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Katherine Sullivan, Université d'Ottawa
De tels débats médiés sont-ils la preuve d’une cyberdémocratie en santé, ou plutôt un nouvel outil de marketing politique développé par une équipe de professionnels du domaine?

La politique québécoise s’est invitée massivement pour une première fois au sein des médias sociaux en 2012. Les manifestations du Printemps érable, suivies des élections générales, ont suscité des débats numériques très nourris sur plusieurs plateformes. Pour sa part, Twitter a permis aux internautes de discuter avec des politiciens, des journalistes et des concitoyens au sujet de valeurs, d’actualités et de politique, de partout, à tout moment.

Cet accès à la sphère politique pourrait représenter le gage d’un regain de la participation civique, d’un sentiment de confiance élevé envers les dirigeants et d’un engagement collectif. Mais qu’en est-il vraiment? De tels débats médiés sont-ils la preuve d’une cyberdémocratie en santé, ou plutôt un nouvel outil de marketing politique développé par une équipe de professionnels du domaine? 

Les tweets de la campagne électorale 2014 sous examen

Dans notre recherche, nous cherchons à comprendre la dichotomie entre cyberdémocratie et marketing politique en analysant les modalités d’usage de Twitter pendant la campagne électorale de 2014 au Québec. Notre analyse quantitative porte sur plus de 12 000 gazouillis publiés par un échantillon de 26 candidats provenant des quatre partis majeurs, soit le Parti québécois (PQ), le Parti libéral du Québec (PLQ), la Coalition Avenir Québec (CAQ) et Québec solidaire (QS). Les candidats ont été sélectionnés de façon à représenter la répartition des sièges de l’Assemblée nationale au terme de l’élection en 2012, avec un intérêt particulier pour les « super » usagers, soit les politiciens ayant su se démarquer au sein des médias et des médias sociaux en publiant des mises à jour de façon quotidienne.

#Jevotepour

Lors des élections générales québécoises de 2014, le taux de participation en général a chuté de 3,17 % selon le directeur général des élections du Québec (DGEQ). En revanche, le scrutin ayant eu lieu 18 mois plus tôt avait généré un taux de participation record, soit de 74,61 %1. Pourtant, l’engagement civique a été un thème prédominant de l’initiative #jevotepour de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), qui a effectué une tournée des campus pour inciter la population étudiante à voter. Les candidats se sont également assurés d’encourager le vote des étudiants sur les médias sociaux en partageant des mises à jour au sujet de #votecampus, soit la possibilité de voter sur le campus de 175 établissements d’enseignement postsecondaire, une nouvelle initiative du DGEQ.

Twitter : un forum cyberdémocratique…

En plus des campagnes de mobilisation numériques, les internautes ont pu discuter avec les candidats de leur circonscription sur Twitter. En effet, 11 582 utilisateurs ont joint leur voix à la twittosphère entre le 5 mars et l7 avril 20142 en utilisant des mots clics tels que #qc2014, #poliqc et #assnat. Ces mots clics ont facilité la recherche de discussions thématiques et ont permis aux utilisateurs de suivre des débats médiés en temps réel.

Twitter offre donc une plateforme qui pourrait faire office de sphère publique, d'espace accessible et propice à la conversation politique. Mais est-ce la sphère publique d’Habermas, où tous seraient égaux dans la discussion et atteindraient ainsi un consensus éclairé?3 La théorie de cet auteur a été grandement critiquée et retravaillée par plusieurs chercheurs, dont Lincoln Dahlberg3, qui a adapté la sphère publique habermassienne à l’univers numérique en identifiant quelques critères nécessaires : on doit pouvoir échanger et critiquer au sein d’un espace qui offre l’égalité et l’inclusion discursives, tout en prenant soin d’écouter et de comprendre les arguments des autres.

«Est-ce la sphère publique d’Habermas, où tous seraient égaux dans la discussion et atteindraient ainsi un consensus éclairé?»

Cette sphère publique englobe la cyberdémocratie, qui encourage la participation politique sous toutes ses formes, et opère en tandem avec elle. Cette démocratie numérique prône le débat raisonné et la transparence, qui peuvent se traduire en un gouvernement électronique4 visant à accroître l’accessibilité à l’information et aux élus.

Pendant la campagne électorale, les abonnés Twitter des candidats ont eu accès aux plateformes électorales, aux communiqués de presse ainsi qu’aux articles concernant la campagne, tout en suivant sa progression à travers le Québec. En plus de pouvoir observer les échanges médiés, les utilisateurs ont également pu s’exprimer lors d’événements et de débats télévisés en temps réel. Ainsi, tandis que les chefs prenaient part au débat sur les ondes de TVA les 20 et 27 mars, les abonnés de Twitter ont discuté entre eux, de même qu’avec les autres candidats et journalistes, en temps réel et en suivant des mots clics tels que #debatdeschefs, #faceafacetva et #debatqc. Ainsi, selon Sanger5, plus de 323 gazouillis ont été publiés par minute pendant le débat du 27 mars.

