

Alors, pourquoi devient-on radical?

C’est la question que se posent la plupart des recherches ! Pour commencer, ce qui apparaît clairement, c’est que les caractéristiques individuelles « classiques » (classe sociale, éducation, genre) sont insuffisantes pour expliquer le passage à l’activisme radical. Par exemple, la radicalité n’est pas a priori pas liée aux niveaux de richesse et d’éducation22. En fait, les seules caractéristiques globalement récurrentes sont l’âge – généralement entre l’adolescence et 25 ans – et le genre masculin des activistes23. Pour ce qui est du genre, cette caractéristique est néanmoins assez variable selon les groupes radicaux : on retrouvait un important nombre de femmes activistes dans l’organisation indépendantiste basque ETA, parmi les groupes d’extrême-gauche des années 1970-1980 ou encore chez les terroristes tchétchènes24. De plus, Johanne Masse a bien montré pendant l’atelier que si elles ne sont pas toujours au « premier rang », l’implication des femmes dans les groupes n'en est pas moins radicale. 

  • Des causes initiales aux processus

Cette difficulté d’identifier des déterminants à l’échelle individuelle a contribué au passage à la forme dynamique du terme « radicalisation » dans les recherches : il s’agit aujourd’hui davantage de rechercher des processus qui conduisent progressivement à la radicalité plutôt que d’identifier des causes initiales25

Parmi les recherches actuelles, beaucoup se centrent sur les mécanismes de radicalisation de groupes. Par exemple, des expériences de psychologie sociale montrent que lorsqu’on forme un groupe d’individus ayant des opinions allant majoritairement dans le même sens, le groupe tend à radicaliser cette position26 – notamment parce que ceux qui portent des positions extrêmes jouissent d’un statut positif car apparaissant plus dévoués au groupe. Aussi, le groupe peut être un facilitateur des actions violentes en participant à la « désindividualisation » – une diminution du sentiment d’individualité – et à une « dilution » de la responsabilité27. Un autre mécanisme contribuant à la radicalisation, est la perte de contact avec des idées contradictoires, qu’on qualifie aussi de « réduction de la réalité sociale ». Ainsi, lorsqu’une organisation passe à la clandestinité, la perte de contact avec le monde extérieur qui en découle contribue à entretenir une vision moins nuancée de la réalité. Ce dernier point peut aussi permettre de comprendre pourquoi il est plus difficile de se sortir de la radicalité que de l’activisme « classique ». On parle à cet égard d’activisme à « haut coût » – high cost activism – car le désengagement en est plus coûteux : au-delà des éventuelles suites judiciaires pour celui ou celle qui se « repentirait », il est d’autant plus difficile de renoncer à la solidarité du groupe et à ses idées lorsque celui-ci était devenu la seule communauté d’appartenance28.

  • Des causes structurelles

Un autre ensemble d’études recherche les causes plus « structurelles » de la radicalité : il s’agit moins de comprendre pourquoi « tel individu » s’est radicalisé, mais plutôt « pourquoi dans telle société ou dans tel groupe social trouve-t-on plus ou moins d’activisme radical ». Parmi ce type d’études, certaines examinent les discriminations, les injustices sociales ou encore la répression dont font l’objet certains groupes29. Ces différents « griefs » expliqueraient que des individus passent d’une identité négative de « victime » ou de « dominé » à celle positive du héros « agresseur » et « dominant » par la peur qu’il suscite30. Pourtant, là encore, le lien entre « griefs », injustices et radicalité n’est pas si clair ! Par exemple, une expérience montre que les actes de révolte d’un groupe défavorisé sont plus fréquents lorsque les inégalités sont faibles que lorsqu’elles sont fortes, alors que l’on s’attendrait à l’inverse31. Ce résultat s’explique vraisemblablement par le fait que la perspective de succès d’une révolte – plus réaliste lorsque le groupe a des chances de l’emporter – explique plus son déclenchement que les « griefs » collectifs32

Autre piste : le lien entre le système de représentation politique et la radicalité. En effet, selon les pays, les règles des institutions politiques sont plus ou moins inclusives, selon que la représentation soit plus ou moins proportionnelle par exemple, ce qui peut contribuer au rejet du système politique par ceux qui s’y retrouvent « perdants »33.

Pourquoi la radicalisation islamiste aujourd’hui alors que c’était plutôt l’extrême-gauche dans les années 1970?

Cette question n’est pas directement dans mes cordes, et sur ce point, les connaissances sur les mouvements religieux de Frédéric Dejean ont apporté un premier élément de réponse. Ce type de la radicalisation a sans doute principalement à voir avec l’histoire coloniale et migratoire des États, et leurs interventions dans des conflits au Moyen-Orient. 

