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Vincent Larivière, Université de Montréal
Les revues canadiennes et québécoises permettent la diffusion des travaux de recherche sur les thématiques nationales, et bénéficient d’une utilisation bien plus importante que la moyenne des revues internationales. Ainsi, en encourageant la publication dans les revues internationales des résultats de recherche en sciences sociales et humaines, on oriente les travaux de nos chercheurs dans une direction qui n’est peut-être pas celle souhaitée.

L’émergence des revues savantes

Les deux premières revues savantes voient le jour au 17e siècle, soit le Journal des Sçavans (1665) et les Philosophical Transactions of the Royal Society of London (1666). Depuis, l'importance de ces revues en tant que mode de diffusion des connaissances a connu une progression considérable. Après avoir cohabité pendant 150 ans avec la correspondance épistolaire et le traité savant, ces revues deviennent à partir du début du 19e siècle, le moyen le plus rapide et le plus efficace de diffuser de nouveaux résultats de recherche. Elles ont ensuite consolidé, pendant la majeure partie du 20e siècle, leur position centrale dans le système de diffusion des connaissances1, particulièrement dans les sciences naturelles et médicales2.

Cette importance s’illustre par leur croissance au cours des 350 dernières années. En effet, tel que montré par Derek John de Solla Price (Figure 1) — l’un des pères fondateurs de la scientométrie — dans son ouvrage Little Science, Big Science3, le nombre de revues savantes est demeuré stable, autour d’une dizaine, jusqu’au milieu du 18e siècle, est passé à une centaine à la fin de ce siècle, et avait déjà atteint plusieurs milliers à la fin du 19e siècle. Cette croissance exponentielle a toutefois pris fin dans les années 1970; moment à partir duquel elle est devenue linéaire4. On évalue aujourd’hui le nombre de revues savantes à plus de 100 000 à l’échelle mondiale.

Quand la chimie se publiait en allemand

Créées par des sociétés savantes nationales ou disciplinaires, pour la plupart, les premières revues comportaient généralement un aspect local important, et leur langue de publication était celle de la nation qui la publiait — contrairement aux traités scientifiques souvent écrits en latin. Par exemple, au début du 19e siècle, l’allemand représentait 75% de la littérature en chimie et l’anglais, seulement 10% 5.

Toutefois, après la Seconde Guerre mondiale, qui marque le début de la massification de la communauté scientifique et de l’internationalisation de la diffusion des connaissances, la littérature scientifique passe d’un mode multilingue à un mode unilingue, dominé par l’anglais6. Ainsi, en 1960, l’allemand ne comptait déjà plus que pour 10% de la littérature en chimie, et l’anglais, 50% 5. Témoin de cette transformation, la revue Angewandte Chemie, centrale à la discipline, est publiée simultanément en allemand et en anglais depuis 1962.

Les effets performatifs des revues internationales

De nos jours, on divise souvent les revues savantes en deux catégories : les revues dites internationales, typiquement publiées en anglais, et les revues nationales ou locales, publiées dans une langue autre que l’anglais.

Cependant, depuis une vingtaine d’années, on favorise la publication des résultats de recherche dans les revues internationales, généralement au détriment des revues nationales. Ces dernières sont toutefois aussi importantes que les revues internationales et, dans certains domaines, le sont même davantage.

En effet, il importe ici de faire une distinction entre les objets d’études des sciences naturelles et ceux des sciences sociales et humaines. Alors que les sciences naturelles sont par définition « internationales » — l’électron se comporte de la même façon au Québec qu’au Japon —, l’histoire, la structure sociale ou le système d’éducation de ces deux sociétés sont bien différents. Ainsi, l’une des fonctions centrales des revues nationales est de fournir un lieu de publication pour les résultats de la recherche relatifs aux objets locaux ou nationaux, susceptibles de toucher directement les sociétés concernées.