…ou un outil de marketing politique?

Malgré les avantages et les potentialités inhérentes au Web 2.0, l’utilisation des médias sociaux par les politiciens peut être une arme à double tranchant, car, plutôt que servir de forum citoyen, Twitter peut aussi agir comme outil de marketing politique. Ceci peut se traduire sous forme de professionnalisation de la campagne, de personnalisation et de campagne négative (Twitter bashing).

Dans cette optique, bien que plusieurs candidats aient choisi de signer leurs propres gazouillis, d’autres ont préféré faire appel à des attachés de presse et à des consultants pour exister numériquement. Tandis qu’une approche cyberdémocratique promeut une délibération raisonnée et le partage d’information, le marketing politique se concentre plutôt sur les résultats d’élections.

Philippe Couillard, bien qu’il ait précisé signer ses gazouillis de ses initiales, n’a pourtant publié aucun gazouillis personnel pendant la campagne. Tout comme Martine Desjardins et Nathalie Roy, il a fait appel à des professionnels afin de se tailler une personnalité numérique sur mesure découlant du concept de présentation de soi de Goffman6, où cette auto-interprétation met de l’avant une image soigneusement créée en coulisses. D’autres ont préféré s’abstenir du discours médié, comme la chef du PQ, Pauline Marois, qui a brillé par son absence, tout en étant le sujet de bon nombre de gazouillis et ayant son propre mot clic, #PaulineMarois.

«Une tendance marquée par une pléiade d’égoportraits est celle de la  personnalisation.»

Dans cette même veine d’idées, une tendance marquée par une pléiade d’égoportraits est celle de la  personnalisation7, où l’utilisateur publie des mises à jour au sujet de ses activités sociales, de ses impressions et même de sa vie personnelle. Ceci peut même se traduire par une concentration des échanges autour du chef de parti. Le slogan de la CAQ en est un parfait exemple. Au lieu de promouvoir des valeurs ou idées du parti, la CAQ a misé sur un jeu de mots incluant le nom du chef de parti : «  On se donne Legault ».

Enfin, malgré les mots clics vantant les valeurs, les promesses électorales, les espoirs ou les slogans des partis, tels que #pqmajo, #vraiesaffaires, #jevoteavecmatête ou bien #déterminés, une autre tendance a été la campagne négative. Celle-ci vise à ternir l’image des autres partis, des chefs ou même de candidats en particulier à l’aide d’opinions personnelles, d’articles à connotations négatives ou de données. Ainsi, certains ont utilisé des mots clics tels que #pqfail, #faispastapauline et #philippeflops afin de discuter de sujets variés, dont la candidature de PKP, la charte et le référendum.

Verdict

Au moment de mettre ces lignes sous presse, les analyses se poursuivent, ce qui rend un verdict prématuré. Les candidats ont-ils utilisé Twitter dans une optique cyberdémocratique, qui découle de la sphère publique numérique, ou de marketing politique? Que donnera notre étude qui a opérationnalisé ces théories afin de pouvoir quantifier ces deux pratiques numériques? Les résultats et les recommandations seront cependant rendus publics au début 2015, entre autres, dans le présent magazine. À suivre…

Notes :

  • 1. DGEQ, 2012
  • 2. Radio-Canada, 2014
  • 3. Habermas, 1989
  • 4. Dahlberg, 2001
  • 5. Levy, 2002
  • 6. Sanger, 2014
  • 7. Goffman, 1990
  • 8. Papacharissi, 2008

Références :

  • DAHLBERG, L. (2001). « Extending the public sphere through cyberspace: The case of Minnesota E-democracy », First Monday, 6(3).
  • ÉLECTIONS QUÉBEC (n.d.). Historique du taux de participation. Consulté le 30 mai 2013).
  • GOFFMAN, E. (1990). The presentation of Self in Everyday Life. Harmondsworth : Penguin.
  • HABERMAS, J.(1989). The Structural Transformation of the Public Sphere: An Inquiry into a Category of Bourgeois Society (trans. T. Burger with F. Lawrence). Cambridge, Massachussets: MIT Press.
  • INSTITUT DU NOUVEAU MONDE (2014). On est 2 millions, faut voter! Page consultée le 5 septembre 2014, au
  • PAPACHARISSI, Z. (2002). « The virtual sphere: the internet as a public sphere »,  New Media & Society, 4(1), p. 9-27.
  • SANGER, W. (27 mars 2014). #QC2014 : Débat face à face – 27 mars 2014. Consulté le 15 avril 2014

  • Katherine Sullivan
    Université d'Ottawa

    Katherine Sullivan est candidate à la maîtrise en communication à l’Université d’Ottawa sous la tutelle de Pierre C. Bélanger. Ses centres d’intérêt gravitent autour de la cyberdémocratie, de la politique québécoise, de l’identité numérique et de la sphère publique numérique.

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