Mais mes premiers résultats de recherche peuvent peut-être apporter d’autres éléments de réponse. Dans ma thèse, j’utilise une théorie souvent invoquée pour expliquer la violence politique, appelée la « frustration relative ». Schématiquement, l’idée est qu’un individu ou un groupe est susceptible de s’engager dans un mouvement de révolte lorsque sa situation est dégradée par rapport à ses attentes. L’intérêt de cette théorie, par rapport par exemple à celle qui voudrait que la révolte soit le produit d’une misère objective, est qu’elle permet d’expliquer pourquoi des groupes se rebellent alors que leur situation n’est pas « objectivement » détériorée. Ainsi, la « frustration relative » est souvent invoquée pour expliquer la Révolution Française : celle-ci aurait été le fait d’un épisode de dégradation économique d’autant plus insoutenable qu’il était précédé d’une longue période de prospérité conduisant à une élévation des attentes ; aussi, l’ouverture de nouveaux droits politiques aurait généré une élévation des attentes non satisfaite34

Cette théorie a connu un grand succès dans la science politique des années 1970, mais elle a été par la suite mise en cause. Différentes études ont montré qu’elle s’avérait insuffisante pour expliquer les déclenchements de mouvements de protestation et de violences politiques, ceux-ci dépendant plutôt des chances de l’emporter et de l’existence d’organisations politiques qui puissent fédérer la lutte35. Cela signifie-t-il pour autant qu’il faille abandonner cette théorie de la « frustration relative » ? Ou bien peut-elle être reformulée différemment ?

Ma thèse vise justement à montrer que cette théorie de la « frustration relative » a encore une pertinence, et notamment qu’elle peut nous aider à comprendre l’engouement pour certaines idées radicales selon les périodes historiques. Mon hypothèse est qu’on peut s’attendre à ce que, lorsque la situation d’un groupe se détériore à long-terme, ses attentes restent basées sur la meilleure situation qu’il a connu dans le passé, et donc qu’il ait des affinités avec des idéologies politiques qui prônent un retour à un « âge d’or » passé - que celui-ci soit réel ou imaginaire. Ce type d’idéologie correspond par exemple au djihadisme contemporain que l’on peut qualifier de « réactionnaire » en ce qu’il prône un retour ce à ce qu’il estime être des règles et traditions authentiques des premiers temps de l’islam36. A l’inverse, lorsque la frustration fait suite à une période d’amélioration, ayant généré une élévation des attentes, on se dit que le groupe devrait être attiré par des idées qui prônent – non pas un retour au passé, car il s’y trouvait moins bien loti – mais un changement politique « révolutionnaire », vers une nouvelle société. En pratique, j’ai testé cette théorie sur les mouvements radicaux en France de 1880 à 1980 et les résultats vont bien dans ce sens : les mouvements révolutionnaires ont eu davantage d’ampleur lorsque la situation économique s’améliorait pour la majorité (augmentation de la richesse et diminution des inégalités) alors que les mouvements réactionnaires « réussissaient » dans les situations d’appauvrissement. Cela donne sans doute une piste pour comprendre le succès d’idéologies réactionnaires aujourd’hui!