Or, effet pervers, en favorisant la publication des résultats de recherche dans les revues internationales, on réduit d’autant la diffusion des travaux sur les objets locaux ou nationaux. En effet, les revues internationales — qui sont bien souvent des revues anglo-américaines — sont beaucoup moins susceptibles de publier des articles dont les thématiques sont locales ou, pourrait-on dire cyniquement, ne sont pas américaines.

Le Tableau 1 montre la proportion d’articles canadiens traitant d’une thématique « canadienne » — telle que définie par la présence du mot « Canada » dans le résumé — selon le lieu de publication de la revue. On y remarque que la proportion d’articles relatifs au Canada est plus de trois fois plus élevée dans les revues canadiennes que dans les revues américaines. Autrement dit, lorsque les chercheurs canadiens publient dans les revues américaines, leurs objets d’études sont différents, et ils font une moins grande

place aux objets canadiens.

L’impact considérable des revues nationales

On mesure souvent — et bien malheureusement — l’impact scientifique des revues à partir de leur Facteur d’Impact; indicateur compilé par la firme Thomson Reuters représentant le nombre moyen de citations reçues par la revue sur une période de deux ans (donc à court terme). Puisque les revues nationales d’une langue autre que l’anglais sont rarement indexées dans cette base de données, ces dernières n’ont pas de Facteur d’Impact, ce qui équivaut aux yeux de certains à ne pas avoir d’impact du tout. Or, cette vision réductrice ne prend pas en compte l’utilisation globale des périodiques nationaux par la communauté.

Les revues nationales d’une langue autre que l’anglais sont rarement indexées dans la base de données de Thomson Reuters, et ces dernières n’ont par conséquent pas de "Facteur d’Impact".

Le Tableau 2 présente le nombre moyen de téléchargements par revue effectués en 2013 à l’Université de Montréal chez les « grands » éditeurs. Il montre clairement que, dans l’ensemble, les articles publiés dans les revues francophones — majoritairement québécoises — diffusées sur la plate-forme Érudit sont en moyenne presque aussi téléchargés que ceux publiés dans les revues du Nature Publishing Group. Plus frappant encore, le nombre moyen de téléchargements par revue d’Érudit est plus de cinq fois plus élevé que celui d’Elsevier, douze fois celui de Wiley et 32 fois celui de Springer! On peut donc affirmer que les revues nationales sont tout aussi utilisées par la communauté que le sont les « grandes » revues internationales, et le sont bien plus que les revues publiées par la majorité des grands éditeurs.

vincent

Qu’attend-on des chercheurs en sciences sociales et humaines?

En somme, les revues canadiennes et québécoises permettent la diffusion des travaux de recherche sur les thématiques nationales, et bénéficient d’une utilisation bien plus importante que la moyenne des revues internationales. Ainsi, en encourageant la publication dans les revues internationales des résultats de recherche en sciences sociales et humaines, on oriente les travaux de nos chercheurs dans une direction qui n’est peut-être pas celle souhaitée. En effet, qu’attend-on des chercheurs canadiens et québécois en sciences sociales? Qu’ils travaillent sur l’histoire, la société, l’économie et la culture américaine, ou bien qu’ils contribuent à l’avancement des connaissances sur la société dans laquelle ils évoluent?

Références :


  • Vincent Larivière
    Université de Montréal

    Vincent Larivière est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les transformations de la communication savante, professeur adjoint à l’École de bibliothéconomie et des sciences de l’information de l’Université de Montréal, membre régulier du CIRST et directeur scientifique adjoint de l’Observatoire des sciences et des technologies. Ses recherches s’intéressent aux caractéristiques des systèmes de la recherche québécois, canadien et mondial, ainsi qu’à la transformation, dans le monde numérique, des modes de production et de diffusion des connaissances scientifiques et technologiques. Il est titulaire d’un baccalauréat en Science, technologie et société (UQAM), d’une maîtrise en histoire (UQAM) et d’un Ph.D. en sciences de l’information (Université McGill).

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