  • 1Présentation du thème de cet atelier : Considérée comme l’une des causes principales du terrorisme, la radicalisation est un processus complexe et multidimensionnel. On parle souvent de « lavage de cerveau » pour désigner ce phénomène, mais quels sont les mécanismes qui poussent des individus à rallier un mouvement fanatique ou une secte? De nombreux scientifiques s’intéressent à cette question en analysant les profils et les parcours des personnes « radicalisées », mais aussi, en s’interrogeant sur le fonctionnement de notre cerveau. En effet, les mécanismes cognitifs comme la construction sociale de nos croyances sont autant d’angles d’approche pour comprendre ce phénomène d’endoctrinement. Qu’appelle-t-on radicalisation? Qu’est-ce qui nous rend captifs aux chants des sirènes? Quelles sont les actions préventives contre l’endoctrinement?
  • 2J’ai découvert ensuite que ce type de manière d’apprendre est appelé « learning by teaching » - « apprentissage par l’enseignement »
  • 3Par exemple, des cas tels que les assassinats de policiers étasuniens par un ex-militaire à Dallas en juillet dernier ou la tuerie de 16 civils afghans perpétrée par un soldat étasunien en 2012. On sait par ailleurs que les violences inter-conjugales sont plus fréquentes chez les vétérans américains que dans le reste de la population. Voir Marshall Amy D., Panuzio Jillian et Taft Casey T. (2005), « Intimate partner violence among military veterans and active duty servicemen », Clinical Psychology Review, 25 : 862–876
  • 4Ember Carol R. et Ember Melvin (1994), « War, Socialization, and Interpersonal Violence A Cross-Cultural Study », Journal of Conflict Resolution, 38(4) : 620-646
  • 5Ecouter l’émission de France Culture sur « L'Apocalypse au XVIe siècle : des feux contemporains » : http://www.franceculture.fr/emissions/concordance-des-temps/l-apocalyps…
  • 6Johanna Masse est candidate au doctorat au Département de science politique de l’Université Laval et collaboratrice régulière de la Chaire de recherche du Canada sur les conflits et le terrorisme. Elle travaille sur le processus de radicalisation des femmes.
  • 7Frédéric Dejean (directeur de la recherche) est chercheur à l’Institut de recherche sur l’intégration professionnelle des immigrants (IRIPI – Collège de Maisonneuve). Détenteur d’un doctorat en études urbaines (INRS-UCS et Université Paris Ouest Nanterre La Défense), il est membre régulier de l’équipe de recherche sur le pluralisme et la radicalisation PLURADICAL (www.pluradical.ca). Il a présenté sur le site de Découvrir les résultats de la recherche qu’il a mené sur les départs en Syrie d’étudiants du Cégep Maisonneuve : http://www.acfas.ca/publications/decouvrir/2016/10/etudiants-radicalisa…
  • 8Voir par exemple le projet Zoouniverse : https://www.zooniverse.org
  • 9Voir par exemple les observatoires de Vigie-nature : http://www.mnhn.fr/node/391
  • 10Par exemple : Moore Henry T. (1925), « Innate factors in radicalism and conservatism », The Journal of Abnormal and Social Psychology, 20 (3) : 234-244 ; Comrey, A. L. et Newmeyer, J. A. (1965), « Measurement of radicalism-conservatism », The Journal of social psychology, 67(2) : 357-369.
  • 11Della Faille Dimitri (2002), « Des sciences sociales américaines après la seconde guerre mondiale: révolutions épistémologiques et naissance d'une contre-culture scientifique », Esprit critique, 10 (4) : 1-9.
  • 12La Fraction Armée Rouge en Allemagne, les Brigades Rouges en Italie, Action Directe en France, le Weather Underground aux Etats-Unis, ou encore le Front de Libération du Québec.
  • 13Un reproche récurrent étant le flou du terme « terrorisme » - utilisé pour désigné l’adversaire, de sorte que « le terroriste des uns [est] le combattant de la liberté des autres » : Rapin Ami-Jacques (2008), « L’objet évanescent d’une théorie improbable : le terrorisme et les sciences sociales », Les cahiers du RMES, 5(1), p. 181.
  • 14Voir le débat opposant les chercheurs Hoffman et Sageman. Selon le premier, la « menace » demeure les bureaux centraux des organisations terroristes telles qu’Al-Qaida, quand pour le second il s’agit désormais d’un mouvement de « djihad sans leader ». Voir Hoffman Bruce (2006), Inside Terrorism, Revised & enlarged edition, New York, Columbia University Press ; Sageman Marc (2008), Leaderless Jihad: Terror Networks in the Twenty-first Century, Philadelphia, University of Pennsylvania Press.
  • 15Adorno Theodor W., Frenkel-Brunswik Else, Levinson Daniel J. et al. (1950), The authoritarian personality, New York, Harper and Row. Cette théorie, fortement contredite par la suite, n’en a pas moins été à la base de découvertes sur les liens entre dispositions psychologies et opinions politiques. Voir par exemple Jost John T., Glaser Jack, Kruglanski Arie W. et al. (2003), « Political conservatism as motivated social cognition. », Psychological bulletin, 129(3) : 339-375.
  • 16Voir par exemple Post Jerrold (1990), « Terrorist Psycho-logic: Terrorist behaviour as a product of psychological forces » in Reich Walter (1990), Origins of terrorism: Psychologies, ideologies, states of mind, Washington, Woodrow Wilson Center Press et Johns Hopkins University Press, 1990, pp. 25–40.
  • 17Voir Victoroff Jeff (2005), « The mind of the terrorist : A review and critique of psychological approaches», The Journal of Conflict Resolution, 49(1): 405-426.
  • 18Silke Andrew (1998), « Cheshire-cat logic: The recurring theme of terrorist abnormality in psychological research », Psychology, Crime & Law, 4(1) : 51-69.
  • 19Stetten Lina (2016), « Terror and School Shootings: Radicalization of Lone Operators in Germany », Conference given at the International seminar « National cohesion, discrimination, ethnic / religious identification and propensity to violent radicalization in Europe: what relations? », Grenoble.
  • 20Silke Andrew (2008), « Holy warriors exploring the psychological processes of Jihadi radicalization», European journal of criminology, 5(1), p. 104.
  • 21Par exemple : Brandt Mark J., Evans Anthony M. et Crawford Jarret T. (2015), « The Unthinking or Confident Extremist? Political Extremists Are More Likely Than Moderates to Reject Experimenter-Generated Anchors », Psychological Science, 26(2) : 189-202.
  • 22Krueger Alan B. et Maleckova Jitka (2003), « Education, Poverty and Terrorism: Is There a Causal Connection? », Journal of Economic Perspectives, 17(4) : 119–144. Khosrokhavar observe par exemple que si la « génération » Al-Qaida était plutôt marquée par un niveau d’éducation relativement élevé, ce n’est pas le cas de la « nouvelle génération » : Khosrokhavar Farhad (2014), Radicalisation, Paris, Maison des Sciences de l’Homme.
  • 23Silke Andrew (2008), « Holy warriors… », op. cit. ; Bakker Edwin (2006), Jihadi terrorists in Europe, their characteristics and the circumstances in which they joined the jihad: an exploratory study, The Hague, Clingendael Institute.
  • 24Pour le mouvement basque, voir Alcedo Moneo M. (1997), Militar en ETA, Donostia, Haranburu ; pour les groupes d’extrême-gauche des années 1970-1980, voir par exemple Bugnon Fanny (2012), « La médiatisation. Le cas des militantes d'Action directe », in Cardi Coline et al. (2012), Penser la violence des femmes, Paris, La Découverte, pp. 361- 374 ; pour les activistes tchétchènes, voir Speckhard A. et Ahkmedova K. (2006), « The Making of a Martyr : Chechen Suicide Terrorism », Studies in Conflict and Terrorism, vol. 29(5) : 429-492.
  • 25Horgan John (2008), « From Profiles to Pathways and Roots to Routes: Perspectives from Psychology on Radicalization into Terrorism », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, 618(1) : 80-94.
  • 26Ce phénomènre est appelé « polarisation de groupe ». Voir Isenberg, Daniel J. (1986), « Group polarization: A critical review and meta-analysis », Journal of Personality and Social Psychology, 50(6) : 1141-1151.
  • 27Voir Bègue Laurent (2011), Psychologie du bien et du mal, Paris, Odile Jacob.
  • 28Sommier Isabelle (2012), « Engagement radical, désengagement et déradicalisation. Continuum et lignes de fracture », Lien social et Politiques, 68 : 15–35.
  • 29McCauley Clark et Moskalenko Sophia (2008), « Mechanisms of political radicalization: Pathways toward terrorism », Terrorism and political violence, 20(3) : 415–433 ; Della Porta Donatella (1995), Social movements, political violence, and the state: A comparative analysis of Italy and Germany, Cambridge, Cambridge University Press.
  • 30Khosrokhavar Farhad (2014), Radicalisation, op. cit.
  • 31Abbink Klaus, Masclet David et Mirza Daniel (2011), « Inequality and Riots–Experimental Evidence », CIRANO-Scientific Publication, 1-27.
  • 32Collier Paul et Hoeffler Anke (2004), « Greed and grievance in civil war », Oxford economic papers, 56(4) : 563-595.
  • 33Anderson Christopher J. et Guillory Christine A. (1997), « Political Institutions and Satisfaction with Democracy: A Cross-National Analysis of Consensus and Majoritarian Systems », American Political Science Review, 91(1) : 66-81.
  • 34Gurr Ted Robert, Why men rebel, Princeton, Princeton University Press, 1970.
  • 35Voir Brush, Stephen G. (1996) : « Dynamics of theory change in the social sciences relative deprivation and collective violence », Journal of Conflict Resolution, 40(4) : 523-545.
  • 36Khosrokhavar Farhad (2014), Radicalisation, op. cit.

  • Simon Varaine
    Université Grenobles Alpes

    Simon Varaine, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, est doctorant contractuel au sein du laboratoire PACTE – Politiques publiques, ACtion politique, TErritoires. Sa thèse vise à mettre en lien psychologie sociale et science politique pour expliquer les affinités individuelles avec les idéologies politiques radicales. Son premier axe de recherche réinvestit la théorie psychologique de la frustration relative pour expliquer le succès des mouvements sociaux réactionnaires et révolutionnaires en France, de 1882 à 1980. Par ailleurs, il étudie les liens entre institutions démocratiques et radicalité ainsi que la couverture médiatique des actes de violence politique.

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